La Petite Baigneuse - Intérieur de harem
Le Bain turc
La Petite Baigneuse - Intérieur de harem
Auteur : INGRES Jean-Auguste Dominique
Lieu de conservation : musée du Louvre (Paris)
site web
H. : 35 cm
L. : 27 cm
Huile sur toile.
Domaine : Peintures
© Photo RMN - Grand Palais - R. G. Ojeda
RF1728 - 14-547232
Ingres et les femmes aux bains : l’hygiène exotique
Date de publication : Mars 2011
Auteur : Alexandre SUMPF
De La Baigneuse de Valpinçon au Bain turc
Illustre représentant de la peinture néoclassique française, Jean-Auguste-Dominique Ingres (1780-1867) a très tôt exploré le thème de la femme aux bains. À travers sa recherche esthétique sur la nudité féminine, il se démarque du modèle académique, en préférant au motif antique une référence orientale et plus précisément ottomane.
Avec La Baigneuse de Valpinçon (ou Grande Baigneuse), il réalise dès 1808 le portrait d’une femme à turban, présentée nue et de dos, dans une ambiance de hammam et de harem. L’artiste décline ensuite cette étude, que l’on retrouve presque à l’identique dans les deux tableaux étudiés ici, La Petite Baigneuse – Intérieur de harem, qui date de 1828, et Le Bain turc, réalisé plus de trente années plus tard, en 1862.
Évoquant la pratique du bain et le harem, ces réalisations s’inscrivent pleinement dans le courant orientaliste du XIXe siècle. Indirectement, elles permettent aussi une approche originale de la question du rapport au corps, à la nudité, à la santé et à l’hygiène durant cette période.
Femmes aux bains
La composition de La Petite Baigneuse – Intérieur de harem s’organise selon trois niveaux de profondeur. Au premier plan sur la droite, une femme dénudée vue de dos, coiffée d’un foulard, se tient assise sur une sorte de lit aux draps blancs. À ses pieds, on aperçoit ses vêtements et ses chaussons épars. Au second plan apparaît un bassin de marbre rectangulaire, où une jeune fille goûte aux délices de l’eau. À l’arrière-plan, une troisième femme est couverte d’un voile transparent. Deux autres femmes la coiffent, sous le regard d’une femme noire vêtue à la turque. La lumière douce, le trait épuré, le jeu des couleurs et des courbes, suggèrent l’intimité, le plaisir du bain, et apportent un caractère discrètement érotique à la scène.
Des éléments que l’on retrouve dans Le Bain turc, même si la scène est moins intime puisque, cette fois, le nombre de femmes présentes est beaucoup plus important. Comme dans le tableau précédent, la composition s’organise autour de l’étude du dos dénudé (le personnage joue cette fois du luth) au premier plan, avec le bassin au deuxième. À l’arrière-plan, l’espace semble tapissé de corps nus et blancs (dont la pâleur est rehaussée par la présence de deux femmes noires), dans une ambiance lascive et érotique assez suggestive. Les bijoux, les coiffes et le service à thé (au premier plan) indiquent quant à eux la nationalité du bain.
L’hygiène ou le plaisir des corps
Au cours du XIXe siècle, les pratiques d’hygiène comme le bain se développent. Si elles concernent d’abord évidemment une minorité issue des couches les plus aisées de la population, la prise de conscience de leur importance pour la santé publique fait lentement son chemin.
Le bain reste largement un espace privé, une activité à laquelle on s’adonne chez soi. Mais les thermes connaissent aussi un succès grandissant auprès d’une certaine élite sociale, notamment pendant le règne de Napoléon III, lui-même grand amateur de cures. À travers des œuvres comme La Petite Baigneuse – Intérieur de harem et Le Bain turc, l’orientalisme popularise aussi un imaginaire du bain turc et du hammam, sans que ceux-ci existent véritablement en France. Synonymes d’une certaine hygiène de vie, ces bains publics réels ou rêvés ainsi que la manière dont ils sont représentés contribuent aussi à façonner une autre approche du corps, de la nudité et de la propreté.
Ainsi, lorsque Le Déjeuner sur l’herbe (d’abord intitulé Le Bain, puisqu’il contient aussi une scène de ce type) de Manet scandalise, Le Bain turc réalisé la même année est mieux accepté. Si l’on peut penser que l’exotisme et la féminité exclusive du second sont moins provocateurs que le réalisme géographique et la mixité du premier, on peut aussi suggérer que les corps nus (finalement bien occidentaux) d’Ingres, tout en ayant une certaine dimension érotique, sont ici associés à une pratique saine et propre. En effet, dans La Petite Baigneuse – Intérieur de harem et Le Bain turc, l’espace du bain est comme aseptisé (il est immaculé, et l’eau totalement pure). Artificiel, il ne lie pas le corps à la nature (et par là à une certaine énergie animale et pulsionnelle mal définie et illimitée), mais l’enferme dans un lieu clos et protégé. Un espace où les soins précis et élaborés qui lui sont prodigués déculpabilisent la nudité et le plaisir du bain.
L’hygiène apparaît alors avant tout comme une pratique de santé et une occasion de bien-être, un soin du corps agréable et noble qui change la perception puritaine de la nudité.
Alain CORBIN (dir.), Histoire du corps, vol. II « De la Révolution à la Grande Guerre », Paris, Le Seuil, coll. « L’Univers historique », 2005.
Georges VIGARELLO, Histoire des pratiques de santé. Le sain et le malsain depuis le Moyen Âge, Paris, Le Seuil, coll. « Points Histoire », 1999.
Georges VIGNE, Ingres, Paris, Citadelles & Mazenod, coll. « Les Phares », 1995.
Alexandre SUMPF, « Ingres et les femmes aux bains : l’hygiène exotique », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 23/11/2024. URL : https://histoire-image.org/etudes/ingres-femmes-bains-hygiene-exotique
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