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Petit intérieur d'un artiste dramatique, rue Vavin

Petit intérieur d'un artiste dramatique, rue Vavin

Intérieur d'un employé aux magasins du Louvre, rue Saint-Jacques

Intérieur d'un employé aux magasins du Louvre, rue Saint-Jacques

Intérieur d'un ouvrier, rue de Romainville

Intérieur d'un ouvrier, rue de Romainville

Intérieur de Mr A., industriel, rue Lepic

Intérieur de Mr A., industriel, rue Lepic

Petit intérieur d'un artiste dramatique, rue Vavin

Petit intérieur d'un artiste dramatique, rue Vavin

Date de création : 1910

Date représentée : 1910

H. : 21,8 cm

L. : 17,7 cm

Série : Intérieurs parisiens.

Photographie positive sur papier albuminé.

Domaine : Photographies

CC0 Paris Musées / Musée Carnavalet - Histoire de Paris

Lien vers l'image

PH1551

Les Intérieurs parisiens selon Eugène Atget

Date de publication : Décembre 2007

Auteur : Claire LE THOMAS

Un album documentaire à visée professionnelle

En 1910, Atget réalise un album de soixante photographies intitulé Intérieurs parisiens, début du XXe siècle : artistiques, pittoresques et bourgeois. Ces clichés qu’il vendait aux musées et aux bibliothèques parisiennes, étaient essentiellement destinés à dresser une sorte d’inventaire de l’aspect des appartements de Paris. Conçues comme des documents, les images devaient fournir des exemples représentatifs de l’ornementation contemporaine aux décorateurs, illustrateurs, artistes ayant besoin de modèles pour aménager des espaces, réaliser des décors théâtraux ou concevoir des intérieurs fictifs dans leurs dessins, leurs peintures, leurs écrits.

Les titres des photographies indiquent ainsi la profession de leur occupant, de manière à distinguer les classes sociales, tandis que le sous-titre de l’album propose une différenciation tripartite des logements. Les intérieurs « artistiques » (de l’artiste dramatique, du sculpteur amateur, du décorateur, du collectionneur ou de Mademoiselle Sorel) sont dissociés des intérieurs « bourgeois » (de la petite rentière, de l’employé des magasins du Louvre, de la modiste, du financier, de l’agent de change ou de l’industriel) et des intérieurs ouvriers désignés par le terme « pittoresque » (de l’ouvrier et de l’ouvrière).

Profusion décorative, apparat et individualité

Si quelques clichés s’attachent à montrer la cuisine et les pièces intimes avec leurs meubles – le lit, le cabinet de toilette, le bureau –, les photographies se focalisent, pour la majeure partie, sur les pièces d’apparat du logis. Elles mettent notamment en scène les éléments de décor primordiaux du salon : la cheminée, le buffet, la commode qui sont le lieu d’un déploiement ornemental proliférant.

Les cheminées de l’artiste dramatique et de l’ouvrier sont surmontées d’une glace – selon la mode instaurée par les immeubles haussmanniens, elle-même reprise de la décoration des grands hôtels particuliers – et la tablette est encombrée de sculptures, vases, chandeliers, pendules, cadres photographiques et autres menus artefacts de plus ou moins grande valeur. La commode de l’industriel ne supporte qu’une tablette de marbre et un panier de fleurs, mais elle sert de soubassement visuel à l’accrochage très dense de nombreux tableaux, gravures, dessins qui la surmontent. Le buffet de l’employé aux magasins du Louvre est lui aussi au cœur d’un aménagement décoratif abondant : orné de bas-reliefs, de colonnes, de moulures, il est agrémenté de vaisselle, de vases et se trouve encadré de tableaux d’un côté et d’objets ornementaux de l’autre (vase, de nouveau, et ce qui ressemble à de petites statuettes).L’intérieur de l’artiste dramatique est particulièrement représentatif de l’exubérance décorative de l’époque. Les murs sont entièrement couverts de reproductions ; le moindre support est envahi de bibelots. Le salon de l’ouvrier, bien que plus sobre, est lui aussi chargé : le papier peint fleuri remplace les tableaux, deux pendules se côtoient et un fauteuil de velours mouluré cherche à reproduire le luxe bourgeois.

La prédominance des espaces de réception et de représentation dans l’album d’Atget indique l’importance que leur accordaient les individus à l’époque et explicite dans le même temps le soin apporté à leur décoration. La profusion ornementale régnant dans ces intérieurs, qui découle de leur fonction ostentatoire, témoigne également de la diffusion du rôle dévolu à l’objet d’art, au bibelot, signes de réussite sociale et moyens de personnaliser le domicile, de marquer ses goûts.

Une œuvre critique

A travers ces clichés, il est donc possible de reconstituer le type de décoration en vogue au début du XXe siècle – l’éclectisme caractérisé par la surcharge ornementale et la juxtaposition de styles variés dans un espace restreint – tout en pénétrant dans l’intimité d’une personne. Ces images peuvent en effet être envisagées dans la continuité des portraits d’intérieurs où les familles, les individus, se faisaient photographier chez eux pour montrer leur environnement, les objets signifiant indirectement la personnalité de l’habitant.

Toutefois, le sous-titre et la forme de l’album invitent à une lecture presque politique de ces photographies. En groupant et en intitulant ses clichés selon les métiers de leurs occupants, Atget semble signifier que le style est fonction de la classe sociale. L’absence de classement hiérarchique des intérieurs (du plus riche au plus pauvre par exemple) est alors une manière de montrer les différences, d’exposer les inégalités en créant des oppositions. L’engagement socialiste d’Atget convie d’autant plus à voir dans cet album une enquête sur les milieux sociaux parisiens : abonné à des revues de gauche, ayant donné des conférences dans les universités populaires, il est possible qu’il ait cherché à travers ces images une nouvelle forme d’action politique.

Pourtant, si le spectateur perçoit des dissemblances, l’hétérogénéité stylistique des intérieurs, tant entre eux qu’en eux-mêmes, est encore plus frappante. Des motifs, des meubles, des objets aux esthétiques hétéroclites se trouvent juxtaposés dans le même espace et aucun style unifié ne se manifeste, contrairement aux époques précédentes. Les photographies d’Atget se font alors indirectement l’écho des critiques dont l’éclectisme fut l’objet dès la fin du XIXe siècle.

Elles montrent que l’éclectisme ne constituait pas un véritable décor moderne susceptible d’être associé à une période particulière. Sans cohérence, sans unité ni attributs distinctifs, il n’était pas capable, selon ses détracteurs, d’exprimer l’esprit du temps. Né au cours de la seconde moitié du XIXe siècle, il était pourtant bien représentatif de l’appétence culturelle, intellectuelle et scientifique de cette époque.

ARIES Philippe, DUBY Georges (dir.) Histoire de la vie privée. Tome 4, De la Révolution à la Grande Guerre Paris, Editions du seuil, 1987.

Eugène Atget 1857-1927, Intérieurs Parisiens, Photographies Paris, Musée Carnavalet, 1982, catalogue de l’exposition 

Stéphane LAURENT Les arts appliqués en France. Genèse d’un enseignement Paris, Edition du C.T.H.S., 1999.

Rémy SAISSELIN Le Bourgeois et le bibelot Paris, Albin Michel, 1990.

Claire LE THOMAS, « Les Intérieurs parisiens selon Eugène Atget », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 03/12/2024. URL : https://histoire-image.org/etudes/interieurs-parisiens-eugene-atget

Pour aller plus loin : Exposition Eugène Atget, BNF

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