Le Tiers-Etat portant sur son dos le Clergé et la Noblesse
Auteur : ANONYME
Lieu de conservation : musée Carnavalet – Histoire de Paris (Paris)
site web
Date de création : 1789
H. : 19,7 cm
L. : 14,1 cm
Série : La chute de l'ancien régime.
Eau-forte coloriée.
Domaine : Estampes-Gravures
© CC0 Paris Musées / Musée Carnavalet
G.23830
La dénonciation de la société d’ordres
Date de publication : Mars 2023
Auteur : Guillaume BOUREL
L’année 1789
Face à la fronde des parlements et à la crise financière, Louis XVI n’a d’autre choix que de convoquer le 8 août 1788 les états généraux qui s’ouvrent le 5 mai 1789. La rédaction des cahiers de doléances est l’occasion pour le tiers état de dénoncer les droits seigneuriaux (1) et d’exiger une juste répartition de l’impôt. C’est probablement dans ce contexte du premier semestre 1789 que fut réalisée cette image. La Révolution qui s’ouvre a en effet également permis une véritable explosion de caricatures satiriques. Plus de 1 500 sont publiées entre 1789 et 1792, principalement à Paris, dans le quartier de la rue Saint-Jacques. Gravées sur cuivre, par centaines, pour une même planche, elles peuvent, comme ici, être coloriées ensuite au pochoir avant d’être vendues sous forme de feuilles volantes à un prix modique (quelques sous).
Le paysan accablé par les privilèges
Un pauvre paysan porte sur son dos le premier ordre (le clergé) et le second (la noblesse), évoquant d’emblée l’injustice de la société d’Ancien Régime. L’image force le trait en représentant les deux premiers ordres en habit de cour. Le prélat n’est pas en soutane, mais porte culotte et bas de soie. Le noble arbore le cordon bleu de l’ordre du Saint-Esprit. Les plumes exubérantes de son chapeau et sa jarretière soulignent la frivolité de cet ordre. La fraise qui n’est plus portée depuis le XVIIe siècle fait du noble une figure sociale désuète et dépassée.
Sur le mode des caricatures hollandaises, le texte est un complément nécessaire pour donner à l’image toute sa charge. Le paysan accablé s’appuie sur sa houe « mouillée de larmes » et de sa poche sortent des papiers où sont énumérés les charges qui reposent entièrement sur le tiers état : les taxes sur le sel et le tabac, la taille, la corvée, la dîme versée à l’Église et l’obligation de servir dans la milice provinciale créée par Louis XIV. En contrepoint, le texte qui s’échappe de la poche de l’ecclésiastique énumère les titres de noblesse et évoque les « pensions » que reçoivent du roi les membres des ordres privilégiés et qui leur permettent de vivre dans l’ « ostentation ». En bas à gauche, les « lièvres seigneuriaux », car leur chasse est réservée au seigneur, dévorent les choux plantés par le paysan. L’épée, dont le port est un privilège aristocratique, est dite « rougie de sang », évocation à la fois de la fonction militaire de cet ordre, mais aussi d’une certaine cruauté. La légende « A faut espérer q’eu se jeu la finira bientôt » utilise le langage du paysan, signe d’une revanche à venir du tiers état sur les deux autres.
La force révolutionnaire de l’image
La caricature traduit en image commentée une idée assez élaborée, exprimée la même année par Siéyès dans Qu’est-ce que le tiers état ? Le tiers état n’est rien car opprimé, mais il est tout car à lui seul il concourt à la prospérité de la nation et Sièyes de rajouter « Rien ne peut aller sans lui, tout irait mieux sans les autres », les ordres privilégiés étant finalement inutiles.
Le titre de la caricature -le haut de la page est coupé ici-, « Le temps passé », et la légende de la caricature suggèrent un renversement de la société d’ordres d’Ancien Régime. L’image est d’ailleurs associée à une seconde caricature, « Le temps présent », qui inverse totalement la position des trois ordres. La caricature devient en 1789 un langage politique qui véhicule dans le peuple parisien les aspirations à un changement radical. Elle a une double fonction d’image pédagogique par laquelle le tiers état prend conscience de son oppression mais aussi au final de sa force, et de pamphlet subversif suggérant que tout retour en arrière est inenvisageable.
Antoine de Baecque, La caricature révolutionnaire, Paris, CNRS, 1988
Michel Biard, Philippe Bourdin, Silvia Marzagalli, Révolution, Consulat, Empire (1789-1815), Belin, 2014
Claude Langlois, « La Révolution a-t-elle eu un avenir ? » dans Matériaux pour l’histoire de notre temps, n°21-22, 1990, pp. 12-16
1 - Droit seigneurial : Ensemble de redevances versées par les paysans, en argent, en nature ou sous forme de corvées au seigneur de la localité. Ce dernier peut être un noble mais aussi un ecclésiastique ou un bourgeois qui a acquis ce titre de seigneur.
Guillaume BOUREL, « La dénonciation de la société d’ordres », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 12/12/2024. URL : https://histoire-image.org/etudes/denonciation-societe-ordres
Lien à été copié
Découvrez nos études
La Grande bourgeoisie à la fin de l'Ancien Régime
Lors de son premier séjour à Rome, de 1775 à 1780, David rencontre le fils de monsieur Pécoul, qui lui remet un mot d’introduction pour son père,…
La dénonciation de la société d’ordres
Face à la fronde des parlements et à la crise financière, Louis XVI n’a d’autre choix que de convoquer le 8 août 1788 les états…
Les États généraux
La cérémonie d’ouverture des états généraux eut lieu le 5 mai 1789 dans une vaste salle aménagée dans l’hôtel des Menus-Plaisirs, avenue de Paris…
Le Banquet du mariage de Napoléon et Marie-Louise
Au faîte de sa puissance, Napoléon divorce d’avec Joséphine et cherche un nouveau « ventre » qui puisse lui assurer…
La publication du Livre rouge, mise en cause de l'absolutisme
Sous l’Ancien Régime, les finances royales proviennent de la fiscalité, des revenus du…
La carte de France de 1789
Evénement oublié depuis 1614, la réunion des états généraux (organisée pour trouver de l’argent) est…
La nuit du 4 août : l’abolition des privilèges
Après le célèbre serment du Jeu de Paume par lequel les députés des états généraux ont juré de ne pas se séparer tant…
Le système métrique décimal
A la veille de la Révolution, les mesures en usage en France (plus de 800) présentent une très grande…
Marie-Madeleine Guimard et le ballet français du XVIIIe siècle redécouverts
L’esprit galant du XVIIIe siècle et ses protagonistes reviennent à la mode dans la seconde moitié du XIXe siècle : les…
Le sacre de Charles X
Né à Versailles le 9 octobre 1757, Charles X était le petit-fils de Louis XV, et le frère cadet des rois Louis XVI et Louis XVIII. Jusqu’à son…
Bonjour, Pouvez vous s'il…
Bonjour,
Pouvez vous s'il vous plait expliquer plus en détails la signification de cette caricature ?
Sans citation ou titre de d'autres œuvres.
Merci :)
Ajouter un commentaire
Mentions d’information prioritaires RGPD
Vos données sont sont destinées à la RmnGP, qui en est le responsable de traitement. Elles sont recueillies pour traiter votre demande. Les données obligatoires vous sont signalées sur le formulaire par astérisque. L’accès aux données est strictement limité aux collaborateurs de la RmnGP en charge du traitement de votre demande. Conformément au Règlement européen n°2016/679/UE du 27 avril 2016 sur la protection des données personnelles et à la loi « informatique et libertés » du 6 janvier 1978 modifiée, vous bénéficiez d’un droit d’accès, de rectification, d’effacement, de portabilité et de limitation du traitement des donnés vous concernant ainsi que du droit de communiquer des directives sur le sort de vos données après votre mort. Vous avez également la possibilité de vous opposer au traitement des données vous concernant. Vous pouvez, exercer vos droits en contactant notre Délégué à la protection des données (DPO) au moyen de notre formulaire en ligne ( https://www.grandpalais.fr/fr/form/rgpd) ou par e-mail à l’adresse suivante : dpo@rmngp.fr. Pour en savoir plus, nous vous invitons à consulter notre politique de protection des données disponible ici en copiant et en collant ce lien : https://www.grandpalais.fr/fr/politique-de-protection-des-donnees-caractere-personnel