Garage Marbeuf, vu en perspective depuis la rue Marbeuf
Lettre sur papier à e-tête du garage Marbeuf à A. Laprade, 25 juin 1929
Garage Marbeuf : vue nocturne extérieure avec essai d'éclairage électrique.
Garage Marbeuf : vue nocturne intérieure avec essai d'éclairage électrique.
Garage Marbeuf, vu en perspective depuis la rue Marbeuf
Auteur : LAPRADE Albert
Lieu de conservation : Centre historique des Archives nationales (Paris)
site web
Dessin à l'encre et au lavis
Domaine : Dessins
© Droits réservés Albert Laprade © Centre historique des Archives nationales - Atelier de photographie
L'architecture publicitaire du garage Marbeuf (Laprade & Bazin, 1928-1929)
Date de publication : Novembre 2003
Auteur : Jean-Charles CAPPRONNIER
L'architecture publicitaire du garage Marbeuf (Laprade & Bazin, 1928-1929)
L'architecture publicitaire du garage Marbeuf (Laprade & Bazin, 1928-1929)
L’ère de l’automobile
Dans les années 1920, si la construction automobile connaît un essor exceptionnel après la Première Guerre mondiale, l’automobile demeure cependant un objet de luxe. La construction de plusieurs garages, dans le quartier emblématique des Champs-Elysées, révèle l’intérêt des architectes du premier tiers du XXe siècle pour afficher la modernité de leur discours à travers ce type de bâtiment. On aménage alors pour « l’auto », nouveau fétiche des classes fortunées, de somptueux « salons » d’exposition, voire de véritables « palais », avec marbres et dorures. Le Salon de l’Auto ne se tient-il pas lui-même au Grand Palais ? Dès 1907, les frères Perret effectuent, rue de Ponthieu, une première tentative de « béton esthétique » (Auguste Perret) pour un garage (démoli en 1970). En 1925, Mallet-Stevens est chargé de la construction du garage Maryland, rue Marbeuf (que jouxtera le garage Citroën).
Un associé d’André Citroën, l’homme d’affaires Etienne Bunau-Varilla (1856-1944), administrateur de la Société du Garage Marbeuf, mais aussi directeur du grand quotidien Le Matin et mécène des architectes modernes, fait appel à Albert Laprade (1883-1978) et à son associé d’origine helvétique Léon-Emile Bazin (1900-1976) pour créer un magasin de vente d’automobiles avec hall d’exposition.
En 1928, Albert Laprade a déjà à son actif une production très importante, notamment au Maroc[1]. En 1925, il a participé à l’Exposition internationale des arts décoratifs, qui a consacré sa célébrité naissante.
Un magasin théâtralisé
Rue Marbeuf, à deux pas des Champs-Elysées, Laprade et Bazin conçoivent, pour attirer et concentrer le regard des passants, cette monumentale vitrine-affiche, haute de 19 mètres pour une longueur de 21 mètres, constituée d’une ossature métallique, alors que les sols et parois du magasin sont formés de « voiles de béton ». Deux massifs latéraux, évoquant des bow-windows, encadrent la façade en similipierre et revêtue pour partie d’un décor de granito.
Cet immeuble remplace un magasin d’exposition antérieur, mais laisse intact, à l’arrière du nouveau bâtiment, l’ancien garage proprement dit, construit dès 1926.
Le magasin d’exposition est conçu comme une salle de théâtre, dont la scène serait la rue, les acteurs les passants, et les spectateurs les automobiles, bien alignées à leur place, aux différents étages, face au spectacle de la rue. L’objectif est que le passant, de plus en plus aspiré par la trépidante vie urbaine, puisse s’immobiliser, ne serait-ce que quelques secondes, devant cette salle comble où l’accumulation des véhicules est soulignée par le profil des « plateaux-balcons ».
Les architectes, qui mettent l’accent, dans ce dessin, sur l’effet de masse de la production industrielle, n’imaginent cependant pas encore que ces automobiles, entassées dans le magasin, puissent un jour envahir la rue !
Les enseignes du garage Marbeuf, étroitement liées à l’architecture, font l’objet de nombreuses études de lettres. Celles du nom de Citroën se détachent sur le nu de l’entablement sommital, alors que les lettres de Marbeuf sont intégrées de manière puissante à la base des bow-windows latéraux.
Papier de correspondance de « Marbeuf, le garage aux 10 étages »
Les en-têtes et papiers commerciaux rivalisent de créativité publicitaire dans les années 20. L’administration du garage Marbeuf utilise une coupe longitudinale du garage comme expression de son dynamisme commercial, la hauteur du bâtiment étant ici en outre utilisée comme gage de modernité et de progrès. L’usage novateur du tramé permet à l’image de couvrir l’intégralité de la surface du papier et d’affirmer ainsi le caractère innovant de l’architecture par le support publicitaire.
Vue nocturne de la nouvelle façade
Très tôt, Albert Laprade a compris les ressources infinies que pouvait apporter l’éclairage électrique dans la valorisation de l’œuvre architecturale. Ici, les « feux de la rampe » jouent pleinement leur rôle en illuminant tout autant, voire plus, la scène de la rue que les plateaux intérieurs proprement dits. Le profil des plateaux du magasin y est parfaitement rehaussé par l’éclairage, et les chromes étincelants des véhicules rutilent sous le déluge de lumière. L’effet d’accumulation, renforcé par le cadrage et la lumière, miniaturise paradoxalement les véhicules et donne l’impression qu’il s’agit là d’un magasin de jouets plutôt que d’un magasin d’automobiles grandeur nature.
Vue nocturne du magasin d’exposition
L’éclairage intérieur du magasin est lui aussi savamment agencé, en particulier grâce au dallage noir et blanc, le saisissant effet lumineux de l’ensemble étant accentué par la vue plongeante. Au cours de cette période, les architectes ont su bénéficier des progrès considérables accomplis par la photographie d’architecture, depuis le début du siècle, en particulier dans le traitement des espaces intérieurs et dans la maîtrise des clichés de nuit.
Albert Laprade ou la modernité classique
La conception du garage Marbeuf présente un caractère novateur résolument affirmé, en particulier par l’association de la monumentale vitrine et de ses massifs latéraux. Cette modernité n’échappera pas aux architectes européens du Mouvement Moderne, tels Gropius en Allemagne ou Dudok aux Pays-Bas. Le garage Marbeuf sera l’une des réalisations de Laprade les plus abondamment évoquées dans les revues et ouvrages d’architecture à l’étranger. L’immeuble sera démoli en 1952.
Passionné, entre les deux guerres, par les immenses possibilités révélées par l’énergie électrique, Laprade construit non seulement les sièges de l’Office central électrique (OCEL), boulevard Haussmann (1931-1932), et de la Compagnie parisienne de distribution d’électricité (CPDE), rue de Rennes (1933-1935), mais aussi de très importants ouvrages d’art tels que le barrage de Génissiat, sur le Rhône, réalisé, avec sa cité ouvrière, de 1938 à 1955.
Si les réalisations de Laprade, reflet d’une exceptionnelle longévité professionnelle (1912 à 1970), sont résolument enracinées dans la modernité, elles montrent aussi l’influence du modèle de l’architecture classique française de la fin du XVIIe siècle. Deux autres de ses réalisations majeures en sont l’illustration : le musée permanent des Colonies (qui deviendra le musée des Arts africains et océaniens), construit au bois de Vincennes pour l’Exposition coloniale de 1931, et l’ambassade de France à Ankara (1934-1939).
LEMOINE (Bertrand) et RIVOIRARD (Philippe)L’Architecture des années 30Paris-Lyon, Délégation à l’Action artistique de la Ville de Paris-Editions de La Manufacture, 1987.MIDANT (Jean-Paul)« Albert Laprade », in Dictionnaire de l’architecture du XXe siècleParis, Hazan-Institut français d’architecture, 1996.
Jean-Charles CAPPRONNIER, « L'architecture publicitaire du garage Marbeuf (Laprade & Bazin, 1928-1929) », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 23/11/2024. URL : https://histoire-image.org/etudes/architecture-publicitaire-garage-marbeuf-laprade-bazin-1928-1929
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