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Agriculture, sucrerie et affinage des sucres

Agriculture, sucrerie et affinage des sucres

Sucrerie

Sucrerie

Une sucrerie à la Guadeloupe, ancien système

Une sucrerie à la Guadeloupe, ancien système

Agriculture, sucrerie et affinage des sucres

Agriculture, sucrerie et affinage des sucres

Date de création : 1762

H. : 55 cm

L. : 32,5 cm

Domaine : Estampes-Gravures

Ministère de la Culture - Médiathèque du Patrimoine, Dist. RMN - Grand Palais / image RMN-GP

http://www.photo.rmn.fr

15-652447 / ENCYCLOPEDIE;TOME01

Images de l’habitation-sucrerie aux Antilles françaises du XVIIe au XIXe siècle

Date de publication : Janvier 2018

Auteur : Matthieu DUSSAUGE

Les origines de l’habitation coloniale française

Depuis les débuts de la colonisation française en Amérique et dans l'océan Indien au XVIIe siècle, le terme habitation a été employé pour désigner un lieu de résidence permanent couplé à une exploitation agricole. Elle comprend l’ensemble des bâtiments domestiques et industriels, les terres cultivées ou non, les esclaves et le bétail. Aux Antilles, les colons cultivent d’abord le tabac, l’indigo, le coton, le café, le cacao puis la canne à sucre qui prend rapidement le pas sur les autres cultures.

D’abord modeste par sa superficie, par l’ampleur et la qualité des bâtiments qui la composent, l’habitation tend progressivement à se standardiser. Dès le XVIIe siècle, les récits des premiers missionnaires dominicains s’attachent à décrire notamment les entreprises des premiers colons. La gravure sur cuivre présentée ici et intitulée « Sucrerie », est la 9e planche de l’ouvrage du père Jean-Baptiste Du Tertre Histoire générale des Antilles habitées par les Français paru en 1667. Le dessin et la gravure sont dus à Sébastien Leclerc, dit l’Ancien (1637-1714). Au XVIIIe siècle, les récits du père Labat[1] donnent des descriptions de plus en plus précises des habitations et notamment de la manière de les organiser et de les administrer.

L’Encyclopédie[2] regroupe finalement l’ensemble des connaissances sur les cultures coloniales en y apportant des précisions techniques détaillées. L’article « Sucrerie » de l’Encyclopédie présentée ici a été rédigé par Jean-Baptiste-Pierre Le Romain, un ingénieur français vivant à la Martinique, en 1765.

Enfin, les représentations peintes ou gravées d’habitations se multiplient principalement au XIXe siècle, non plus dans un souci descriptif mais plutôt pour satisfaire une vision romantique de la vie aux îles. La troisième gravure, intitulée Une sucrerie à la Guadeloupe, ancien système, a été réalisée d’après un dessin d’ Evremond de Bérard (1824-1881), peintre originaire de Guadeloupe, entre 1852 et 1856. La mention « ancien système » indique que la gravure fut réalisée et publiée bien plus tard, sans doute dans les années 1880, à une époque où la production industrialisée de sucre de canne se faisait à la vapeur.

L’organisation de l’habitation-sucrerie au XVIIe siècle

Botaniste de formation, le père du Tertre a voulu faire figurer au premier plan de cette planche quelques espèces végétales habituellement présentes dans l’environnement des habitations-sucreries dont les différentes composantes occupent le reste de l’image. Une légende au bas de la gravure permet d’identifier les différents éléments représentés.

Il ne s’agit ici d’une reconstitution destinée à illustrer la description faire par l’auteur. Les échelles sont ainsi faussées afin de permettre à tous les éléments de figurer ensemble sur une même vue.

Les éléments reconnaissables sont la maison du maître (en haut à droite de l’image), le moulin à bêtes servant à broyer les cannes à sucre pour en tirer le jus (à gauche de la maison du maître), la sucrerie en elle-même avec ses chaudières (au centre de l’image), un alambic (nommé vinaigrerie dans la légende et située en contrebas de la sucrerie), les « cases à nègres » (en bas à droite de l’image), enfin les champs de cannes à sucre (à gauche de l’image).

L’image est peuplée d’esclaves noirs au travail encadrés par un contremaître blanc armé d’un bâton qui dirige les opérations.

L’habitation-type du XVIIIe siècle

Les planches qui accompagnent la description de l’article « Sucrerie » de l’Encyclopédie regroupent des vues d’artiste et des dessins techniques détaillés. La partie supérieure de cette planche est occupée par une vue imaginaire illustrant la configuration idéale d’une habitation décrite dans l’article. La maison du maître (en haut à droite de l’image) est située en hauteur, dominant l’ensemble des installations. Les cases à nègres (en bas à droite de l’image) sont en contrebas, organisées autour d’axes rectilignes, les fameuses « rues cases-nègres ». Les bâtiments dédiés à la production de sucre (à gauche de l’image) regroupent le moulin à eau (autre moyen alternatif ou complémentaire du moulin à bêtes pour broyer les cannes) relié à la sucrerie abritant les chaudières. Au-dessus, sont représentées la purgerie et l’étuve, bâtiments consacrés au raffinage et au séchage du sucre. La partie centrale est occupée par la savane (partie de l’habitation non-cultivée) au premier plan et par les champs de cannes à l’arrière. L’image est peuplée mais il paraît difficile de distinguer les esclaves au travail. Au premier plan, un esclave noir semble même s’adonner à la pêche dans un cours d’eau !

Une habitation à la Guadeloupe au XIXe siècle

On retrouve dans cette gravure du XIXe siècle les différents éléments caractéristiques de ce qui semble être une habitation-sucrerie de taille modeste. L’ordonnancement des différents bâtiments n’est pas sans rappeler celui de la planche de l’Encyclopédie examinée plus haut. Notons que le moulin servant à broyer les cannes est ici un moulin à vent qui, au cours du XIXe siècle, vint souvent s’adjoindre efficacement au moulin à bêtes toujours en fonction. Les bâtiments en contrebas du moulin comprennent la sucrerie à gauche, la purgerie et l’étuve à droite. Les foyers de chacune de ces unités pourvues d’une cheminée sont alimentés par la bagasse (résidus séchés de canne broyée) dont on voit un amas considérable au premier plan.

D’une vision schématique à une vision romantique de l’habitation

De toute évidence l’auteur de la première planche n’a pas accompagné le père Du Tertre dans ses voyages. Ainsi la maison du maître est représentée avec des dimensions très importantes et paraît construite en pierre. Or, aux premiers temps de la colonisation les investissements des habitants sont modiques et les maisons construites sommairement avec des matériaux périssables trouvés sur place.

De même, la sucrerie n’est représentée que par un équipage[3]placé sous un abri. Cette représentation minimaliste de l’habitation donne au lecteur une vision simplifiée de son fonctionnement global mais suggère aussi une prospérité importante pour les propriétaires.

La vue d’artiste de la planche de l’Encyclopédie est destinée à donner le cadre global d’une habitation-sucrerie dont chaque composante se trouve ensuite décrite précisément. L’esprit des Lumières qui anime la publication de l’Encyclopédie explique peut-être pourquoi il n’y a aucune représentation précise du travail contraint et fortement encadré des esclaves noirs. Pourtant, dans son article, l’auteur ne manque pas de faire état de ses préjugés vis-à-vis des noirs qu’il décrit comme une « espèce d'hommes extrêmement vicieuse, très rusée et d'un naturel paresseux ». On est loin ici de l’esprit humaniste des Lumières …

Il est difficile de dire de quelle habitation précise Evremond de Bérard s’est inspiré pour réaliser son dessin. Les éléments qui la constituent ont très probablement été empruntés à des lieux différents. On connaît par ailleurs cette tendance de Bérard, peintre habitué à collaborer à des journaux de voyages, à s’arranger avec la réalité afin de mieux illustrer le propos d’un article. La taille imposante de la maison du maître, l’emplacement aéré des cases des travailleurs (il s’agit de travailleurs libres à l’époque et non plus d’esclaves), le paysage bucolique dans lequel baignent les installations d’aspect rustique, tout concorde à donner une vision romantique de la vie aux îles. Cette prospérité apparente tranche avec les difficultés économiques rencontrées à cette époque par la plupart des petites habitations. L’abolition de l’esclavage, le passage à la vapeur puis le regroupement de la production de sucre au sein d’usines centrales provoquèrent la fermeture de nombreuses petites unités.

Histoire générale des Antilles habitées par les Français, Jean-Baptiste du Tertre, 1667

Nouveau Voyage aux isles Françoises de l'Amérique, Jean-Baptiste Labat, 1722

L’Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers, éditée de 1751 à 1772 sous la direction de Diderot et D’Alembert.

Histoire de l'industrie sucrière en Guadeloupe (XIXe-XXe siècles), « La crise du système esclavagiste, 1835-1847 », Tome 1, Christian Schnakenbourg, 1980.

[1] Jean-Baptiste Labat (1663-1738), missionnaire dominicain et propriétaire terrien, à la fois botaniste, explorateur u encore ingénieur, rédige en 1722 le Nouveau Voyage aux isles Françoises de l'Amérique.

[2] L’Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers est éditée de 1751 à 1772 sous la direction de Diderot et D’Alembert.

[3] On appelle « équipage » l’ensemble des chaudières (ici quatre) destinées à faire chauffer le jus de canne jusqu’à sa cristallisation.

Matthieu DUSSAUGE, « Images de l’habitation-sucrerie aux Antilles françaises du XVIIe au XIXe siècle », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 29/03/2024. URL : histoire-image.org/etudes/images-habitation-sucrerie-antilles-francaises-xviie-xixe-siecle

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