"Bon vin"
Portrait du gourmand
Réunion gastronomique ou Les Gourmands à table
"Bon vin"
Lieu de conservation : musée des Civilisations de l’Europe et de la Méditerranée (Mucem, Marseille)
site web
H. : 48,8 cm
L. : 61.9 cm
Imprimeur : Pellerin, Épinal.
Lithographie coloriée.
Domaine : Estampes-Gravures
© RMN-Grand Palais (MuCEM) / Gérard Blot
1953.86.5080 - 04-509606
Le Vin comme art de vivre
Date de publication : Novembre 2009
Auteur : Alban SUMPF
Pratiques et représentations du vin au XIXe siècle
Le vin est depuis toujours une composante de la civilisation méditerranéenne. Élément de l’alimentation, fait culturel, religieux ou mythologique, il est associé à de nombreuses pratiques et représentations. La consommation de vin est courante en France depuis l’Antiquité, mais c’est au XVIIIe siècle que la viticulture française commence à se structurer et à se développer. Considéré comme l’« âge d’or du vin », le XIXe siècle est marqué par l’élaboration de nouvelles techniques de vinification, l’amélioration de la qualité, de la conservation et de la distribution, qui conduisent à une progression constante et importante de la production et de la consommation. Le vin devient alors plus que jamais un enjeu économique, mais aussi une question culturelle, idéologique, politique, sanitaire, sociale et morale.
Parallèlement, les représentations de ce que l’on pourrait appeler la « pratique du vin » se multiplient, aussi diverses que les usages de la boisson et que les avis qu’elle suscite. Le XIXe siècle voit bien se développer de mauvaises « images » du vin, notamment en termes de conséquences sociales – l’alcoolisme fait alors des ravages en France. Mais c’est bien le vin comme art de vivre et de bien vivre qui domine largement l’imaginaire et les consciences. Dans la filiation de la tradition rabelaisienne, le breuvage est associé à la fête et à l’amitié, à la gastronomie (plus ou moins fine).
Le vin et la table
La première image, intitulée Bon vin, est une lithographie coloriée, anonyme de la première moitié du XIXe siècle. Elle représente quatre hommes habillés en petits-bourgeois, debout ou assis autour d’une table sur laquelle sont disposés six bouteilles, certaines pleines, d’autres vides ou entamées, et leurs bouchons. Trois d’entre eux, dont un obèse, trinquent avec conviction, tandis que le quatrième, lui aussi obèse, vide son verre goulûment. D’autres bouteilles les attendent près du chapeau qui a roulé au sol ou gisent par terre, vides et renversées. Les visages sont réjouis, les regards un peu vagues ou exaltés. La femme qui les sert sourit en les regardant.
La seconde image, Portrait du gourmand, est une estampe anonyme du début du XIXe siècle. Elle oppose deux hommes et leurs « maximes », chacun à sa table avec son menu. Mince voire maigre, le premier a l’air sec et sévère, son repas est frugal (eau, œuf, peu de plats). Il semble s’être autorisé un verre de vin, mais on peut remarquer l’absence de bouteille. Un chien, qui semble le sien (sec et sage), mendie, en vain, des restes inexistants. Gras, extravagant jusque dans sa coiffure, son antithèse le gourmand a la mine joviale, et sa table déborde de mets riches. Il a déjà bu du vin en abondance – une bouteille vide au sol, une entamée sur la table – et n’hésite pas à jeter les reliefs de son repas par terre.
La troisième image, Réunion gastronomique ou Les Gourmands à table, est une caricature anonyme du début du XIXe siècle représentant un dîner de la Société des Mercredis – jour où ses membres se réunissaient. Ces rencontres hebdomadaires de gastronomes eurent lieu de 1802 à 1805 au restaurant Le Gacque, rue de Rivoli à Paris. Il est possible de lire le nom du restaurant à l’envers sur la vitre. Sept hommes, d’un milieu social qui semble assez élevé, sont attablés. Un autre, debout, lèche une assiette contre le mur. La nourriture et la boisson sont abondantes, et les airs voraces. Des restes au sol, des panses tendues et des personnages à la mine repue ou réjouie manifestent le caractère excessif de ces réunions consacrées à la bonne chère.
Une représentation contrastée du vin
Les trois images sont destinées à une large diffusion : elles figurent des scènes exemplaires ou typiques, sans contexte précis, visant à illustrer des vérités générales ou proverbiales concernant le vin et les notions qui lui sont plus ou moins directement associées comme la gourmandise et l’art de vivre.
Dans Bon vin, l’atmosphère est à l’insouciance (le chapeau et les bouteilles abandonnées çà et là), à la complicité et à la convivialité, à « l’inspiration » (l’un des hommes, debout, semble déclamer) ainsi qu’à la joie, comme en témoigne le sourire que la considération de la scène provoque chez la femme qui les sert et s’éloigne au second plan. Si le vin, acteur principal de la scène (il n’est question ici que de boire, pas de manger même si la servante semble emporter des assiettes), peut bien impliquer un certain désordre et un certain laisser-aller (il est répandu sur la table), s’il marque les visages, il est globalement « bon » par sa qualité ou par ses effets. Il implique sa propre abondance, comme l’atteste le grand nombre de bouteilles, et diffuse un bien-être vecteur de sociabilité, de fête, de relâchement. Comme chez Rabelais, on chante, on se révèle et on rit autour du vin, oubliant dans une parenthèse heureuse les responsabilités et les soucis quotidiens.
Le Portrait du gourmand apparaît bien différent. L’image ne semble pas prendre parti entre les deux antithèses, finalement assez peu sympathiques. Le premier reprend le proverbe « Il faut manger pour vivre » (sous-entendu « et non pas vivre pour manger ») extrait de L’Avare, mais aussi attribué à Socrate par Diogène Laërce. Le second, au contraire, assure qu’« Il faut vivre pour manger », philosophie attribuée à tort aux épicuriens et que ne renierait pas Gargantua. Mais la chanson qui illustre la scène critique les gourmands : Nains d’une grosseur effrayante, Leurs regards sont étincelans [sic] ; Sans cesse leur bouche est béante, Et toujours s’agitent leurs flancs. Il [sic] ne respirent que carnage, S’entourent de morts, de mourans [sic], Et, pressés d’assouvir leur rage, Sont toujours armés jusqu’aux dents.
Selon l’auteur de cette estampe, la gourmandise est liée à une avidité et à une voracité bestiales. Faut-il pour autant condamner totalement le vin ? Même l’homme de gauche semble en boire un verre.
Les Gourmands à table pourrait se situer à mi-chemin de ces deux interprétations. Les éléments positifs évoqués plus haut semblent dominer, mais une certaine violence, une atmosphère de voracité, des expressions, des traits et des corps enlaidis par la gourmandise et la boisson suggèrent aussi (involontairement ?) l’idée que l’excès abêtit le gourmand, fût-il bien mis et prospère.
Christophe BOUNEAU et Michel FIGEAC, Le verre et le vin de la cave à la table du XVIIe siècle à nos jours, Bordeaux, Centre d’Etudes des Mondes Moderne et Contemporain, 1994.
Gilbert GARRIER, Histoire sociale et culturelle du vin, Paris, Bordas Cultures, 1995.
François RABELAIS, Traité de bon usage de vin, Paris, ALLIA, 2009( rééd.).
Imagerie populaire : Née avec les techniques d’impression mécanique qui permettent la reproduction d’une même image à l’infini et sa diffusion à moindre coût et au plus grand nombre à des fins d’information, mais également de propagande. L’un des principaux centres de fabrication de ces gravures populaires est Épinal – on parle en ce cas d’images d’Épinal.
Alban SUMPF, « Le Vin comme art de vivre », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 21/11/2024. URL : https://histoire-image.org/etudes/vin-art-vivre
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