Elisabeth de Cazotte sauve la vie de son père à la prison de l'abbaye
Mort de la princesse de Lamballe.
Elisabeth de Cazotte sauve la vie de son père à la prison de l'abbaye
Auteur : THÉVENIN Claude-Noël
Lieu de conservation : musée national du château de Versailles (Versailles)
site web
Date de création : 1834
Date représentée : 23 septembre 1792
H. : 236 cm
L. : 261 cm
Personnes représentées : Élisabeth Cazotte, Jacques Cazotte.
Huile sur toile.
Domaine : Peintures
© RMN-Grand Palais (Château de Versailles) / Gérard Blot
MV 7061 - 94-051881
Les débuts de la Terreur
Date de publication : Octobre 2003
Auteur : Jérémie BENOÎT
L’historiographie révolutionnaire, très développée au XIXe siècle bien qu’elle prît souvent la forme des opinions professées par ses auteurs, qu’ils soient de gauche (Michelet) ou de droite (Taine), passa rapidement dans l’iconographie sous forme d’événements extraits de leur contexte. Les sujets de Mademoiselle Cazotte et de la princesse de Lamballe en sont des exemples bien connus. Ils se situent au moment de la chute de la monarchie (10 août 1792) et des terribles massacres de septembre. Les élections à la Convention se sont soldées par la proclamation de la République, le 21 septembre, au lendemain de la victoire de Valmy. Le peuple de Paris poussait à la refonte totale des structures politiques de la France, accusant, non sans raison, la monarchie d’avoir profité de la guerre, pourtant déclarée par les Girondins : « Les imbéciles ! Ils ne voient pas que c’est nous servir », avait dit la reine.
Les deux événements représentés révèlent les graves tensions sociales de cette période, où les opposants à la Révolution et les aristocrates étaient accusés de tous les maux. Les massacres de septembre furent le point de départ de l’éradication de la noblesse en France. Ils anticipaient sur la Terreur, véritable lutte à outrance contre une noblesse ennemie de la Révolution. Les dérives en sont bien connues : ce furent en effet les sans-culottes qui payèrent le plus lourd tribut à la guillotine.
Elisabeth de Cazotte sauve la vie de son père à la prison de l’Abbaye de Claude-Noël Thévenin
Jacques Cazotte (1719-1792), littérateur préromantique maître du fantastique (Le Diable amoureux, 1772), était hostile à la Révolution. Enfermé à la prison de l’Abbaye à Paris, il évita de justesse l’exécution sommaire, grâce à l’intervention de sa fille qui accepta de boire du sang. Ce qui ne l’empêcha pas de mourir guillotiné deux jours après, officiellement condamné par le Tribunal révolutionnaire. La scène a été relatée en particulier par Gérard de Nerval dans Les Illuminés (1852). Mais le tableau est antérieur à cette publication. Thévenin oppose les figures lumineuses de Cazotte et de sa fille à celles de leurs bourreaux. L’œuvre se veut à la fois réaliste et religieuse, ainsi que le montre le regard tourné vers le ciel de l’écrivain. La mort en Dieu – la jeune fille apparaît comme l’image matérialisée de la pureté – arrête la main des assassins : l’hésitation des sans-culottes de droite s’oppose à l’ordre donné à gauche. La liaison entre les deux parties du tableau se fait autour du regard du vieillard qui entraîne la main d’un sans-culotte brisant l’élan d’une hache. Ce nœud de gestuelle et de regards est le dernier reste des registres de la peinture classique, registres qui partaient de la réalité située dans le bas des tableaux jusqu’au niveau divin situé dans le haut. Œuvre romantique, le tableau marque encore l’idée de la supériorité de Dieu sur la réalité.
Mort de la princesse de Lamballe de Léon-Maxime Faivre
Tout cela se trouve très estompé dans l’œuvre de Faivre, inspirée d’un passage de l’Histoire de la Révolution de Michelet, ainsi que le rappelle le livret du Salon de 1908. Le tableau représente une scène plutôt violente, alors que Michelet, très littéraire, ménage le peuple exécuteur, qu’il soutient, tout en magnifiant la princesse, « nue comme Dieu l’avait faite ». Faivre, simple illustrateur du texte de l’historien, accentue cependant le clivage entre les protagonistes, que Michelet au contraire s’applique à minimiser. Cette scène réaliste, objective, montre dans toute sa violence l’après-exécution, la foule assemblée autour du cadavre dévêtu ; ce n’est que dans le fond que surgissent les sabres des tortionnaires. Faivre évite soigneusement de montrer la décapitation elle-même, trop dure, et qui aurait dévalorisé le peuple dans son combat de justice. L’œuvre date de 1908, c’est-à-dire de l’époque de la république victorieuse. Si l’esprit diffère de Michelet à Faivre, c’est aussi que le premier est un romantique, tandis que Faivre est un homme de la démocratie capitaliste et du matérialisme triomphants. Pourtant, l’artiste oppose la pureté d’un corps de femme dévêtue (elle est nue dans l’esquisse du musée de Vizille) transcendée par la mort à la rusticité du petit peuple de Paris.
Ces deux œuvres s’inspirent de drames vécus par des femmes lors des événements de septembre 1792. Mais ces femmes sont opposées à la Révolution. L’une passive, assassinée pour avoir été l’amie de la reine, l’autre, active, tentant de sauver son père dans une attitude empreinte d’honneur et de religiosité. Deux tableaux, deux époques. Si celui de Thévenin se présente de façon classique, mettant en lumière des héros transfigurés par l’amour filial alors qu’ils sont environnés de sans-culottes déchaînés, symboles de mort, celui de Faivre est totalement objectif dans sa représentation. S’il ménage un peuple prenant conscience de ses excès, il transfigure aussi la princesse de Lamballe, figure irradiée de lumière par la mort. Thévenin est sans doute critique à l’égard des révolutionnaires les plus durs parce que l’artiste réalise son œuvre sous Louis-Philippe, souverain du juste milieu. Avec Faivre, la République entame son autocritique : elle ne condamne pas le peuple, dont le combat est jugé légitime, mais elle observe ses excès et reconnaît ses erreurs. C’est le sens conféré par le peintre aux figures des poissardes et des enfants, ceux-ci symbolisant l’avenir. La démocratie ne peut se contenter de crimes, ce qu’exprime le geste accusateur de la vieille femme qui indique le corps nu de la princesse à un commissaire politique. La république ne peut se fonder sur l’assassinat. En ce sens, Thévenin et Faivre se rejoignent.
François FURET« Louis XVI » in Dictionnaire critique de la Révolution française Paris, Flammarion, 1988, rééd.coll.« Champs », 1992.
Evelyne LEVER, Louis XVI, Paris, Fayard, 1985.
Alexis PHILOMENKO, La Mort de Louis XVI, Paris, Bartillat, 2000.
Michaël WALTZER, Régicide et révolution. Le procès de Louis XVI, discours et controverse, Paris, Payot, 1999.
Claire CONSTANS, Musée national de Versailles, tome I « Les Peintures » Paris, RMN, 1995.
Catalogue de l’exposition, La Révolution française et l’Europe, Grand Palais, tome II « L’événement révolutionnaire »Paris, RMN, 1989.
Jérémie BENOÎT, « Les débuts de la Terreur », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 21/11/2024. URL : https://histoire-image.org/etudes/debuts-terreur
Lien à été copié
Découvrez nos études
Les débuts de la Terreur
L’historiographie révolutionnaire, très développée au XIXe siècle bien qu’elle prît souvent la forme des opinions professées par ses…
La prise de la Bastille, le 14 juillet 1789
La menace d’un complot aristocratique suite à la réunion des états généraux, la nouvelle du renvoi du ministre Necker, le 11 juillet, dénoncé par…
L'Hôtel de ville de Paris : du lieu des révolutions à celui des célébrations
De 1789 à 1794, l’Hôtel de Ville a abrité le Comité de salut public. En juillet 1830, la…
L'arrestation du gouverneur de la Bastille, le 14 juillet 1789
A Paris, la nouvelle du renvoi de Necker le 11 juillet 1789 provoque de nombreuses manifestations. Le 14, à la suite du refus du gouverneur des…
La Bastille dans les premiers jours de sa démolition
Ce tableau constitue l’une des premières représentations artistiques des événements de la Révolution française. Le…
La Chute de la royauté
A l’été 1792, les conflits intérieurs s’aggravent avec les défaites militaires : l’Assemblée crée un camp des Fédérés près de Paris. Le roi y…
Les Massacres de septembre
Moment capital dans l’histoire de la Révolution française, la journée du 10 août 1792 marque, de fait, la fin de la monarchie et le début de la…
Le vin symbole de la Nation
Le 17 juin 1789, le Tiers État se proclame Assemblée nationale. Le 9 juillet, Louis XVI est contraint à la…
L'abolition aux Antilles
A Saint-Domingue l’esclavage est caractérisé par l’arrivée constante de nouveaux esclaves du fait de l’ampleur de la traite. On évalue entre 500…
Attaque de l'Hôtel de Ville de Paris, le 28 juillet 1830
L’Attaque de l’Hôtel de Ville de Paris, comme toutes les toiles commandées à l’aube de la monarchie de Juillet, est une œuvre de propagande. Pour…
Ajouter un commentaire
Mentions d’information prioritaires RGPD
Vos données sont sont destinées à la RmnGP, qui en est le responsable de traitement. Elles sont recueillies pour traiter votre demande. Les données obligatoires vous sont signalées sur le formulaire par astérisque. L’accès aux données est strictement limité aux collaborateurs de la RmnGP en charge du traitement de votre demande. Conformément au Règlement européen n°2016/679/UE du 27 avril 2016 sur la protection des données personnelles et à la loi « informatique et libertés » du 6 janvier 1978 modifiée, vous bénéficiez d’un droit d’accès, de rectification, d’effacement, de portabilité et de limitation du traitement des donnés vous concernant ainsi que du droit de communiquer des directives sur le sort de vos données après votre mort. Vous avez également la possibilité de vous opposer au traitement des données vous concernant. Vous pouvez, exercer vos droits en contactant notre Délégué à la protection des données (DPO) au moyen de notre formulaire en ligne ( https://www.grandpalais.fr/fr/form/rgpd) ou par e-mail à l’adresse suivante : dpo@rmngp.fr. Pour en savoir plus, nous vous invitons à consulter notre politique de protection des données disponible ici en copiant et en collant ce lien : https://www.grandpalais.fr/fr/politique-de-protection-des-donnees-caractere-personnel