Nous saurons nous en priver
Réservez le vin pour nos poilus
Nous saurons nous en priver
Lieu de conservation : La Contemporaine (BDIC, Nanterre)
site web
Date de création : 1916
Date représentée : 1916
Dessin de Camille Boutet, école communale de filles de la rue Camou.
Domaine : Affiches
© Collections La Contemporaine
1914-1918 : « l'effort de guerre » mobilise toute la société
Date de publication : Juin 2006
Auteur : Alexandre SUMPF
Guerre des adultes, « guerre des enfants »
1916 : cela fait déjà deux années que la Grande Guerre fait rage, qu’elle prive les enfants de leurs pères, les mères de leur soutien. Deux années que l’État, les acteurs économiques et industriels, la société tout entière se dévouent pour mener à terme ce combat à mort. 1916 est une année particulièrement meurtrière, marquée par la saignée de Verdun (de février à décembre), l’offensive de la Somme (de juillet à novembre) et le rejet par Briand, en décembre, des propositions de paix faites par les Allemands. À l’arrière s’est organisée dès décembre 1914 la « croisade des enfants » sous le signe du Sacré-Cœur du Christ et le patronage de Jeanne d’Arc – l’un sacrifié sur l’autel de l’humanité souffrante, l’autre sur celui de la patrie occupée. L’école, la presse enfantine, les jouets, tout parle aux enfants d’une guerre héroïque, grandiose, omniprésente et singulière à la fois.
Les privations de la guerre : renoncer aux petits plaisirs quotidiens
Le dessin de l’écolière Camille Boutet a certainement dû frapper les contemporains par la qualité du dessin et la richesse du coloris. La dominante bleu-rouge-blanc souligne immédiatement le contexte patriotique dans lequel l’affiche fut élaborée. Les teintes employées sont également celles de l’uniforme des soldats français… de 1870. La neige qui couvre le trottoir se conçoit moins comme un symbole du froid (la petite fille de gauche ne porte pas de pèlerine) que comme le rappel du blanc du drapeau national. Le cadre ovale, typique de l’art du portrait, insiste sur l’aspect intime de cette scène de la vie quotidienne qui ne déparerait pas dans un journal illustré du début du siècle. Seulement, la formule inscrite en lettres de sang lève toute ambiguïté et accentue le contraste entre l’intérieur du magasin, bien achalandé, chatoyant, et l’extérieur où se trouvent relégués les trois minuscules enfants. Ces derniers s’offrent en exemple aux adultes en renonçant à leur innocent plaisir.
Le dessin de l’écolière Suzanne Ferrand est encore plus simple que celui de Camille Boutet, tant du point de vue de la composition que de celui du libellé. Dans un double cadre typique des affiches officielles de l’époque (cf. « Journée du poilu » des 25 et 26 décembre 1915), l’apprentie affichiste démontre son savoir-faire par l’abondance des petits détails (coutures de la gourde), la variété de nuances (grains de raisins), la stylisation de la grappe, les effets de lumière sur le gobelet en fer-blanc qu’on imagine appartenir à un poilu. Le message de privation est ici clairement exprimé, en direction des adultes cette fois-ci. Tout comme dans la précédente affiche, la guerre est totalement absente de l’image et n’est signifiée que par l’écrit. Le slogan, « Réservez le vin pour nos poilus », sonne comme un rappel à l’ordre et tranche avec le caractère bucolique du dessin.
La remobilisation de 1916
Le premier commanditaire de ces deux affiches est l’administration municipale de la capitale, Paris, qui organise la propagande et la mobilisation sous la forme d’un concours de dessins sur le thème des économies de guerre. La plupart des enfants mis à contribution, et parmi eux « Suzanne Ferrand, 16 ans », sont en fait des adolescents qui poursuivent leurs études au-delà du certificat d’études au sein des écoles primaires supérieures. Le second commanditaire, l’Union française pour l’expansion morale et matérielle de la France, impose le sujet des restrictions nécessaires au cœur de l’année 1916, au travers de son Comité national de la prévoyance économique. Les titres des autres dessins retenus sont évocateurs : « Fumeurs de l’arrière, économisez le tabac pour que les soldats n’en manquent pas », ou encore « Économisons le pain en mangeant des pommes de terre ». À travers ces thématiques se dévoilent à la fois une France de l’arrière, qui souffre de pénuries diverses, et le mode de vie des soldats du front. Le vin, qui était distribué à raison de deux à trois litres par jour, et le pain, souvent rassis, constituaient le triste ordinaire des combattants. En 1916, le début de la guerre paraît bien loin, et sa fin incertaine. Seule certitude, la guerre totale impose la mobilisation des acteurs économiques et de la société tout entière. L’adhésion au discours patriotique fait partie intégrante de l’effort de guerre, notamment pour les enfants, contraints de réagir aux attentes des adultes, voire de se conduire comme eux. Toutefois, le dessin de Camille Boutet, avec son thème enfantin, ses tons agréables, son coloris diffus, donne de la fraîcheur à une initiative sur laquelle pèse le très lourd contexte psychologique du conflit.
Stéphane AUDOIN-ROUZEAU, La Guerre des enfants, 1914-1918. Essai d’histoire culturelle, Paris, Armand Colin, 1993.
Alfred et Françoise BRAUNER, J’ai dessiné la guerre. Le dessin de l’enfant dans la guerre, Paris, Elsevie, 1991.
Laurent GERVEREAU, « La propagande par l’image en France, 1914-1918. Thèmes et modes de représentation » in Laurent GERVEREAU et Christophe PROCHASSON, Images de 1917, Nanterre, B.D.I.C., 1987.
Marion PIGNOT, La Guerre des crayons. Quand les petits Parisiens dessinaient la Grande Guerre, Paris, Parigramme, 2004.
Yves POURCHER, Les Jours de guerre. La vie des Français au jour le jour entre 1914 et 1918, Paris, Hachette, coll. « Pluriel », 1995.
Pierre VALLAUD, 14-18, la Première Guerre mondiale, tomes I et II, Paris, Fayard, 2004.
Alexandre SUMPF, « 1914-1918 : « l'effort de guerre » mobilise toute la société », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 23/11/2024. URL : https://histoire-image.org/etudes/1914-1918-effort-guerre-mobilise-toute-societe
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