Maurice Quay.
L'école d'Apelle
Allégorie sur l'état de la France avant le retour d'Egypte.
Romulus,vainqueur d'Acron, porte les dépouilles opimes au temple de Jupiter.
Maurice Quay.
Auteur : RIESENER Henri-François
Lieu de conservation : musée du Louvre (Paris)
site web
H. : 56 cm
L. : 46 cm
Huile sur toile.
Domaine : Peintures
© Photo RMN - Grand Palais - J.-G. Berizzi
97-003355 / RF1965-12
Les Primitifs de l'Atelier de David
Date de publication : Décembre 2008
Auteur : Saskia HANSELAAR
C’est dans un esprit avide de nouveauté qu’au sein de l’atelier de David se crée, vers 1798, la Secte des Méditateurs ou Primitifs ou Barbus, noms que ces jeunes artistes doivent au fait qu’ils défient leur temps en ne se rasant pas et en s’habillant d’une façon antique à l’extrême. Pour la plupart âgés de vingt à trente ans, ils débordent d’une énergie créatrice unique. Ils se trouvent en apprentissage auprès de l’artiste qui représente le mieux les nouvelles idéologies d’une France en mouvement. David est l’artiste de la Révolution : c’est lui qui peint les nouveaux martyrs tels Marat ou Bara. C’est lui qui organise de nombreuses fêtes révolutionnaires, dont celle de l’Être suprême en l’an II (1793), et c’est encore lui qui dessine des projets de costumes pour les représentants du peuple. Prenant exemple sur leur maître et sur L’Enlèvement des Sabines (1799, musée du Louvre), Maurice Quay, Hilaire Périé et ses camarades entendent soumettre l’art à un schéma de type révolutionnaire et appliquer des idées primitives à leurs vies, jusqu’à élaborer un véritable modus vivendi.
Maurice Quay, peint par Riesener, est présenté barbu, les cheveux en bataille, la chemise défaite, non cravaté et les yeux dans le vague. Ce portrait qui doit dater d’avant 1802, année où Quay meurt de consomption, montre une fébrilité et un génie proches de la folie. D’une nature charismatique et passionnée, Quay charme ses camarades. Selon Étienne Delécluze : « Déjà Moriès et Ducis témoignaient hautement le cas qu’ils faisaient de lui, aussi devint-il bientôt complètement maître de l’esprit de Pierre, de Joseph [les frères Franque], de Broc, de Perrié [sic] et de quelques autres qui formèrent le noyau de la secte. » Passionné par la lecture d’Homère, de la Bible et d’Ossian, il préconise un retour aux origines primitives, qui se traduit également par une volonté de s’appuyer sur les préceptes des arts grec et étrusque.
Le tableau de Jean Broc, L’École d’Apelle, présenté au Salon de 1800, témoigne clairement de la différence entre la secte et le reste des œuvres exposées. Tel un manifeste pictural, il s’inscrit dans une filiation artistique qui veut aller au-delà de l’enseignement de David par une touche proche de la détrempe et de la fresque. Incompris lors de son exposition, le tableau s’appréhende tout d’abord comme un hommage à Apelle et donc à la peinture antique, mais encore comme un hommage à Raphaël et à L’École d’Athènes. Mais il est avant tout une image fantasmée de la secte elle-même à travers les jeunes hommes qui palabrent sur l’art dans un esprit d’émulation.
En 1810, alors que la secte s’est dissoute à la mort de Maurice Quay en 1802, Jean-Pierre Franque et son frère jumeau Joseph-Boniface exécutent L’Allégorie de la France avant le Retour d’Egypte afin d’honorer l’Empereur. Ce tableau inhabituel présente Napoléon comme un rêveur découvrant l’état de la France en proie aux démons des guerres civile et extérieure, dans une ambiance ossianique et fantasmagorique. Exécuté bien après la dissolution de la secte, sa facture – touche primitive et influence d’Ossian – montre la volonté d’une continuité de la part de ces deux anciens Primitifs. D’autres artistes, qui ne faisaient pas partie de ce groupuscule, se sont intéressés à ces nouveaux penseurs et ont repris certains de leurs codes. En 1812, Jean Auguste Dominique Ingres, camarade d’atelier des Primitifs dans sa jeunesse, exécute Romulus, vainqueur d’Acron, porte les dépouilles opimes au temple de Jupiter, toile qui doit beaucoup aux idées des Primitifs par sa manière proche de la fresque, la fraîcheur de ses couleurs et son rendu presque sans perspective. Douze ans après le premier tableau de la secte, Ingres prend le relais de ce style en l’adaptant à sa manière.
Les Primitifs ont durablement marqué l’histoire de l’art, sans qu’aucun hommage ne puisse leur être rendu. Ces artistes, qui avaient fondé leurs idées artistiques sur les textes d’Ossian, d’Homère et de la Bible, continuent à guider leur vie et leur art d’après le principe de l’utopie. Autour de 1800, les artistes cohabitent sur la colline de Chaillot, dans un esprit communautaire, essaient de vivre en harmonie avec la nature et sont végétariens. La Révolution avait célébré ses héros, mettant en exergue leurs vertus : les Primitifs font écho à cette notion par leur moralité et leur volonté de créer un monde pacifique et respectueux. Dénigrés de leur vivant par l’autorité en place, ils ont cependant intéressé leurs contemporains et imposé un style alternatif, fondé sur une perspective restreinte, une technique proche de la détrempe ou de la fresque et un regard tourné vers les Primitifs du Moyen Âge et l’art étrusque. François Gérard et Jean Auguste Dominique Ingres sont deux des plus grandes figures inspirées par la vision « primitive » de cette secte. Dans un but absolu de perfection de l’art, ces jeunes gens ont voulu dépasser l’enseignement de David afin de créer une esthétique et une pensée nouvelles.
Étienne DELÉCLUZE, Louis David, son école et son temps, 1855, rééd. Paris, Macula, 1983.
Saskia HANSELAAR, L’Esthétique des Ombres : Ossian et une génération d’artistes français à la veille du Romantisme (1793-1833), thèse de doctorat en histoire de l’art à l’université de Paris X-Nanterre, novembre 2008.
George LEVITINE, The Dawn of Bohemianism : The Barbu Rebellion and Primitivism in Neoclassical France, University Park, Londres et Pennsylvanie, 1978.
Saskia HANSELAAR, « Les Primitifs de l'Atelier de David », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 21/11/2024. URL : https://histoire-image.org/etudes/primitifs-atelier-david
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