« Un Juif vaut bien un Breton »
Lieu de conservation : La Contemporaine (BDIC, Nanterre)
site web
Date de création : 1937
Date représentée : avril 1937
Domaine : Affiches
© Collections La Contemporaine
Léon Blum et le Front Populaire face aux attaques antisémites
Date de publication : Juin 2007
Auteur : Vincent DOUMERC
Le Front populaire : un gouvernement contesté
Avril 1936 : au grand dam des ligues d’extrême droite, le Front populaire remporte les élections, et la France se donne un gouvernement de gauche (socialistes de la S.F.I.O. et radicaux soutenus par le P.C.) : Léon Blum devient président du Conseil. Le pays est confronté à une situation extérieure menaçante : les régimes fasciste et nazi en Italie et en Allemagne sont bien implantés, et le commencement de la guerre civile en Espagne suscite la crainte d’une généralisation du conflit. Cependant la seule diplomatie ne peut expliquer l’état de fragilité de la République française en 1936. En effet, la crise des années 1930 a dévoilé les nombreuses divisions de la société que l’Union sacrée et les années folles étaient parvenues à masquer sans toutefois les effacer totalement.
Parmi ces fortes dissensions, l’antisémitisme est un élément majeur. Sous-jacent depuis des siècles, il s’est structuré à la fin du XIXe siècle autour d’écrits comme La France juive d’Édouard Drumont, autour de personnalités fortes et brillantes comme Maurras ou Déroulède et autour d’événements marquants comme l’affaire Dreyfus. Il fait partie intégrante de l’idéologie de certaines ligues (comme L’Action française), au même titre que le nationalisme, l’anticommunisme ou l’antiparlementarisme. La personnalité de Léon Blum (juif, membre de la haute bourgeoisie, leader de la S.F.I.O.) ne manque donc pas de susciter haine et dégoût chez une frange de la population. Tout au long des deux gouvernements Blum (du 4 juin 1936 au 21 juin 1937 pour le premier, du 13 mars au 8 avril 1938 pour le second), les débats font rage à la Chambre des députés et sont relayés dans les organes de presse des ligues comme dans cette affiche de L’Action française publiée en 1937. Outre Blum, cette affiche incrimine le ministre de l’Intérieur du Front populaire Marx Dormoy.
« Le juif, ennemi de la nation »
Cette affiche se structure autour d’une réplique de Marx Dormoy à un député de droite, Paul Ihuel, les origines religieuses de Léon Blum ayant une fois de plus fait l’objet d’une attaque de la part de l’opposition. Pour couper court à la calomnie, Marx Dormoy, membre de la S.F.I.O., lui répond en mettant en parallèle les compétences d’un juif et d’un Breton (P. Ihuel était député du Morbihan). Or, depuis Drumont, l’antisémitisme repose sur une idée simple : le juif n’est pas français. La phrase de Dormoy revient donc, dans cette optique, à affirmer qu’un étranger vaut bien un Français. Dans le contexte de nationalisme exacerbé des années 30, cela suffit à L’Action française pour proclamer en haut de l’affiche que le Front populaire, par la voix d’un de ses principaux ministres, « insulte » les Français.
La mise en exergue de cette sentence vise à choquer le lecteur et à rendre crédibles les accusations répétées de L’Action française contre le gouvernement Blum. Le texte de l’affiche crée une confusion entre les juifs et les membres du gouvernement, affirmant d’abord que les seconds seraient « les valets » des premiers et ensuite que tous fomenteraient le désordre à l’intérieur et à l’extérieur. Les « embusqués », qui insulteraient les Français, sont autant les membres du gouvernement de Front populaire, comme le prétend le titre, que les juifs, comme le laissent entendre les statistiques en bas à gauche. Cette accusation du manque de courage des juifs pendant la Première Guerre mondiale est un « argument » classique des ligues à cette époque. D’ailleurs le prédécesseur de Dormoy à l’Intérieur, Roger Salengro, s’était suicidé à l’issue d’une campagne de diffamation sur son attitude pendant le conflit.
Les ressorts de l’antisémitisme des ligues
Dans l’affiche les termes « juif » et « français » sont employés plusieurs fois et clairement placés en opposition. Les ligues se considèrent comme les véritables défenseurs de la patrie face aux agissements du gouvernement de Front populaire qui, lui, n’hésite pas à brader les intérêts du pays. Pour légitimer son combat, L’Action française cherche d’abord à affirmer qu’un juif n’est pas français : le slogan « La France aux Français » est une adresse à Blum, « le juif Blum ». D’ailleurs, L’Action Française du 5 juin 1936 titrait : « La France sous le Juif. » Dans cette optique, Blum est décrit comme un agent de l’étranger manipulé à la fois par le P.C.U.S. de Staline et par une « internationale juive », accréditant ainsi la théorie du « complot juif mondial ».
Face à cette menace supposée, l’affiche développe les valeurs de son combat : l’amour de la patrie, le sacrifice que chaque Français doit être prêt à faire pour elle (le bilan en bas à gauche est éloquent, et peu importe que les chiffres soient inexacts), l’importance de l’hérédité. Elle évoque les « nobles provinces françaises », et Xavier Vallat, député proche de L’Action française en 1936, signalait qu’il était impossible pour « un vieux pays gallo-romain » comme la France d’être « gouverné par un juif ». Le caractère historique de l’appartenance à la nation française est un élément récurrent de l’idéologie des ligues. La mise en avant des racines françaises exclut de fait qu’un juif puisse appartenir à la nation France. Certains y verront une préfiguration du slogan vichyste « la terre ne ment pas ».
Cette opposition sera appelée à durer dans le temps : Xavier Vallat sera sous Vichy le premier dirigeant du Commissariat aux questions juives, et Marx Dormoy sera assassiné en 1941 par des collaborateurs, anciens membres de la Cagoule, organisation d’extrême droite qu’il avait essayé de combattre lors de son passage Place Beauvau.
Serge BERSTEIN, La France des années 30, Paris, Armand Colin, 1988 (2e éd.).
Daniel LEFEUVRE, Michèle MARGAIRAZ et Danielle TARTAKOWSKY, Histoire du Front populaire, Paris, Larousse, 2006.
Gérard NOIRIEL, Immigration, racisme et antisémitisme en France : discours publics, humiliations privées, Paris, Fayard, 2007.
Michel WINOCK, Nationalisme, antisémitisme et fascisme en France, Paris, Le Seuil, 1982 (rééd.2004).
L’Action française : Journal fondé en 1908 par Charles Maurras et Léon Daudet. Ce quotidien défend des thèses nationalistes, d'extrême-droite, anti-parlementaires, anti-républicaines et antisémites. Il sera mis à l'index par le pape Pie XI en 1926. Il soutient le régime de Vichy et sera interdit à la Libération en 1944. Les années disponibles sur Gallica, BNF
Vincent DOUMERC, « Léon Blum et le Front Populaire face aux attaques antisémites », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 11/12/2024. URL : https://histoire-image.org/etudes/leon-blum-front-populaire-face-attaques-antisemites
Lien à été copié
Découvrez nos études
La Révolution nationale ou le redressement de la « Maison France »
La défaite face à l'armée allemande (mai-juin 1940) signe la fin de la IIIe République et la…
Le Vel d’Hiv, invisible et inoubliable
Les 16 et 17 juillet 1942, l’opération « Vent printanier » [1] imaginée par l’occupant allemand et menée par…
Édouard Drumont, le chantre de l’antisémitisme dans la France de la fin du XIXe siècle
La photographie de Pierre Petit appartient à la célèbre collection Félix Potin. Ce précurseur dans le…
Vichy et la propagande
Du 23 au 25 septembre 1940, les Forces françaises libres du Général de Gaulle…
Les immigrés, éternels indésirables
Avec la crise économique mondiale qui touche la France en 1931, les thématiques xénophobes et…
La "Rafle du billet vert" 1/2
Parmi la centaine de clichés documentant la « rafle du billet vert » récemment réapparus, nombreux sont ceux qui…
Le complot juif contre l’Europe
Cette affiche de propagande nazie peut être datée de 1942. En effet, le pacte de non-agression germano-soviétique a été rompu…
Le Reich contre-attaque
Quand les Français découvrent sur les murs de leurs villes Voilà ce que le bolchevisme apporterait à l’Europe, les plus âgés ont…
L’exposition Le Juif et la France à Paris
Du 5 septembre 1941 au 5 janvier 1942, l’exposition intitulée « Le Juif et la France » se…
La Sarre entre la France et l’Allemagne
A l’issue de la Première Guerre mondiale, Clémenceau revendique le rattachement de la…
J. D. || Erreur de datation du document
Bonjour,
Il semblerait que le document de l'Action française ne soit pas bien daté. En effet, il fait référence à un incident de séance à la Chambre des Députés qui s'est produit le 05 avril 1938. Il ne peut donc dater de 1937, comme indiqué sur le site.
Cordialement,
Ajouter un commentaire
Mentions d’information prioritaires RGPD
Vos données sont sont destinées à la RmnGP, qui en est le responsable de traitement. Elles sont recueillies pour traiter votre demande. Les données obligatoires vous sont signalées sur le formulaire par astérisque. L’accès aux données est strictement limité aux collaborateurs de la RmnGP en charge du traitement de votre demande. Conformément au Règlement européen n°2016/679/UE du 27 avril 2016 sur la protection des données personnelles et à la loi « informatique et libertés » du 6 janvier 1978 modifiée, vous bénéficiez d’un droit d’accès, de rectification, d’effacement, de portabilité et de limitation du traitement des donnés vous concernant ainsi que du droit de communiquer des directives sur le sort de vos données après votre mort. Vous avez également la possibilité de vous opposer au traitement des données vous concernant. Vous pouvez, exercer vos droits en contactant notre Délégué à la protection des données (DPO) au moyen de notre formulaire en ligne ( https://www.grandpalais.fr/fr/form/rgpd) ou par e-mail à l’adresse suivante : dpo@rmngp.fr. Pour en savoir plus, nous vous invitons à consulter notre politique de protection des données disponible ici en copiant et en collant ce lien : https://www.grandpalais.fr/fr/politique-de-protection-des-donnees-caractere-personnel