"Forces occultes" (1942)
Lieu de conservation : musée, archives, bibliothèque de la Grande Loge de France (Paris)
site web
Date de création : 1943
H. : 165 cm
L. : 240 cm
Affiche du film écrit par Jean Marquès-Rivière, réalisé par Paul Riche, produit par Robert Muzard et Nova Films
Domaine : Affiches
© Musée, archives, bibliothèque - Grande Loge de France
Inv. PA.012.1969
Cinéma et propagande anti-francs-maçons
Date de publication : Septembre 2016
Auteur : Pierre-Yves BEAUREPAIRE
Vichy déclare la guerre aux « sociétés secrètes »
Dès le 13 août 1940, soit moins de deux mois après la fin dramatique de la campagne de France et l’armistice, le régime de Vichy promulgue une loi interdisant les sociétés secrètes. Le 12 novembre le maréchal Pétain confie à Bernard Faÿ, professeur au collège de France, récemment nommé administrateur de la Bibliothèque nationale, la direction du Service des Sociétés Secrètes, installé symboliquement dans l’hôtel du Grand Orient de France, rue Cadet à Paris. En 1941, Faÿ demande à un ancien franc-maçon, Jean Marquès-Rivière, passé au Parti Populaire Français de Jacques Doriot, ultra-collaborationniste, de travailler au scenario d’un film anti-maçonnique. Ce sera Forces occultes, qui pour « faire vrai » sera tourné à la fois au Palais-Bourbon, puisque l’Assemblée nationale a été mise en congé par l’Etat français, et au siège du Grand Orient. La mise en scène revient à Paul Riche, également ancien maçon et membre du PPF. Avec la bénédiction des autorités d’occupation, le tournage débute le 4 septembre 1942. Les scènes qui ne sont pas tournées in situ, le sont dans les studios de Nova Films à Courbevoie où un temple est reconstitué d’après les photographies prises au Grand Orient. L’affiche est réalisée par les graphistes de Nova-Films sur une idée de Jean Marquès-Rivière.
Le héros du film est le député Avenel, qui naïf et sincère, a fait l’erreur d’accepter l’invitation des francs-maçons à les rejoindre. Quand il découvre que les francs-maçons ont trempé dans tous les malheurs que la France a traversés dans l’avant-guerre : Front populaire, scandale de l’affaire Stavisky, en association avec les juifs ou avec la finance anglo-saxonne, il décide de rompre le serment qui lui impose de taire le secret de l’ordre sous peine d’une mort atroce et de dénoncer les agissements criminels. Ses « frères » décident alors de l’éliminer. Il survit miraculeusement à cette tentative d’assassinat mais quand il se réveille sur son lit d’hôpital, il est trop tard, les conspirateurs de l’anti-France ont fait basculer le pays dans la tragédie de la guerre contre l’Allemagne, malgré l’impréparation des armées françaises.
Après sept mois de tournage et de post-production, le film est présenté au tout-Paris de la collaboration et aux journalistes le 9 mars 1943 en séance privée sur les Champs-Elysées, avant d’être diffusé dans les salles parisiennes et en province. Sorti tardivement, son succès est réel mais sa diffusion s’essouffle rapidement malgré les renforts de la propagande. En revanche, il connaît une deuxième vie à la fin du XXe siècle et jusqu’à aujourd’hui en raison de sa forte audience dans les milieux antimaçonniques et conspirationnistes, où il est présenté comme un « documentaire » et non comme une fiction.
L’affiche d’un film antimaçonnique et collaborationniste
L’affiche est riche en informations écrites qui occupent près de quarante pour cent de sa surface. L’accent est mis sur le producteur du film, Robert Muzard, et sur sa maison de production Nova-Films, très liés à la propagande nazie dans la France occupée, pour laquelle il réalise des documentaires. Les écrits de divulgation du XVIIIe siècle titraient sur « les secrets des francs-maçons dévoilés ». L’affiche recourt au même vocabulaire pour s’inscrire dans la tradition de l’antimaçonnisme. Mais elle met l’accent sur la nouveauté du support cinématographique : « les mystères de la Franc-maçonnerie dévoilés pour la première à l’écran ». Le titre renvoie à la dénonciation des forces de l’anti-France contre lesquelles combattent la Révolution nationale et le maréchal Pétain. Ce sont ces forces : parlementaires corrompus, « péril juif », francs-maçons vendus aux intérêts de la ploutocratie internationale qui ont précipité la France dans la guerre en 1939 et dans la défaite de 1940 en poussant à la guerre contre l’Allemagne.
Le visuel de l’affiche, comme le film lui-même, est sombre. La scène est issue de la cérémonie d’initiation du personnage central du film, le député Avenel. Deux francs-maçons revêtus de leur tablier de maître le maintiennent masqué, entravé et chemise ouverte, tandis que le troisième pointe sur lui une épée. A l’issue de sa prestation de serment, il sera lié pour la vie à l’ordre maçonnique, auquel il doit s’abandonner. Ses frères le protègeront, mais s’il tente de reprendre sa liberté, leur épée le transpercera. De fait, dans le film, lorsqu’Avenel décide de s’échapper et de dénoncer la conspiration maçonnique, deux « frères » le poursuivent dans la rue et le poignardent.
Démasquer le complot judéo-maçonnique
Forces occultes entend dénoncer le péril maçonnique à l’origine de l’effondrement de 1940. Il s’appuie sur la force d’une fiction, dont le scénario met en scène des figures positives : la femme du héros, hostile aux francs-maçons ; le héros naïf et manipulable qui s’efforce de se racheter ; et des figures machiavéliques : les députés corrompus, les juifs – dans la personne notamment d’un ingénieur aéronautique va-t-en-guerre –, tous francs-maçons. L’affiche donne déjà un avant-goût de la tension dramatique. Le héros est sous la menace d’une épée. Ses yeux masqués ne peuvent évaluer la menace qui pèse sur lui, à l’image de la France de la IIIe République qui s’est précipitée dans une guerre qui n’était pas la sienne.
Présents sur l’affiche le compas et l’équerre entrecroisés, symboles classiques de la Franc-maçonnerie donnent également le ton du film : il s’agit de démasquer les forces occultes qui sont à l’œuvre. Au cas, où le public n’identifierait pas immédiatement les symboles, les trois points viennent rappeler que ce sont les « frères trois points », ces éternels comploteurs, qui sont à la manœuvre. La première image du film fait directement la liaison entre complots maçonnique et juif puisqu’une grosse araignée tout droit sortie du Péril juif s’abat sur la France qu’elle enserre dans sa toile malfaisante. Or, comme l’affiche, elle est frappée de l’équerre et du compas.
COMPAGNON Antoine, Le cas Bernard Faÿ : du Collège de France à l’indignité nationale, Paris, Gallimard, coll. « La suite des temps », 2009.
COY Jean-Louis, Forces occultes : le complot judéo-maçonnique au cinéma, Paris, Éditions Véga, coll. « L’univers maçonnique », 2008 (inclut le film sur DVD).
Pierre-Yves BEAUREPAIRE, « Cinéma et propagande anti-francs-maçons », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 12/10/2024. URL : https://histoire-image.org/etudes/cinema-propagande-anti-francs-macons
Lien à été copié
Découvrez nos études
Le Sabordage de la flotte française à Toulon
En cette fin d’année 1942, la Zone Sud (ou libre, ou non occupée) est une fiction qui a pris fin. Lorsqu’un photographe capte les…
La milice française
La Milice française est créée par le régime de Vichy le 20 janvier 1943. Constituée d’environ 30 000…
Le Mauvais camp
Si Léon Trotski, assassiné à Mexico le 21 août 1940, avait pu voir enfin dénoncée la violence stalinienne, chiffres à l’appui,…
Vichy et la propagande
Du 23 au 25 septembre 1940, les Forces françaises libres du Général de Gaulle…
Perfide Albion
Les ports coloniaux de Dakar et Mers el-Kébir ont accédé brutalement à la notoriété en 1940 quand deux…
La Révolution nationale ou le redressement de la « Maison France »
La défaite face à l'armée allemande (mai-juin 1940) signe la fin de la IIIe République et la…
Devenir le maréchal
À la fin du premier conflit mondial, Philippe Pétain (1856-1951) n’est plus seulement l’un des plus hauts gradés de l…
La collaboration de la police et de la gendarmerie françaises
À la suite de l’armistice du 22 juin 1940 et plus encore après l’entrevue de Montoire…
La "Rafle du billet vert" 1/2
Parmi la centaine de clichés documentant la « rafle du billet vert » récemment réapparus, nombreux sont ceux qui…
Jean Moulin
Cette photographie de Jean Moulin a contribué à nourrir la légende du héros de la Résistance. Antérieure à l’Occupation, elle a été choisie par sa…
Ajouter un commentaire
Mentions d’information prioritaires RGPD
Vos données sont sont destinées à la RmnGP, qui en est le responsable de traitement. Elles sont recueillies pour traiter votre demande. Les données obligatoires vous sont signalées sur le formulaire par astérisque. L’accès aux données est strictement limité aux collaborateurs de la RmnGP en charge du traitement de votre demande. Conformément au Règlement européen n°2016/679/UE du 27 avril 2016 sur la protection des données personnelles et à la loi « informatique et libertés » du 6 janvier 1978 modifiée, vous bénéficiez d’un droit d’accès, de rectification, d’effacement, de portabilité et de limitation du traitement des donnés vous concernant ainsi que du droit de communiquer des directives sur le sort de vos données après votre mort. Vous avez également la possibilité de vous opposer au traitement des données vous concernant. Vous pouvez, exercer vos droits en contactant notre Délégué à la protection des données (DPO) au moyen de notre formulaire en ligne ( https://www.grandpalais.fr/fr/form/rgpd) ou par e-mail à l’adresse suivante : dpo@rmngp.fr. Pour en savoir plus, nous vous invitons à consulter notre politique de protection des données disponible ici en copiant et en collant ce lien : https://www.grandpalais.fr/fr/politique-de-protection-des-donnees-caractere-personnel