Jean-François Paul de Gondi
Auteur : ROUSSELET Gilles
Lieu de conservation : musée national du château de Versailles (Versailles)
site web
Date représentée : Avant 1652
H. : 38,5 cm
L. : 50,3 cm
Dessin : Sébastien Bourdon.
Gravure au burin.
Domaine : Estampes-Gravures
© GrandPalaisRmn (Château de Versailles) / Gérard Blot
INV.GRAV.LP 29bis.7 - 02-009162
Un Frondeur invétéré : le cardinal de Retz
Date de publication : Juin 2018
Auteur : Jean HUBAC
Graver un prince de l’Église
Gilles Rousselet (1610-1686) est un illustre représentant du monde des graveurs du Grand Siècle. Il participe en particulier à la diffusion de la gravure d’interprétation, qui consiste à reproduire une œuvre peinte, au contraire de la gravure d’invention. Destinées à une clientèle de riches bourgeois ou de parlementaires, ces gravures avaient vocation à servir de support à la reproduction et à la diffusion de peintures.
Réputé pour la finesse de son dessin et pour son habileté à manier le burin, Gilles Rousselet accomplit sa carrière à Paris et réalise des gravures d’œuvres de Charles Le Brun, Jacques Stella, Sébastien Bourdon… C’est ainsi qu’il grava le portrait de Jean-François-Paul de Gondi à plusieurs reprises, en particulier d’après une peinture de Nicolas Loir. D’autres graveurs participèrent à la multiplication du portrait de Gondi au milieu du XVIIe siècle, contribuant ainsi à diffuser une image popularisée du prélat parisien (Michel Lasne, Robert Nanteuil, Claude Mellan, Grégoire Huret, Jean Morin…).
La riche gravure qui représente Gondi avec deux de ses parents est inspirée d’une œuvre du peintre Sébastien Bourdon (1616-1671). Sa datation peut être fixée aux années précédant l’accession de Gondi au cardinalat. En effet, Gondi apparaît sans barrette sur la tête ; il n’est donc à ce moment-là sans doute pas encore élevé à la dignité de cardinal – ce qu’il devient en février 1652.
La mise en scène de la transmission
La gravure est construite selon un sens de lecture qui remonte le cours du temps. Deux groupes se distinguent de gauche à droite. À gauche, le médaillon représentant Jean-François-Paul de Gondi est porté par trois jeunes femmes admiratrices. À droite, les médaillons des portraits d’Henri de Gondi et de Jean François de Gondi sont respectivement soutenus par deux femmes difficilement identifiables, et par une allégorie du martyre tenant une palme et une allégorie de l’autorité tenant un faisceau de licteur antique.
La trompette portée par la Renommée – qui établit le lien entre les deux parties de la gravure – proclame les vertus de Gondi auprès de ses prédécesseurs, comme s’il s’agissait de chanter les louanges du jeune prélat en direction de ses illustres ancêtres. Les rapports de filiation sont ainsi symboliquement inversés : la gloire remonte le cours du temps pour rejaillir sur la parentèle du jeune prodige mitré. Les deux oncles de Gondi, Henri, évêque de Paris de 1598 à 1622 et premier cardinal de Retz en 1618 (en haut), et Jean François, archevêque de Paris de 1622 à 1654 (en bas), apparaissent comme deux figures légitimantes de l’autorité ecclésiastique du jeune Gondi. Aux pieds de Jean François, le plan d’une église renvoie peut-être à l’inauguration des églises Saint-Étienne-du-Mont et Saint-Eustache à Paris durant sa prélature. Cependant, le jugement que laissera son neveu de lui dans ses Mémoires est particulièrement peu flatteur.
Gondi est quant à lui admiré par une Minerve casquée. Les instruments de la mesure du monde (outils du géomètre dans le coin inférieur gauche, éléments architecturaux antiques formant un décor disparate mais grandiose) marquent les prétentions du prélat parisien à appréhender le monde par la raison et par la science, à mettre la pratique des vertus au service de son ascension sociale, ecclésiastique et politique.
Les animaux symbolisent l’intersection à laquelle Gondi se place, entre la fidélité à une filiation épiscopale (le chien) et la gloire personnelle acquise par sa propre élévation (l’aigle).
Le portrait d’un frondeur invétéré
Gilles Rousselet met en scène la filiation entre le cardinal de Retz et ses deux prédécesseurs sur le siège épiscopal de Paris. Issu d’une influente famille d’origine florentine installée en France depuis le siècle précédent et fortement liée au renouveau catholique en France, Jean-François-Paul de Gondi hérite de l’archevêché de Paris. Ses parents (ascendants et collatéraux) cumulent les charges prestigieuses (maréchal de France, général des galères, cardinal). Dans la famille depuis 1568, l’évêché puis l’archevêché (après 1622) de Paris est successivement occupé par le grand-oncle du cardinal de Retz, Pierre de Gondi, puis par deux de ses oncles, que Rousselet représente ici.
Né en 1613, Gondi entre dans la carrière ecclésiastique avec brio, sans renoncer pour autant aux aventures galantes. Il devient coadjuteur de son oncle l’archevêque de Paris en 1643, c’est-à-dire à la fois son adjoint et son successeur désigné. C’est à ce poste qu’il s’engage avec passion dans la Fronde à partir de 1648, nourri par une farouche opposition au cardinal Mazarin. Une des chevilles ouvrières de la Fronde, il négocie son propre accès au cardinalat comme prix de son ralliement au roi. Celui-ci ne lui pardonnera d’ailleurs pas son attitude tumultueuse et opportuniste durant les années de Fronde. La gravure de Rousselet participe ainsi de l’entreprise de glorification orchestrée autour de la figure du coadjuteur de Paris.
Gondi est promu cardinal en février 1622, et ne parvient pas à contenir ses prétentions alors que le pouvoir royal sort affermi de la guerre civile. Son arrestation sur ordre du roi le 19 décembre 1652 met un terme à son influence politique et mondaine. Après une période d’incarcération, il est contraint à l’exil et à l’errance, tout en essayant de rétablir son influence à Paris. Finalement, en acceptant de renoncer au siège archiépiscopal de Paris en 1662, il peut regagner la France, où il se tourne vers les bonnes œuvres et vers l’écriture rétrospective de soi, ses Mémoires, rédigés de 1675 à 1677, lui permettant d’accéder à une gloire posthume.
Figure éminente de la « folle liberté des baroques », selon l’expression de Jean-Marie Constant, « Retz aura été tout à la fois un orateur, un pamphlétiste et un causeur, un dignitaire de l’Église, un séducteur, un négociateur et un conspirateur » (Malina Stefanovska).
BERTIÈRE Simone, La vie du cardinal de Retz, Paris, Éditions de Fallois, 2008 (1re éd. 1990).
CARDINAL DE RETZ, Œuvres, éd. établie par HIPP Marie-Thérèse et PERNOT Michel, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade » (no 53), 1984.
MEYER Véronique, L’œuvre gravé de Gilles Rousselet, graveur parisien du XVIIe siècle : catalogue général avec les reproductions de 405 estampes, Paris, Commission des travaux historiques de la ville de Paris / Paris Musées, coll. « Histoire générale de Paris : collection de documents », 2004.
STEFANOVSKA Malina, « Se voir à travers l’autre : Retz juge de Gondi », Écrire l’histoire, no 6 (Morales [2]), 2010, p. 115-124, DOI : https://doi.org/10.4000/elh.835.
Jean HUBAC, « Un Frondeur invétéré : le cardinal de Retz », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 23/11/2024. URL : https://histoire-image.org/etudes/frondeur-invetere-cardinal-retz
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