Portrait de Louis René de Caradeuc de La Chalotais
Louis René de Caradeuc de La Chalotais
Portrait de Louis René de Caradeuc de La Chalotais
Auteur : ANONYME
Lieu de conservation : musée des Beaux-Arts (Rennes)
site web
H. : 82,9 cm
L. : 64,3 cm
Huile sur toile
Domaine : Peintures
© MBA, Rennes, Dist. RMN-Grand Palais / Jean-Manuel Salingue
INV 1908 6 1 - 13-587767
La Chalotais, symbole de la lutte contre le despotisme ministériel sous Louis XV
Date de publication : Février 2014
Auteur : Pierre-Yves BEAUREPAIRE
La démission du parlement de Bretagne et l’arrestation du procureur général La Chalotais (1765)
À l’issue de la désastreuse guerre de Sept Ans (1756-1763) (1), la situation financière du royaume de France est catastrophique et exige une réorganisation fiscale en profondeur. La Bretagne, très attachée à ses libertés et connue pour son tempérament rebelle, refuse les nouveaux impôts que le duc d’Aiguillon, commandant en chef de la province, exige au nom de Versailles.
La tension monte entre les magistrats du parlement et le duc d’Aiguillon qui pousse le ministère à la fermeté à l’été 1764 : « Je ne veux ni faire les lois ni juger les procès mais je ne veux pas que le parlement se mêle de l’administration […] et je demande que, lorsqu’il calomnie le chef de cette administration, on le fasse taire avec le ton nécessaire pour être obéi. » Les tentatives de médiation échouent, et l’ensemble du parlement de Bretagne est convoqué à Versailles. L’escalade se poursuit avec la démission de quatre-vingt-cinq présidents et conseillers du parlement qui, le 22 mai 1765, estiment ne pouvoir faire autre chose « que de remettre à Sa Majesté les titres des offices dont ils ne pourraient remplir les fonctions sans les plus grands inconvénients pour le roi et les sujets, et sans établir un conflit dangereux entre l’autorité légale et l’autorité arbitraire ».
Les douze magistrats qui n’ont pas démissionné sont menacés. Le ministre Saint-Florentin est lui-même destinataire de courriers anonymes injurieux. Une enquête met bientôt en cause le procureur général du parlement, La Chalotais, alors âgé de soixante-quatre ans, qui aurait été trahi par son écriture. Dans la nuit du 10 au 11 novembre 1765, cinq magistrats du parlement de Bretagne sont arrêtés, parmi lesquels les procureurs généraux Louis René de Caradeuc de La Chalotais et son fils Anne-Jacques-Raoul de Caradeuc. Pour ses défenseurs, La Chalotais devient la victime de l’arbitraire ministériel et du despotisme monarchique.
Du « parfait magistrat » à la victime de l’arbitraire
Né en 1701, avocat général à vingt-neuf ans, Louis René de Caradeuc de La Chalotais est représenté dans les fonctions de procureur général qu’il occupe au parlement de Rennes depuis 1752. Dans le portrait peint, de facture très classique, il affiche l’assurance du magistrat pénétré de la dignité de la charge qu’il exerce et de l’importance de son devoir d’État. Influencé comme nombre de ses pairs par la pensée politique de Montesquieu, le parlement est pour lui un corps intermédiaire entre le peuple et le roi, un écran protecteur contre les dérives possibles de la monarchie. Il prend ainsi l’apparence du « parfait magistrat », selon l’expression du temps. Mais, avec l’affaire qui porte son nom, La Chalotais est aussi devenu le symbole de la résistance à l’oppression ministérielle. C’est ce qu’illustre la gravure qui, bien plus largement diffusée qu’un portrait peint, ne se contente pas de la présentation classique et interchangeable d’un profil avec des allusions discrètes à la culture du magistrat éclairé (les livres) et à la Bretagne (les hermines). Elle porte une légende qui fait toute sa valeur et la distingue d’autres profils gravés de La Chalotais : par exemple celui gravé par Baron d’après le dessin de Cochin. Ici, l’image manifeste clairement un engagement en faveur de l’innocence de La Chalotais, vertueux magistrat inébranlable dans l’adversité : « Sans le faire changer, on le persécuta ; l’Envie et le Malheur augmentèrent sa gloire. Tout lui fut enlevé, sa vertu lui resta. Puisse une paix durable assurer sa victoire. »
En prenant publiquement le parti de La Chalotais, cette gravure ne se contente pas d’informer l’opinion. À l’instar des factums (mémoires) d’avocats qui sont débités par milliers d’exemplaires lors des grandes affaires judiciaires, elle participe à la construction du symbole de la lutte du magistrat défenseur des libertés bretonnes contre l’arbitraire et permet au public de s’identifier à une cause à partir d’un homme.
Une icône de l’opposition au despotisme monarchique
Emprisonné en 1765 avant d’être exilé à Saintes, La Chalotais est devenu le symbole des libertés bafouées par le despotisme ministériel. Il le doit à l’association du pouvoir de l’image et de l’écrit engagés qui le posent en victime.
Le premier des mémoires qu’il rédige en détention se termine ainsi : « Mais si, dans une monarchie tempérée, deux procureurs généraux de la réputation la plus intacte, l’un depuis trente-cinq ans [lui-même], l’autre depuis dix ans de magistrature [son fils, Caradeuc], […] sont exposés à de pareils traitements, et livrés à la discrétion de leurs ennemis, n’ayant que la ressource de la justice et des lois, et même ne l’ayant pas, puisqu’ils ne peuvent écrire au roi, ni se justifier, que n’auraient point à craindre nos juges eux-mêmes ? Fait au château de Saint-Malo, 15 janvier 1766, pouvant à peine avoir quelques livres, m’en ayant été enlevés concernant la procédure criminelle. Écrit avec une plume faite d’un cure-dent, et de l’encre faite avec de la suie de cheminée, du vinaigre et du sucre, sur des papiers d’enveloppe de sucre et de chocolat. » Le profil gravé lui fait donc parfaitement écho, et le coup porte. Voltaire écrit à d’Alembert à ce sujet : « Vous pensez bien, mon vrai philosophe, que mon sang a bouilli quand j’ai lu ce mémoire écrit avec un cure-dent, ce cure-dent gravé pour l’immortalité. Malheur à qui la lecture de cet écrit ne donne pas la fièvre ! »
En 1774, au changement de règne, Louis XVI rappelle La Chalotais d’exil et en décembre 1776 décide par lettres patentes d’ériger la terre de Caradeuc en marquisat. La Chalotais est donc bien devenu en une dizaine d’années un authentique symbole politique. Les défenseurs des libertés bretonnes l’exalteront tout au long du XIXe siècle.
Pierre-Yves BEAUREPAIRE, La France des Lumières. 1715-1789, Paris, Belin, coll. « Histoire de France », 2011.
Luc DAIREAUX, Le Feu de la rébellion ? Les imprimés de l’affaire de Bretagne (1764-1769), Paris, H. Champion, coll. « Les dix-huitièmes siècles », 2011, disponible sur hal.
Jean EGRET, Louis XV et l’opposition parlementaire. 1715-1774, Paris, Armand Colin, 1970.
Alain Jacques LEMAÎTRE, « La Chalotais, procureur général du roi : une biographie intellectuelle » in Alain Jacques LEMAÎTRE et Odile KAMMERER (dir.), Le Pouvoir règlementaire : dimension doctrinale, pratiques et sources, XVe et XVIIIe siècles, actes du colloque de Mulhouse, 11 et 12 octobre 2002, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2005.
Julian SWANN, « Defending La Chalotais: The Brittany Affair, 1764-66 » in Politics and the Parlement of Paris under Louis XV, 1754-1774, Cambridge, Cambridge University Press, 1995.
1 - Guerre de Sept Ans : la guerre de Sept ans est un conflit armé européen de 1756 à 1763. Il oppose l'Angleterre et la Prusse à la France, l'Autriche, la Russie, la Suède, l'Espagne et des princes allemands. Deux guerres opposent les belligérants, l'une sur le continent européen, l'autre en Inde et en Amériques. L'Angleterre et la France s'affrontent dans les colonies ; la Prusse et la coalition européenne sur le continent. Le traité de paix consacre l'Angleterre comme puissance maritime, elle conquiert à la France de vastes territoires (Canada, Louisiane, une partie des Antilles, Sénégal), et la Prusse devient l'une des premières puissances militaires de l'Europe.
Pierre-Yves BEAUREPAIRE, « La Chalotais, symbole de la lutte contre le despotisme ministériel sous Louis XV », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 21/11/2024. URL : https://histoire-image.org/etudes/chalotais-symbole-lutte-contre-despotisme-ministeriel-louis-xv
Lien à été copié
Découvrez nos études
L'École, premier lieu de lutte contre l'alcoolisme
Depuis 1873, année de promulgation des « lois Théophile Roussel » réprimant l’ivresse publique, les représentants des ligues de tempérance…
La construction des écoles dans la Somme au XIXe siècle
La situation globale de l’enseignement primaire en France apparaît médiocre à la chute de l’Empire (…
L’amour maternel au XIXe siècle
L’historien Philippe Ariès a décrit le processus par lequel, au XVIIIe siècle, l’enfant devient un être digne d’intérêt, avec des…
Le calendrier 1946 des Éclaireurs de France
Fin 1945, les quarante-quatre mille Éclaireurs de France vendent leur calendrier annuel illustré par…
L'École centrale de Saint-Flour (1795-1802)
Créées par trois lois successives de 1795, les écoles centrales devaient dispenser un enseignement secondaire supérieur. Des professeurs rétribués…
L'annexion de l'Alsace et de la Lorraine
Le traité de Francfort (10 mai 1871) entérine l’annexion de fait de l’Alsace et d’une partie de la Lorraine comprenant la ville de Metz. En 1872,…
Madagascar. 1925. Travail d'écriture en plein air
Depuis la loi de 1896,…
La guerre juste
Dans une nation moins déchristianisée que la France, où la foi ne constitue pas le principe de ralliement d’un parti (comme…
Un marchand d'images
Au milieu du XIXe siècle la population française est déjà assez largement alphabétisée, cependant de grandes disparités existent d’une…
Les auberges de jeunesse
Cette affiche, créée en mars 1945 par M. Lassalle pour le Mouvement Uni des Auberges de Jeunesse (MUAJ), est conservée…
Ajouter un commentaire
Mentions d’information prioritaires RGPD
Vos données sont sont destinées à la RmnGP, qui en est le responsable de traitement. Elles sont recueillies pour traiter votre demande. Les données obligatoires vous sont signalées sur le formulaire par astérisque. L’accès aux données est strictement limité aux collaborateurs de la RmnGP en charge du traitement de votre demande. Conformément au Règlement européen n°2016/679/UE du 27 avril 2016 sur la protection des données personnelles et à la loi « informatique et libertés » du 6 janvier 1978 modifiée, vous bénéficiez d’un droit d’accès, de rectification, d’effacement, de portabilité et de limitation du traitement des donnés vous concernant ainsi que du droit de communiquer des directives sur le sort de vos données après votre mort. Vous avez également la possibilité de vous opposer au traitement des données vous concernant. Vous pouvez, exercer vos droits en contactant notre Délégué à la protection des données (DPO) au moyen de notre formulaire en ligne ( https://www.grandpalais.fr/fr/form/rgpd) ou par e-mail à l’adresse suivante : dpo@rmngp.fr. Pour en savoir plus, nous vous invitons à consulter notre politique de protection des données disponible ici en copiant et en collant ce lien : https://www.grandpalais.fr/fr/politique-de-protection-des-donnees-caractere-personnel