Naturel de la côte du Mozambique.
Auteur : PETIT Nicolas-Martin
Lieu de conservation : Muséum d’histoire naturelle (Le Havre)
site web
Date de création : 1807
Date représentée : 1807
H. : 30 cm
L. : 23,5 cm
Gravé par Roger sous la direction de J. G. Milbert.
Domaine : Estampes-Gravures
© Muséum d'histoire naturelle. Le Havre. Collection Lesueur
Coll. Lesueur, n° 19 050-2
Un « Mozambique », esclave à l'Ile de France
Date de publication : Décembre 2006
Auteur : Luce-Marie ALBIGÈS
L’esclavage à l’Ile de France (Maurice)
Les Français s’installent au XVIIIe siècle, dans l’ancienne colonie hollandaise de Maurice et baptisent Ile-de-France cette escale qui facilite et protège la route de leurs bateaux vers l'Inde. L’adaptation du Code Noir à l'usage des Mascareignes, en 1723, favorise l’arrivée de milliers d’esclaves provenant en majorité de l’île de Madagascar et de l'Afrique orientale. L’île cultive le café et les plantes à épices, exploite le bois puis se lance, dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, dans la culture lucrative de la canne à sucre, grande consommatrice de main d’œuvre. La population de l’île passe d’un millier d’habitants en 1735, à 20 000, en 1767, dont 15 000 esclaves. Sous la Révolution, la colonie rejette toute modification de son régime politique et social. En 1796, lorsqu'arrive l’expédition du gouvernement français porteuse du décret d’abolition de l’esclavage de 1794, les commissaires du gouvernement sont contraints de rembarquer et le système esclavagiste est maintenu.
Des esclaves de diverses ethnies
Cette estampe a été gravée d’après un dessin de Nicolas Martin Petit (1777-1804), l’un des artistes embarqués par le capitaine Baudin pour l’expédition aux terres australes partie de France en 1800. A l'Ile-de-France on appelait « Mozambiques » les esclaves noirs d’Afrique pour les distinguer des Malgaches, des Indiens ou encore des créoles nés sur l’île. Mais en réalité, les Noirs transportés depuis la côte orientale de l’Afrique pour devenir esclaves à l’Ile-de-France pouvaient provenir de n’importe quelle ethnie d’Afrique orientale.
Nicolas Petit fait escale deux fois à l’Ile-de-France avec l’expédition Baudin : en 1801, à l’aller, et plus longuement en 1803, au retour. Les scarifications spectaculaires de cet esclave intriguent sans doute ce jeune dessinateur ethnographe, mais il ne peut le représenter dans son milieu naturel comme il l’a fait pour les indigènes d’Australie, de Tasmanie ou de Timor, selon les principes adoptés par l’anthropologie naissante.
Petit lui fait prendre une pose classique, appuyé sur un tronçon de pierre, dans le style à l’Antique qu’il a pratiqué dans l’atelier de David. Ainsi ressortent la plastique et l’étonnant décor corporel du visage, du cou et du buste du jeune Noir. Mais le regard diffère de l’expression sereine et souriante des nombreux indigènes que Petit a peints au cours de l’expédition et laisse filtrer une angoisse contenue. Sans doute l’artiste n’a-t-il rien pu savoir de l’origine de cet homme ni de son histoire, mais son dessin laisse pressentir une énigme.
Les scarifications, largement pratiquées par les sociétés primitives, forment des boursouflures obtenues en introduisant des morceaux de bois sous la peau. La main d’œuvre servile de l’Ile-de-France en présentait de nombreux exemples. En 1809, un voyageur, Epidariste Colin, relève que chaque ethnie a son mode de parure corporelle caractéristique et décrit avec précision celles des diverses ethnies africaines présentes dans l’île. Il est ainsi possible de situer l’origine des scarifications de cet esclave dans le peuple des Yao : « On les reconnaît à l’aide des étoiles qu’ils se font sur le corps et sur les joues, ainsi qu’à deux ou trois barres horizontales au-dessous des tempes. » Les Yao avaient noué des rapports anciens avec les peuplades côtières, pour le commerce ; installés près du lac Nyassa, ils acheminaient de l’ivoire et des esclaves en échange d’étoffes et de fusils.
Depuis le territoire des Yao, cet homme avait dû accomplir un voyage particulièrement éprouvant de mille kilomètres à pied, avant le transport par mer jusqu’à l’Ile-de-France, pendant lequel beaucoup de captifs mouraient exténués.
La perte de l’identité
Le portrait de cet esclave provenant d’une ethnie installée à mille kilomètres de la côte du Mozambique témoigne qu’en 1800, l’esclavage pratiqué en Afrique orientale drainait déjà des populations originaires de l’intérieur du continent, avant même son large développement au XIXe siècle.
Si les scarifications de cet esclave ont incité Nicolas Petit à faire son portrait, ces marques propres à une ethnie de guerriers noirs ne présentent plus qu’un caractère anecdotique dérisoire, dans l’univers des plantations esclavagistes de l’Ile-de-France. Les propriétaires font état de ce qu’ils savent des ethnies de leurs esclaves lors des recensements effectués à l’époque, mais cette origine n’a d’importance à leurs yeux que pour laisser préjuger de leurs qualités de travailleurs. Tout comme cet homme désigné par un vague terme de regroupement lié au transport depuis la côte, chaque captif, déraciné et marqué par l’horreur du voyage, perd son identité originelle.
En définitive, cette désignation de « Mozambique » revient à une étape de la créolisation : cet homme porte dans la chaire de son visage et de son corps la marque de son passé Yao, il est identifié à cette date sous le vague regroupement de « Mozambique » et, s’il survit, son avenir sera celui d’un créole mauricien.
Ile de la Réunion. Regards croisés sur l’esclavageCatalogue de l’exposition au musée Léon-Dierx, Saint-Denis de la Réunion, 1998-1999. Paris, Ed. Somogy, Saint-Denis de la Réunion, CNH , 1998.
Claude WANQUETLa France et la première abolition de l’esclavage. Le cas des colonies orientales Paris, Khartala, 1998.
Œuvres de Nicolas Martin Petit, artiste du Voyage aux Terres australes (1800-1804)Exposition du Muséum d’histoire naturelle du Havre. Collection Lesueur. Le Havre, 1997.
Edward A. ALPERS, Becoming ‘Mozambique’: Diaspora and Identity in MauritiusUniversity of California, Los Angeles.
Lire Epidariste COLINNotes sur le physique et le moral des diverses castes de noirs de la côte d’Afriquedans Annales des Voyages de la géographie et de l’histoire. T IX, Paris, 1809. Pp. 320-321.
Lire Guide des sources de la traite négrière, de l'esclavage et de leurs abolitionsDirection des Archives de France, La documentation française, Paris, 2007.
Luce-Marie ALBIGÈS, « Un « Mozambique », esclave à l'Ile de France », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 21/11/2024. URL : https://histoire-image.org/etudes/mozambique-esclave-ile-france
Lien à été copié
Découvrez nos études
Images de l’habitation-sucrerie aux Antilles françaises du XVIIe au XIXe siècle
Depuis les débuts de la colonisation française en Amérique et dans l'océan Indien au XVIIe…
L'abolition aux Antilles
A Saint-Domingue l’esclavage est caractérisé par l’arrivée constante de nouveaux esclaves du fait de l’ampleur de la traite. On évalue entre 500…
La Croisière jaune, une conquête de l’Orient pour conquérir l’Occident
Trois semaines avant l’ouverture officielle de l’Exposition coloniale de Paris, André Citroën donne le signal…
La guerre juste
Dans une nation moins déchristianisée que la France, où la foi ne constitue pas le principe de ralliement d’un parti (comme…
Exposer l’autre : la muséographie des objets non occidentaux au tournant du XXe siècle
Avec l’exploration et la colonisation des pays non occidentaux se développent les expositions d’objets…
Madagascar. 1925. Travail d'écriture en plein air
Depuis la loi de 1896,…
Voyage de Napoléon III en Algérie, 1865
Conquis progressivement à partir de la prise d’Alger du 5 juillet 1830, les territoires algériens sont devenus…
La fascination pour le Cambodge au début du XXe siècle
Entre le 15 avril et le 18 novembre 1906 se tient à Marseille, porte de l’Orient, la première…
Les Soldats indigènes dans les troupes coloniales
La constitution des troupes de marine au début du XVIIe siècle doit permettre de…
Révoltes armées d'esclaves en Guyane
La région des Guyanes, et particulièrement la colonie hollandaise qui rassemble près de 50 000 esclaves, se caractérise par des révoltes…
Ajouter un commentaire
Mentions d’information prioritaires RGPD
Vos données sont sont destinées à la RmnGP, qui en est le responsable de traitement. Elles sont recueillies pour traiter votre demande. Les données obligatoires vous sont signalées sur le formulaire par astérisque. L’accès aux données est strictement limité aux collaborateurs de la RmnGP en charge du traitement de votre demande. Conformément au Règlement européen n°2016/679/UE du 27 avril 2016 sur la protection des données personnelles et à la loi « informatique et libertés » du 6 janvier 1978 modifiée, vous bénéficiez d’un droit d’accès, de rectification, d’effacement, de portabilité et de limitation du traitement des donnés vous concernant ainsi que du droit de communiquer des directives sur le sort de vos données après votre mort. Vous avez également la possibilité de vous opposer au traitement des données vous concernant. Vous pouvez, exercer vos droits en contactant notre Délégué à la protection des données (DPO) au moyen de notre formulaire en ligne ( https://www.grandpalais.fr/fr/form/rgpd) ou par e-mail à l’adresse suivante : dpo@rmngp.fr. Pour en savoir plus, nous vous invitons à consulter notre politique de protection des données disponible ici en copiant et en collant ce lien : https://www.grandpalais.fr/fr/politique-de-protection-des-donnees-caractere-personnel