Portrait d'Otero
La Belle Otero
La Belle Otero
La Belle Otero
Portrait d'Otero
Lieu de conservation : musée d’Orsay (Paris)
site web
H. : 13,5 cm
L. : 9,5 cm
Photographe : Atelier Reutlinger
Épreuve sur papier albuminé contrecollée sur carton.
Domaine : Photographies
© GrandPalaisRmn (musée d'Orsay) / Hervé Lewandowski
PHO 2001 11 55 - 02-007918
La Belle Otero, emblème de la Belle Époque
Date de publication : Avril 2011
Auteur : Gabriella ASARO
Le soleil d’Espagne dans les théâtres parisiens
La fièvre de l’exotisme parcourt l’Europe pendant tout le XIXe siècle, influençant la littérature, les arts figuratifs et décoratifs, la musique et les arts du spectacle ; en particulier, le charme de pays plus ou moins lointains agrémente les opéras, les ballets et autres formes de divertissement. Parmi les pays « exotiques », l’Espagne exerce un très fort pouvoir d’attraction, notamment sous le Second Empire, grâce à la belle Eugénie de Montijo, épouse de Napoléon III et animatrice de la « fête impériale » ; sa proximité avec la France favorise, en outre, le passage à Paris de nombreux artistes en quête de célébrité. À la Belle Époque, Mariquita (1830-1922), danseuse espagnole native d’Alger, à Paris depuis les années 1840, est chorégraphe au Théâtre de la Gaîté, aux Folies-Bergère et à l’Opéra-Comique, et s’occupe de l’entraînement des danseuses et des demi-mondaines qui débutent sur la scène parisienne. Parmi ses élèves figurent Liane de Pougy, Émilienne d’Alençon et la Belle Otero, une Espagnole qui, contrairement à ses deux rivales en galanterie, possède un véritable talent de danseuse, cultivé en autodidacte dès son enfance.
Caroline Otero, née Agustina Otero Iglesias le 4 novembre 1868 à Pontevedra (Galice), d’une mère gitane et de père inconnu, vit une enfance et une adolescence marquées par la misère et la violence ; pour oublier ses peines et subvenir à ses besoins, elle danse dans les rues et les auberges, puis dans de petits cabarets, en Espagne et au Portugal. En 1889, Caroline quitte l’Espagne et arrive à Paris à la veille de l’inauguration de l’Exposition universelle. Le 18 mai 1890, la jeune Espagnole débute au Cirque d’été de Charles Franconi ; quatre jours plus tard, La Soirée parisienne lui attribue l’adjectif « Belle » qui, dès lors, est indissolublement lié à son nom. Le triomphe international arrive en 1891, de retour d’une longue tournée aux États-Unis dont le succès a été habilement préparé par l’agent – et amant – de la Belle Otero, Ernest André Jurgens, directeur de l’Eden Musée de New York. Quitté par la danseuse en 1895, Jurgens met fin à ses jours : d’autres amants délaissés suivent son exemple, ce qui vaut à la Belle Otero le surnom de « sirène des suicides » et contribue à sa renommée de femme fatale.
Les femmes de spectacle et les demi-mondaines de la Belle Époque doivent une grande part de leur notoriété à la diffusion internationale de cartes postales et d’autres objets à leur effigie : les beautés parisiennes (Cléo de Mérode, Liane de Pougy, Émilienne d’Alençon, Réjane) s’adressent aux meilleurs ateliers photographiques de la capitale, tenus par les familles Nadar et Reutlinger. Situés au 21, boulevard Montmartre et au 112, rue de Richelieu, les ateliers Reutlinger, dirigés de 1850 à 1880 par Charles, leur fondateur, puis par son frère Émile (1880-1890) et par son neveu Léopold (1890-1930), comptent la Belle Otero parmi leurs clients.
Un air (presque) innocent
Ces quatre photos, réalisées par l’atelier Reutlinger, présentent la danseuse espagnole en costume de scène : sur les deux premiers clichés et sur le quatrième, elle porte la même robe surornée et les mêmes bijoux voyants, auxquels s’ajoute, sur le premier cliché, une couronne de roses qu’elle ajuste sur sa tête avec coquetterie et un petit sourire aussi espiègle que son regard. Sur le troisième cliché, la Belle Otero pose en dévote espagnole, mains jointes et air vertueux. Mais le voile finement brodé qui lui couvre la tête ne cache pas les perles qui ornent sa chevelure : elle joue la Madeleine pénitente sans pour autant renoncer à sa passion pour les vrais bijoux, qu’elle porte à la scène comme à la ville, pour le plus grand bonheur des joailliers Boucheron et Cartier.
Le regard intense et « méditerranéen » de la Belle Otero est également mis en valeur par la deuxième photo, où la belle danseuse affiche un air d’innocence quasi enfantine qui, elle le sait bien, exerce une forte attraction sur les hommes de la Belle Époque : Cléo de Mérode n’a-t-elle pas bâti son succès sur sa beauté angélique ?
Dans le quatrième cliché Caroline associe le rôle de la jeune fille naïve au fantasme érotique de la belle endormie. Mollement abandonnée sur un canapé, dans une attitude interdite à toute femme bien élevée, les jambes croisées soulevant ses jupons et révélant ses chevilles et ses mollets, la Belle Otero, la tête posée sur l’épaule gauche, fait semblant de dormir, et… le spectateur fait semblant de la croire. Belle comme l’époque dont elle est l’emblème, Otero brille dans une société que Javier Figuero et Marie-Hélène Carbonel qualifient de « schizophrène […], toujours à cheval entre les valeurs de la respectabilité et le vertige des plaisirs ».
Interprétation – La vengeance de la « sirène des suicides »
Dans ses mémoires, la Belle Otero tend à farder, voire à inventer de nombreux détails, mais c’est en toute sincérité qu’elle affirme s’être vouée à la ruine des hommes qu’elle séduit, bien qu’elle n’en explique jamais la raison : à l’âge de dix ans, elle a été violée par un cordonnier qui a échappé à la justice, tandis qu’elle, chassée par sa mère, a été obligée de quitter son village et de mener une vie errante, dansant et se prostituant dans de petites auberges de province. Elle ne parle pas plus de sa stérilité, provoquée, lorsqu’elle était adolescente, par un avortement auquel l’a forcée son amant et proxénète : seul l’épisode de l’avortement est évoqué dans ses mémoires. Dans une société qui adore « la Femme » sans aimer « les femmes » et qui divise la gent féminine en trois catégories, la vierge, l’épouse et la prostituée, la Belle Otero utilise le seul moyen qui lui est permis, la séduction, pour se venger des hommes, qui ne cherchent en elle qu’une jolie poupée animée qu’ils se plaisent à payer cher pour afficher leur puissance (financière) face à leurs rivaux. Elle atteint son but, non seulement par sa beauté, mais aussi par la sensualité sauvage d’une véritable « panthère en chaleur » (selon l’expression de Jacques Sigurd) que sa danse révèle.
Vedette des Folies-Bergère, cette Espagnole dotée d’un charmant mélange de sensualité, de candeur et de verve comique revendique son statut d’artiste face aux « femmes spectacle », comme la détestée Liane de Pougy ; ami de cette dernière, Jean Lorrain qualifie injustement la Belle Otero d’« oie qui danse ».
Quadragénaire, la Belle Otero quitte les planches pour laisser d’elle le souvenir d’une femme encore jeune et désirable. Ruinée par le démon du jeu, l’ancienne maîtresse de nombreuses têtes couronnées meurt à Nice le 10 avril 1965, dans le plus complet dénuement, à l’âge de quatre-vingt-six ans.
Marie-Hélène CARBONEL et Javier FIGUERO, La Véritable Biographie de la Belle Otero et de la Belle Époque, Paris, Fayard, 2003.
Marie-Hélène CARBONEL et Javier FIGUERO, La Belle Otero sous l’objectif de Reutlinger, Monaco, Éditions du Compas, 2009.
Claude DUFRESNE, Trois grâces de la Belle Époque, Paris, Bartillot, 2003.
Sylvie JOUANNY, L’Actrice et ses doubles : figures et représentation de la femme de spectacle à la fin du XIXe siècle, Genève, Droz, 2002.
Caroline OTERO, Souvenirs et vie intime, par la Belle Otero, Paris, Le Calame, 1926, rééd. Monaco, Éditions Sauret, 1993.
Gabriella ASARO, « La Belle Otero, emblème de la Belle Époque », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 23/11/2024. URL : https://histoire-image.org/etudes/belle-otero-embleme-belle-epoque
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