Aller au contenu principal
Verdun

Verdun

Soldats assis

Soldats assis

Eléments mécaniques

Eléments mécaniques

Soldats dans une maison en ruines

Soldats dans une maison en ruines

Verdun

Verdun

Date de création : 1916

Date représentée :

H. : 21,2 cm

L. : 16,3 cm

Crayon sur papier.

Dessin éxécuté à Verdun en 1916.

Appartient à la série Dessins de guerre

Domaine : Dessins

© ADAGP © RMN-Grand Palais (musée Fernand Léger) / Adrien Didierjean

Lien vers l'image

MNFL 96018 - 15-525744

Le cubisme sur le front : les dessins de guerre de Fernand Léger

Date de publication : Juillet 2007

Auteur : Claire LE THOMAS

Représenter la guerre

La guerre de 1914-1918 opéra une rupture sans précédent dans l’histoire des manières de combattre : la guerre de mouvement, où deux armées s’affrontaient face à face, laissait place à un conflit de position, enterré, long, presque à distance avec l’utilisation d’armes de longue portée (obus, chars, fusils, mitraillettes…). La masse seule des soldats comptait devant une puissance de frappe détruisant et tuant à grande échelle.
Les représentations traditionnelles (portraits individuels de généraux, mêlée des deux armées, champs de bataille, héros en action) ne convenaient plus à cette forme dépersonnalisée de combat : la bravoure individuelle n’était plus de mise ; l’ampleur des aménagements militaires et des destructions engendrait des paysages apocalyptiques. Comme le disait Félix Vallotton, peintre officiel envoyé par l’armée sur le front pour constituer une iconographie de la guerre : « Peindre la guerre aujourd’hui, ce n’est plus peindre des tableaux de bataille ».
Parmi les artistes engagés, certains trouvèrent dans l’esthétique cubiste un moyen d’expression adapté à la représentation de leur expérience sur le front, à leur vécu en tant que combattant et à la vision des espaces, champs, villes, dévastés après la bataille. Léger notamment, brancardier en premières lignes de 1914 à 1917, produisit de nombreux dessins sur la vie quotidienne dans les tranchées et les sites qu’il voyait. Sa correspondance abonde en remarques expliquant l’adéquation qu’il ressentait entre le style cubiste et ce qu’il vivait.

Le cubisme, une esthétique adaptée à la guerre ?

Verdun était ainsi pour Léger « l’académie du cubisme » : « Il y a dans ce Verdun des sujets tout à fait inattendus et bien faits pour réjouir mon âme cubiste. Par exemple, tu découvres un arbre avec une chaise perchée dessus. Les gens sensés te traiteront de fou si tu leur présentes un tableau composé de cette façon. Pourtant il n’y a qu’à copier. Verdun autorise toute les fantaisies picturales. »

Après les affrontements, les sites étaient tellement dévastés, retournés sens dessus dessous, qu’ils ne ressemblaient plus à rien de reconnaissable : les constructions pulvérisées, les ruines, les trous d’obus, formaient un imbroglio indescriptible que l’esthétique cubiste permettait de rendre. Dans Verdun, l’absence de perspective unique, le morcellement des points de fuite et la contraction spatiale produite par la juxtaposition d’éléments figuratifs engendrent un manque de repères qui transcrit formellement la confusion extrême, l’aspect méconnaissable des paysages et des sites. La représentation fragmentée des objets en formes simplifiées et ouvertes, c’est-à-dire sans contours bien délimités, traduit quant à elle la dislocation physique des choses, leur désintégration par les puissances destructrices.

Les solutions plastiques cubistes servirent également à transcrire l’expérience des combats, la déshumanisation que Léger ressentait. « Le fait de se battre, l’action individuelle est réduite au minimum. Tu pousses la gâchette d’un fusil et tu tires sans voir. Tu agis à peine. En somme on arrive à ceci : des êtres humains agissant dans l’inconscient et faisant agir des machines. »

Les personnages de Soldats assis sont essentiellement composés de formes géométriques : cubes pour la tête et le tronc, tubes circulaires pour les bras, cercles pour les articulations. Ils sont ainsi dépersonnalisés, réduits à une épure reproductible à l’infini à l’instar des Éléments mécaniques dessinés sur une autre feuille. Ils traduisent exactement cette impression de faire les « mêmes gestes aux mêmes endroits », cette « mécanisation dont toute émotion est exclue » que Léger a décrite dans ses lettres. Bien plus, réduits par cette guerre à l’état de machines à tuer à l’égal des autres armes, les hommes ont tellement perdu de leur individualité et de leur humanité qu’ils se confondent avec leur environnement dans Soldats dans une maison en ruines. Le recours à un répertoire formel similaire pour représenter les ruines et les soldats produit une équivalence visuelle qui les transforme en choses inanimées, presque en accessoires matériels.

Un nouveau langage plastique

Dans ses représentations des poilus, Léger donne à la guerre son caractère « abstrait » par l’élimination de l’humain. « Cette guerre-là, c’est linéaire et sec comme un problème de géométrie. Tant d’obus en tant de temps sur telle surface, tant d’hommes par mètre et à l’heure fixe en ordre. Tout cela se déclenche mécaniquement. C’est l’abstraction pure, plus pure que la peinture cubiste. » Ainsi pour Léger, « il n’y a pas plus cubiste qu’une guerre comme celle-là qui te divise plus ou moins proprement un bonhomme en plusieurs morceaux et qui l’envoie aux quatre points cardinaux ».

Le cubisme devint également le langage esthétique d’autres artistes envoyés sur le front, comme André Lhote ou André Mare. Face au spectacle du chaos, de la déshumanisation, la représentation naturaliste paraissait trop pauvre : elle ne permettait pas d’exprimer la force destructrice des nouvelles armes, ni l’expérience du combattant dans les tranchées. L’art ne pouvait plus être imitatif, il lui fallait des métaphores plastiques plus fortes pour transcrire ce vécu.

Le style cubiste, par sa décomposition des formes, ses distorsions de perspectives, ses brisures d’objets, proposait un vocabulaire formel plus apte à évoquer l’ampleur apocalyptique des destructions. Il permettait également l’expression des sentiments intimes des poilus, des effets psychologiques que les combats avaient sur eux. La rupture qu’avait amorcée le cubisme en 1907 rendait ainsi possible une représentation qui, au-delà de la réalité visible de la guerre, offrait aussi des transcriptions parlantes du vécu des soldats.

Pierre VALLAUD, 14-18, la Première Guerre mondiale, tomes I et II, Paris, Fayard, 2004.

Stéphane AUDOIN-ROUZEAU et Annette BECKER, 14-18, retrouver la guerre, Paris, Gallimard, 2000.

Pierre DAIX, Journal du cubisme, Paris-Genève, Skira, 1982.

Fernand LÉGER, Une correspondance de guerre à Louis Poughon, 1914-1918, éd.Christian Derouet in Les Cahiers du musée national d’Art moderne, hors-série, 1990.

André MARE, Cubisme et camouflage : 1914-1918, Bernay, Musée municipal des Beaux-Arts, 1998.

Pierre VALLAUD, 14-18, la Première Guerre mondiale, tomes I et II, Paris, Fayard, 2004.

Claire LE THOMAS, « Le cubisme sur le front : les dessins de guerre de Fernand Léger », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 04/10/2024. URL : https://histoire-image.org/etudes/cubisme-front-dessins-guerre-fernand-leger

Ajouter un commentaire

HTML restreint

  • Balises HTML autorisées : <a href hreflang> <em> <strong> <cite> <blockquote cite> <code> <ul type> <ol start type> <li> <dl> <dt> <dd> <h2 id> <h3 id> <h4 id> <h5 id> <h6 id>
  • Les lignes et les paragraphes vont à la ligne automatiquement.
  • Les adresses de pages web et les adresses courriel se transforment en liens automatiquement.
CAPTCHA
Cette question sert à vérifier si vous êtes un visiteur humain ou non afin d'éviter les soumissions de pourriel (spam) automatisées.

Mentions d’information prioritaires RGPD

Vos données sont sont destinées à la RmnGP, qui en est le responsable de traitement. Elles sont recueillies pour traiter votre demande. Les données obligatoires vous sont signalées sur le formulaire par astérisque. L’accès aux données est strictement limité aux collaborateurs de la RmnGP en charge du traitement de votre demande. Conformément au Règlement européen n°2016/679/UE du 27 avril 2016 sur la protection des données personnelles et à la loi « informatique et libertés » du 6 janvier 1978 modifiée, vous bénéficiez d’un droit d’accès, de rectification, d’effacement, de portabilité et de limitation du traitement des donnés vous concernant ainsi que du droit de communiquer des directives sur le sort de vos données après votre mort. Vous avez également la possibilité de vous opposer au traitement des données vous concernant. Vous pouvez, exercer vos droits en contactant notre Délégué à la protection des données (DPO) au moyen de notre formulaire en ligne ( https://www.grandpalais.fr/fr/form/rgpd) ou par e-mail à l’adresse suivante : dpo@rmngp.fr. Pour en savoir plus, nous vous invitons à consulter notre politique de protection des données disponible ici en copiant et en collant ce lien : https://www.grandpalais.fr/fr/politique-de-protection-des-donnees-caractere-personnel

Partager sur

Découvrez nos études

La bataille de Valmy

La bataille de Valmy

La bataille de Valmy fut remportée le 20 septembre 1792 par l’armée française commandée par Dumouriez et Kellermann sur l’armée coalisée commandée…

La guerre russo-turque

La guerre russo-turque

« L’imagerie nouvelle » et les « actualités » ou le récit de la guerre russo-turque en images

Prenant le relais des anciennes illustrations, les…

La guerre russo-turque
La guerre russo-turque
Le cimetière de Saint-Privat

Le cimetière de Saint-Privat

La guerre franco-prussienne de 1870, déclarée le 19 juillet, se déroule en deux phases : la première sous la direction de Napoléon III jusqu’à la…

La bataille de Somo-Sierra (30 novembre 1808)

La bataille de Somo-Sierra (30 novembre 1808)

Les difficultés internes de l’Espagne et les nécessités du maintien du blocus continental établi par décret à Berlin le 21 novembre 1806…

La Révolte du Caire, le 21 octobre 1798

La Révolte du Caire, le 21 octobre 1798

La révolte du Caire est un épisode de l’expédition d’Egypte menée par Bonaparte. Le Directoire souhaitait éloigner ce général trop populaire qui…

Prise de la smalah d'Abd-el-Kader

Prise de la smalah d'Abd-el-Kader

L’émir Abd el-Kader avait été l’âme de la résistance à la colonisation française de l’Algérie, dont la conquête avait été entreprise en 1830. D’…

Le siège de Toulon (septembre-décembre 1793)

Le siège de Toulon (septembre-décembre 1793)

À la fin de 1792, après les victoires de Valmy et Jemmapes, la situation militaire de la France est excellente, mais la politique conquérante de…

La bataille des Pyramides

La bataille des Pyramides

L’Egypte ottomane est une base idéale pour arrêter la domination commerciale des Anglais en Inde. L’expédition ayant pour but l’occupation du…

La bataille des Pyramides
La bataille des Pyramides
Le Mont des Singes (Aisne) après l'apocalypse

Le Mont des Singes (Aisne) après l'apocalypse

Un site labouré et retourné par la Grande Guerre

Le cliché présenté montre de façon très brute les conséquences des combats qui eurent lieu sur…

Le Deux mai 1808 à Madrid

Le Deux mai 1808 à Madrid

D’alliés à occupants, les Français et le soulèvement des Madrilènes

En 1814, soit près de deux ans après que le territoire espagnol a été libérée…