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La Promenade du Critique influent

La Promenade du Critique influent

Devant le tableau de M. Manet

Devant le tableau de M. Manet

La Promenade du Critique influent

La Promenade du Critique influent

Date de création : 1865

Date représentée : Salon de 1865

H. : 24 cm

L. : 21,7 cm

Lithographie

Domaine : Estampes-Gravures

Bibliothèque Nationale de France - Domaine public © Gallica

Lien vers l'image

RESERVE DC-180 (26)-FOL

  • La Promenade du Critique influent

Daumier et les critiques d’art

Date de publication : Mars 2024

Auteur : Paul BERNARD-NOURAUD

Le Salon et la puissance de la critique

Au début du XIXe siècle, le Salon annuel de peinture et de sculpture a acquis une importance centrale dans la vie sociale parisienne et, par extension, dans celle de la France. Cette importance n’est pas seulement d’ordre artistique, mais aussi politique. Une ambivalence qui s’explique notamment par le fait que les différents régimes qui se succèdent (de la période de la Restauration et de la Monarchie de Juillet, entre 1815 et 1848, à celle du Second Empire, de 1852 à 1870) tolèrent assez mal la contradiction politique, quand ils ne les censurent pas purement et simplement. Dans ces contextes, l’activité artistique et la réponse critique qu’elle appelle tout particulièrement au moment du Salon apparaissent comme des substituts aux débats politiques.

Les deux dimensions s’étaient brutalement entrechoquées lors du Salon de 1863. Face au refus d’un grand nombre d’envois par le jury, et les protestations nombreuses qui s’ensuivirent, Napoléon III décida de créer un « Salon des refusés » en marge de la manifestation officielle, où le public pût notamment se rire du Déjeuner sur l’herbe (1863, musée d’Orsay) d’Edouard Manet. Si le climat était plus apaisé deux ans plus tard, l’envoi par ce dernier d’Olympia  (peint en 1863 mais prudemment conservé dans son atelier) relança une polémique entre les anciens et les modernes, qui faisait écho à l’opposition entre le pouvoir impérial et le camp républicain dont Honoré Daumier se sentait proche.

Dans Le Charivari (1), auquel Daumier contribuait depuis sa création en 1832, le célèbre dessinateur tint alors une chronique illustrée du Salon, où il ne cessait de moquer les puissants que le « critique influent » incarnait désormais, et de (faire) sourire de l’ignorance des curieux, puisque le Salon était aussi devenu une attraction populaire.

Moquer les puissants, sourire de l’ignorance

La maniabilité du crayon lithographique permet de donner aux deux dessins la valeur de croquis pris sur le vif, bien qu’en réalité, s’ils ont effectivement été esquissés sur le motif, ils aient nécessité un report sur la pierre lithographique afin d’être reproduits dans le journal. Le résultat, tracé en lignes rapides, laissant de nombreuses zones épargnées, conserve néanmoins la fraîcheur de scènes qui paraissent avoir été captées sur place.

La première montre à mi-jambe une figure de face. Il s’agit d’un homme bourgeoisement vêtu, une paire de bésicles sur le nez, un haut-de-forme sur la tête. Absorbé dans les notes qu’il prend sur quelques feuillets, peut-être le catalogue du Salon, il ignore superbement les artistes qui se découvrent obséquieusement sur son passage comme il se détourne des cimaises derrière lui.

Le même mur sert de toile de fond à la seconde composition, à ceci près qu’on y devine des figures là où La Promenade du critique influent se déroulait plutôt dans la section des paysages (le tableau de l’angle supérieur droit figure sans doute une marine). Le parti-pris de la composition y est cependant différent. Les trois figures, un couple et leur fils, qui semblent plutôt appartenir à la petite-bourgeoisie, sont figurées de profil en sorte que l’œuvre qu’elles découvrent (a priori Olympia de Manet) se situe hors du cadre du dessin. Ce choix permet à Daumier d’alimenter l’incertitude, pour ne pas dire le désarroi, dans lequel la contemplation dudit tableau plonge les trois spectateurs. L’homme se demande en effet : « Pourquoi diable cette grosse femme rouge et en chemise s’appelle-t-elle Olympia ? » À quoi son épouse lui répond : « Mais mon ami c’est peut-être la chatte noire qui s’appelle comme ça ? ». La teneur de l’échange est d’autant plus déconcertante que la figure d’Olympia (d’après Victorine Meurent) n’a guère le teint rouge, même aux joues, et qu’elle n’est certainement pas « en chemise », puisqu’elle est nue. Ce pourrait être le nom de la servante noire (d’après le modèle prénommé Laure), occultant ainsi le nu qui occupe le centre de la composition, mais l’attribution va finalement à la chatte que Manet a figuré hérissée en direction du spectateur.

Deux portraits de la vie parisienne

En dépeignant successivement d’un côté la prétention à la sûreté de jugement esthétique d’un critique puissant et, de l’autre, le désarroi iconographique d’un couple parcourant l’exposition catalogue en main, l’un avec une ironie mordante, l’autre avec une ironie plus tendre, Daumier a cependant fait plus que rapporter quelques « choses vues » du Salon. Il a en effet réalisé deux portraits de la vie parisienne qui constituent de précieux documents sur la socialité dont le Salon est le théâtre.

Les cadrages serrés des deux œuvres indiquent ainsi combien l’événement était « couru » à l’époque, de même que l’accrochage « cadre à cadre » rappelle son caractère incontournable pour les artistes désireux de s’y faire connaître et reconnaître, en particulier de la critique. Ceux de La Promenade du critique influent se comportent en outre à l’égard de ce dernier avec une déférence qui en fait une véritable sommité. En actant de la sorte l’avènement d’une figure qui monte en puissance tout au long du XIXe siècle, Daumier rappelle non seulement que le critique avait le pouvoir de faire et de défaire les carrières, mais que sa carrière à lui peut lui ouvrir d’autres sphères du pouvoir. Des personnalités politiques aussi diverses que François Guizot, Adolphe Thiers ou Georges Clemenceau se sont en effet adonnées à la critique d’art avant de se consacrer à la politique.

Devant le tableau de M. Manet montre quant à lui qu’à la même période l’appréciation de l’art n’est plus seulement un loisir mondain, mais qu’elle intéresse une grande variété de classes sociales, qui s’y rendent de surcroît en famille. Plus encore sans doute qu’au moment de la création du musée du Louvre dans le sillage de la Révolution française, le Salon qui s’y tient exauce le souhait émis en 1792 par Jacques-Louis David à l’Assemblée de voir le musée devenir bientôt « une école importante. Les instituteurs y conduiront leurs jeunes élèves ; le père y mènera son fils. »

Ives COLTA, Margret STUFFMANN, Martin SONNABEND (dir.), Daumier Drawings, New York, Metropolitan Museum, 1992.

Henri FOCILLON, « Honoré Daumier », in Maîtres de l’estampe, Paris, Flammarion, 1969.

Michael FRIED, Le Modernisme de Manet. Esthétique et origines de la peinture moderne, III, trad. de l’anglais par Claire Brunet, Paris, Gallimard, 2000.

Catherine LAMPERT (dir.), Daumier. Visions de Paris, Londres, Royal Academy of Arts, Bruxelles, Fonds Mercator, 2013.

Charles ROSEN, Henri ZERNER, Romantisme et réalisme. Mythes de l’art du XIXe siècle, trad. de l’anglais par Odile Demange, Paris, Albin Michel, 1986.

1- Le Charivari : premier journal satirique français fondé par Charles Philippon en 1832. Il cesse de paraître en 1937.

Salon : Au XVIIIe siècle les expositions des membres de l’Académie royale de peinture et de sculpture se tenaient dans le Salon carré du Louvre. Le terme « Salon » désigne par la suite toutes les expositions régulières organisées par l’Académie.

Lithographie : Technique de gravure (ou d’estampe) qui reproduit un dessin en noir et blanc ou en couleur à l’aide d’un crayon gras ou d’une encre grasse sur une pierre calcaire. Par extension, le terme désigne une estampe imprimée par ce procédé.

Iconographie : Ensemble des images correspondant à un même sujet. On parle de programme iconographique lorsqu’un décor en plusieurs parties regroupe de manière cohérente différents sujets autour d’un même thème.

Paul BERNARD-NOURAUD, « Daumier et les critiques d’art », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 27/04/2024. URL : histoire-image.org/etudes/daumier-critiques-art

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