Portrait de Félix Fénéon
Auteur : LUCE Maximilien
Lieu de conservation : musée d’Orsay (Paris)
site web
Date de création : 1901
Date représentée : 1901
H. : 45 cm
L. : 31 cm
Huile sur carton.
Domaine : Peintures
© Photo RMN - Grand Palais - H. Lewandowski
03-015341 / RF1980-189
Critique d'art et engagement
Date de publication : Octobre 2005
Auteur : Philippe SAUNIER
Un nouveau système
Le critique d’art est un acteur culturel aujourd’hui bien connu. Si Diderot peut être considéré comme le premier critique d’art au sens moderne, ce n’est qu’au XIXe siècle que son rôle comme arbitre du goût et/ou faiseur de réputations est conforté. Dans les années 1960, les sociologues H. et C. White en ont analysé les causes dans une lecture (H. et C. White, 1991) qui, dans ses grandes lignes, fait encore autorité. Selon eux, plusieurs facteurs ont contribué à faire émerger les figures du marchand et du critique. Paris, grâce notamment au prestige de son système académique, devient au XIXe siècle la capitale mondiale des arts, drainant tout ce que la France et l’étranger comptent d’artistes. Dans ce contexte de centralisation, la question des débouchés devient cruciale car le Salon ne permet pas de présenter l’ensemble de la production artistique, et qu’il devient de plus en plus hasardeux de s’y faire remarquer. Alors que, dans le même temps, la société marque un intérêt croissant pour l’art, relayé par le développement des moyens de reproduction (lithographie, photographie, fontes d’édition, etc.), le rôle du critique d’art et celui du marchand s’affermissent : il leur incombe « la difficile tâche d’établir la réputation d’un artiste dans tel ou tel cercle spécifique d’amateurs d’art » (Ibid., p. 100).
De l’amitié
En 1901, le peintre Maximilien Luce (1858-1941) brosse sur un petit carton un portrait du critique d’art Félix Fénéon (1861-1944) : rapidement exécuté, le portrait est l’ébauche d’une œuvre plus aboutie (1903) aujourd’hui conservée au musée de Nevers, mais également un témoignage d’amitié. Vraisemblablement saisi de passage dans un atelier, l’énigmatique dandy, très anticonformiste, qu’est Fénéon se reconnaît à sa barbiche pointue, son pardessus, son chapeau et sa badine. D’origine ouvrière, autodidacte, proche du groupe néo-impressionniste, Luce avait été remarqué et soutenu par Fénéon à la fin des années 1880. Prompt à s’engager, le critique organisa la première exposition personnelle du peintre dans la petite librairie de La Revue indépendante dont il était le rédacteur en chef. Luce savait gré à Fénéon de ce soutien. L’austérité du portrait signale la grande probité intellectuelle du modèle, qui concevait son engagement auprès des artistes comme une forme d’apostolat. Au mur, des estampes japonaises rappellent la passion du critique pour cette forme d’art sur laquelle il projeta d’écrire un ouvrage.
Quelques engagements de Fénéon
Comme Luce, Fénéon est d’origine modeste. Son emploi de rédacteur au ministère de la Guerre lui permet de vivre. Mais l’essentiel de son activité est vouée à l’engagement : artistique, littéraire, politique. Investi dans les principales revues d’art et de littérature de la fin du siècle, il prend fait et cause pour Seurat, découvrant Une baignade, Asnières, au Salon des indépendants en 1884. Sa plaquette Les Impressionnistes est un essai d’explication de la peinture néo-impressionniste. Le style de Fénéon, incisif, direct et technique, vise à expliquer avec fidélité et précision au lecteur la démarche des artistes qu’il défend. Rémy de Gourmont dit de lui qu’il avait « toutes les qualités du critique d’art : l’œil, l’esprit analytique, le style qui fait voir ce que l’œil a vu et comprendre ce que l’esprit a compris » (Joan U. Halperin, Fénéon, p.124). « Bonnard, très japonard » : c’est avec cette formule lapidaire mais extrêmement éclairante qu’en 1892 Fénéon caractérise la période nabie du peintre.
Fénéon est un catalyseur, défendant tout à la fois artistes et écrivains. Il réédite ainsi les œuvres de Tristan Corbière, mort inconnu en 1875, transcrit les manuscrits de Jules Laforgue (mort en 1887), s’engage auprès du metteur en scène Antoine, devenant le critique régulier du Théâtre-Libre, mais il essaie toujours de dépasser les frontières entre les disciplines et d’assurer la visibilité des artistes qu’il défend : au foyer du Théâtre-Libre, Fénéon organise une petite galerie de tableaux (où sont présentées des œuvres de Seurat et de Signac).
Comme son ami Luce (inculpé en 1894 pour avoir exécuté des tableaux représentant des ouvriers et donné des lithographies pour des publications anarchistes), Fénéon est un fervent anarchiste, trouvant le temps de collaborer aux principales revues libertaires. Alors qu’il est inquiété dans un attentat anarchiste, Mallarmé dira de lui, pour sa défense, que ses articles sont les meilleurs détonateurs. Fénéon contribue à faire de La Revue blanche, dont il est le secrétaire de rédaction de 1895 à 1903, un foyer dreyfusard, tout en organisant en 1900 dans ses bureaux la première exposition rétrospective de Seurat. Conscient du rôle du marchand, Fénéon s’implique dans la galerie Bernheim-Jeune dont il est à partir de 1906 le directeur artistique de la section d’art moderne. Grâce à ses réseaux et ses talents de vendeur, bien des artistes (Cross, Signac, Matisse, Van Dongen…) connurent le succès et… la fortune.
Jean-Paul BOUILLON, Antoinette EHRARD, Nicole DUBREUIL-BLONDIN et Constance NAUBERT-RISER, (textes réunis et présentés par), La Promenade du critique influent. Anthologie de la critique d’art en France (1850-1900), Paris, Hazan, 1990.
Joan Ungersma HALPERIN, Félix Fénéon, Paris, Gallimard, 1991.
Harrison C.et Cynthia A.White, La Carrière des peintres au XIXe siècle, Paris, Flammarion, 1991 [édition américaine 1965].
Philippe SAUNIER, « Critique d'art et engagement », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 21/11/2024. URL : https://histoire-image.org/etudes/critique-art-engagement
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