Aller au contenu principal
La Famille de Charles IV

La Famille de Charles IV

Date de création : 1800

Date représentée : 1800

H. : 280 cm

L. : 336 cm

Huile sur toile.

Domaine : Peintures

Domaine Public © CC0 Museo Nacional del Prado

Lien vers l'image

P000726

  • La Famille de Charles IV
  • La Famille de Charles IV
  • La Famille de Charles IV
  • La Famille de Charles IV

La Famille de Charles IV

Date de publication : Septembre 2022

Auteur : Paul BERNARD-NOURAUD

La dynastie des Bourbons d’Espagne dans la tourmente postrévolutionnaire

En 1800, la dynastie des Bourbons a supplanté celle des Habsbourg sur le trône d’Espagne depuis exactement un siècle. Quelques mois seulement après avoir accédé au trône, en décembre 1788, Charles IV apprend avec stupeur qu’une révolution secoue la France. Il ordonne aussitôt à son secrétaire d’État, le comte de Floridablanca, de fermer la frontière des Pyrénées et de clore précipitamment les activités du Parlement de Madrid (les Cortes), craignant que la contagion révolutionnaire ne gagne le royaume d’une manière ou d’une autre. Lorsque Louis XVI est exécuté à Paris, le 21 janvier 1793, le roi d’Espagne engage son pays dans la coalition antirévolutionnaire. Mais les revers militaires obligent le monarque à conclure la paix en 1795, et une alliance avec le Directoire l’année suivante, tâche qu’il confie à son nouveau secrétaire d’État, nanti du titre de « prince de la paix », Manuel Godoy (1767-1851)

Lorsque Francisco de Goya, devenu premier peintre du roi un an plus tôt après avoir commencé sa carrière auprès du monarque en 1786, peint La Famille de Charles IV, celle-ci n’affiche plus guère la superbe dont Louis-Michel van Loo avait investi, en 1743, celle du fondateur de la dynastie, Philippe V, dans un précédent portrait de famille . Elle ne fait pas même montre de la sobre majesté qui émanait des Ménines un siècle et demi auparavant, au temps de Philippe IV le Grand.

Une galerie de portraits sans unité

La comparaison de La Famille de Charles IV avec ses illustres précédents, ceux de Velázquez et de Van Loo, de même qu’avec le genre du portrait de groupe, accuse la rupture que Goya entreprend ici de consommer. Chaque portrait individuel (dont le musée du Prado expose les esquisses préparatoires) paraît n’entretenir qu’un rapport ténu avec ses semblables. Certes, le jeune Charles de Bourbon, en habit rouge à droite de la composition, glisse timidement une main sur la hanche de son frère aîné, le futur Ferdinand VII (détail 1) ; certes, leur mère, Marie-Louise de Bourbon-Parme, au centre, tient à ses côtés sa fille Marie-Isabelle et son cadet, François de Paule(détail 2) ; certes, son autre fille, Marie-Louise d’Étrurie porte dans ses bras Charles Louis, tout juste né, mais sans affection réelle et en regardant dans le vide, à l’instar du roi lui-même (détail 3). L’éclairage en clair-obscur pour lequel a opté Goya nimbe les différents personnages de la scène d’une atmosphère partagée, mais elle confère au luxe de leurs habits un éclat qui semble les isoler plus encore, comme s’ils étaient pris sous un feu puissant et zébrés des touches lestes du peintre. La sensation de disparité qui se dégage de l’ensemble se double alors d’un sentiment de vulnérabilité que renforce la figuration en pieds des différentes figures, comme si le peintre, au lieu de leur accorder les égards de la représentation, les avait placés contre un mur orné de tableaux obscurs afin de mieux les exposer à une lumière trop forte pour eux. Seul le peintre (détail 1), à gauche de la composition, demeure intégralement dans l’ombre derrière son tableau posé comme dans Les Ménines de Diego de Velázquez, à la manière d’un observateur à la fois discret et visible, courtisan et critique.

Une famille royale dépouillée de sa majesté

Tout se passe donc, dans le tableau de Goya, comme si celui-ci avait repris les codes du tableau de famille royale à seule fin de les vider de leur substance. Ainsi que l’a relevé André Malraux, en appliquant un réalisme nouveau au registre du royal, Goya a déchu ce type de peinture de sa notion centrale : la majesté. En sorte que le peintre semble moins représenter la splendeur d’une dynastie que présenter une galerie de spécimens, qu’aucune contre-figure (telles les personnes naines des Ménines) ne prémunit plus des railleries ni des attaques. Sous l’œil lucide de Goya, les membres de la famille royale réunies au château d’Aranjuez en mai 1800 paraissent hésiter entre l’angoisse et le soulagement un peu béat d’avoir échappé au sort de leurs cousins français. Au moins provisoirement, car huit ans seulement après, la famille autrefois réunie se déchire : Ferdinand VII se débarrasse de Godoy, tente d’évincer son père à son profit, tandis que Napoléon Ier espère porter un coup fatal à la dynastie en envahissant l’Espagne pour y placer son frère Joseph. Si pourtant le roi lui-même s’est montré satisfait du tableau, peut-être est-ce, comme l’a cruellement suggéré Lionello Venturi, parce que lui et les membres de sa famille étaient reproduits tels qu’ils étaient, mais qu’« ils ne savaient ce qu’ils étaient en fait. » Ils ignoraient (ou feignaient d’ignorer) qu’à tous les niveaux le pouvoir leur échappait, qu’il résidait désormais ailleurs – hors cadre. Le pouvoir politique effectif, en premier lieu, celui de Manuel Godoy, protecteur de Goya et amant de la reine que son époux venait de réintégrer dans ses fonctions de secrétaire d’État. Le pouvoir politique à venir, ensuite, celui du peuple espagnol qui allait se battre contre l’envahisseur français et pour la monarchie impuissante. Le pouvoir politique des images enfin, que Goya semble ici garder en réserve, dans l’ombre, lui qui allait créer, une dizaine d’années plus tard, les premiers tableaux d’histoire où le peuple tient le premier rôle et ses dirigeants plus aucun.

Rose-Marie et Rainer HAGEN, Francisco Goya 1746-1828. Au seuil du modernisme [2003], Cologne, Taschen, 2012.

Edith HELMAN, Trasmundo de Goya [1963], Madrid, Alianza, 1993.

Werner HOFMANN, Goya. Du ciel à l’enfer en passant par le monde, Paris, Hazan, 2014.

André MALRAUX, Saturne. Essai sur Goya, Paris, Gallimard, 1950.

Lionello VENTURI, Peintres modernes. Goya, Constable, David, Ingres, Delacroix, Corot, Daumier, Courbet, Paris, Albin Michel, 1941.

Paul BERNARD-NOURAUD, « La Famille de Charles IV », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 24/04/2024. URL : histoire-image.org/etudes/famille-charles-iv

Ajouter un commentaire

HTML restreint

  • Balises HTML autorisées : <a href hreflang> <em> <strong> <cite> <blockquote cite> <code> <ul type> <ol start type> <li> <dl> <dt> <dd> <h2 id> <h3 id> <h4 id> <h5 id> <h6 id>
  • Les lignes et les paragraphes vont à la ligne automatiquement.
  • Les adresses de pages web et les adresses courriel se transforment en liens automatiquement.
CAPTCHA
Cette question sert à vérifier si vous êtes un visiteur humain ou non afin d'éviter les soumissions de pourriel (spam) automatisées.

Mentions d’information prioritaires RGPD

Vos données sont sont destinées à la RmnGP, qui en est le responsable de traitement. Elles sont recueillies pour traiter votre demande. Les données obligatoires vous sont signalées sur le formulaire par astérisque. L’accès aux données est strictement limité aux collaborateurs de la RmnGP en charge du traitement de votre demande. Conformément au Règlement européen n°2016/679/UE du 27 avril 2016 sur la protection des données personnelles et à la loi « informatique et libertés » du 6 janvier 1978 modifiée, vous bénéficiez d’un droit d’accès, de rectification, d’effacement, de portabilité et de limitation du traitement des donnés vous concernant ainsi que du droit de communiquer des directives sur le sort de vos données après votre mort. Vous avez également la possibilité de vous opposer au traitement des données vous concernant. Vous pouvez, exercer vos droits en contactant notre Délégué à la protection des données (DPO) au moyen de notre formulaire en ligne ( https://www.grandpalais.fr/fr/form/rgpd) ou par e-mail à l’adresse suivante : dpo@rmngp.fr. Pour en savoir plus, nous vous invitons à consulter notre politique de protection des données disponible ici en copiant et en collant ce lien : https://www.grandpalais.fr/fr/politique-de-protection-des-donnees-caractere-personnel

Partager sur

Découvrez nos études

Le scandale de la réalité

Le scandale de la réalité

En 1863, Victorine Meurent, modèle préféré de Manet dans les années 1860, pose pour ce nu jugé à l’époque comme le plus scandaleux des nus…

Le Trois mai 1808

Le Trois mai 1808

Le soulèvement des Madrilènes et ses conséquences

Le 2 mai 1808, apprenant l’abdication du trône d’Espagne de leur roi, Charles IV, en faveur de…

La Famille de Charles IV

La Famille de Charles IV

La dynastie des Bourbons d’Espagne dans la tourmente postrévolutionnaire

En 1800, la dynastie des Bourbons a supplanté celle des Habsbourg sur le…

Regard sur la folie

Regard sur la folie

Ces deux toiles appartiennent à un ensemble de dix portraits d’aliénés (dont cinq actuellement perdus ou détruits) peints par Géricault vers 1820…

Regard sur la folie
Regard sur la folie
Exécution de l'empereur Maximilien. Queretaro, 19 juin 1867

Exécution de l'empereur Maximilien. Queretaro, 19 juin 1867

L'exécution de l'empereur Maximilien constitue le dernier épisode de la guerre du Mexique. Archiduc d'Autriche et frère de François-Joseph, il…

L’exécution de l’empereur Maximilien du Mexique

L’exécution de l’empereur Maximilien du Mexique

L’écho de la mort d’un empereur

Le 8 juillet 1867, Le Figaro informe ses lecteurs français de l’exécution de l’empereur Maximilien du Mexique,…

Don Quichotte par Daumier et Doré

Don Quichotte par Daumier et Doré

La mode pour l’Espagne et l’attrait pour la figure de Don Quichotte

Du Barbier de Séville, donné par Beaumarchais en 1775, à Carmen de Georges…

Don Quichotte par Daumier et Doré
Don Quichotte par Daumier et Doré
Le Printemps des peuples en Allemagne

Le Printemps des peuples en Allemagne

La France, foyer de la révolution européenne

En mars 1848, le continent européen s’embrase à nouveau, de Vienne à Venise en passant par Prague et…

Les redditions

Les redditions

Général invaincu depuis Toulon malgré quelques victoires douteuses comme Marengo, Napoléon grâce à ses talents militaires fut en mesure d’écraser…

Les redditions
Les redditions
Le baron Taylor

Le baron Taylor

Né à Bruxelles en 1790, Isidore Taylor est issu d’une famille irlandaise venue s’établir en France sous la Révolution. Artiste, savant,…