Le Restaurant de la Sirène à Asnières
Le Personnel du restaurant Arrigoni, 23, passage des Panoramas, 2e arrondissement
Ady déjeunait souvent ici, le Chartier du Quartier Latin qui a gardé son caractère 1900
Devanture : restaurant à la Mère Catherine
Le Restaurant de la Sirène à Asnières
Auteur : VAN GOGH Vincent
Lieu de conservation : musée d’Orsay (Paris)
site web
H. : 54 cm
L. : 65 cm
Huile sur toile
Domaine : Peintures
© Musée d'Orsay, Dist. GrandPalaisRmn / Patrice Schmidt
RF 2325 - 10-527314
L’Essor des restaurants
Date de publication : Novembre 2011
Auteur : Charlotte DENOËL
L’expansion des restaurants au XIXe siècle
Si les commerces de restauration sont attestés à toutes les époques et en tous lieux, c’est cependant vers la fin du XVIIIe siècle qu’apparaît le premier restaurant moderne en France, alors que ce pays a déjà acquis une solide réputation en matière de gastronomie à l’étranger. L’ouverture près du Louvre en 1765 d’un restaurant où un nommé Boulanger sert des consommés à base de viande et autres plats raffinés habituellement préparés par des traiteurs sur de petites tables ouvre la voie à l’émergence d’une nouvelle profession qui vient concurrencer le monopole de la corporation des traiteurs.
Rapidement, cette formule rencontre un franc succès, et Paris compte bientôt un grand nombre d’enseignes renommées à la veille de la Révolution. Lorsque celle-ci survient, beaucoup de cuisiniers au service de la cour ou de la haute noblesse s’installent à leur propre compte dans les galeries du Palais-Royal, lieu alors à la mode. De fait, le nombre de restaurateurs à Paris est en hausse constante – une centaine avant la Révolution, près de 3 000 sous la Restauration –, et les restaurants s’imposent en France comme les lieux par excellence du bien-manger en dehors de l’espace domestique.
Les restaurants, un lieu de gastronomie et de sociabilité
Les artistes ont largement traité le sujet des restaurants, que ce soit par le biais de la peinture ou par celui d’autres médias comme la photographie. Ils se sont notamment attachés à en dépeindre l’aspect extérieur, ainsi Vincent Van Gogh qui a immortalisé en 1887 le restaurant de la Sirène à Asnières-sur-Seine, village aux portes de Paris où il avait coutume de faire des excursions. La palette, où domine une gamme variée de blancs et de tons clairs, rehaussés par endroits de petites touches vives, et le trait hachuré du pinceau font ressortir le côté pimpant et presque champêtre du restaurant, avec ses rosiers et la végétation qui escalade sa façade. Sur le trottoir, des personnages attablés devisent, tandis que d’autres déambulent sur la terrasse du premier étage, lieu de rendez-vous de la société en quête de réjouissances conviviales.
Cette sociabilité propre aux restaurants est également mise en valeur dans un cliché pris en 1946 par Marcel Bovis, photographe qui s’est intéressé au patrimoine de la capitale. Cette photographie représente le restaurant À la Mère Catherine, une vieille maison parisienne fondée place du Tertre par une certaine Catherine Lemoine en 1793 comme l’indique l’inscription sur la façade, à une époque où les restaurants étaient en plein essor. Selon la légende, Danton aurait fréquenté ce lieu. L’établissement annonce que ses clients y trouveront un jardin et des bosquets, et qu’il vend également du tabac. Comme le veut la règle pour ce type de commerce de bouche, les plats et le menu du jour sont affichés en devanture. Une femme a pris place à l’une des petites tables de bistrot disposées sur le trottoir, tandis qu’un couple discute sur le pas de la porte avec un homme qui semble être le patron du restaurant.
D’autres photographes ont laissé des témoignages de nature sociologique sur les restaurants. Ainsi en va-t-il du cliché que François Antoine Vizzavona a consacré vers 1910-1920 au restaurant Arrigoni, situé passage des Panoramas, à Paris, dans le 2e arrondissement. Cette vue « panoramique » donne bien la mesure du standing qu’affiche cet établissement italien : tous ceux qui y travaillent posent face à l’objectif selon une scrupuleuse hiérarchie, les propriétaires du restaurant venant en tête, suivis du groupe des serveurs puis de celui des cuisiniers, aisément reconnaissables en bout de file à leur toque et leur tenue blanches. À côté de ces restaurants de luxe, il existait également à Paris un grand nombre de maisons populaires qui servaient des plats à prix modique, ainsi les « Bouillons » créés en 1860 et au-delà par les Duval père et fils, où l’on proposait du bouillon de bœuf pour les ouvriers. La formule qui rencontra un immense succès fut reprise par les frères Chartier à la fin du XIXe siècle, qui ouvrirent plusieurs bouillons à Paris, dont le « Chartier » du Quartier latin (actuel Bouillon Racine) en 1906. Le photographe d’origine hongroise André Kertész avait ses habitudes dans ce restaurant qui a conservé son somptueux décor Art nouveau d’origine, ainsi qu’en témoigne une photographie de cet artiste prise en 1934 sous le titre « Ady déjeunait souvent ici ». Assis au milieu de miroirs et de boiseries, un homme vu de dos étudie le menu du jour. Les chaises et les tables en bois, les nappes à carreaux vichy et le parquet font partie du décor traditionnel des établissements de cette catégorie.
Une institution typiquement française
Chacune à sa manière, ces œuvres reflètent l’essor remarquable des restaurants dont les devantures et les enseignes sont devenues un élément incontournable du paysage urbain tout au long du XIXe et du XXe siècle, spécialement à Paris. Dès le milieu du XIXe siècle, les restaurants parisiens ont acquis une telle réputation que l’on s’y précipite de partout, y compris de l’étranger, pour goûter à la bonne chère. Le phénomène qui ne cessera de s’amplifier concerne également la province : les grands chefs qui y officient attirent les gastronomes, et Lyon fait de même avec ses « bouchons » où l’on sert des spécialités régionales populaires.
Si la gastronomie française est à l’honneur dans la plupart des restaurants, qu’ils soient fréquentés par une société aristocratique friande de luxe et de bonne chère ou par une clientèle plus populaire, et si le mot « restaurant » s’exporte partout en Europe puis dans le reste du monde, Paris n’en a pas moins très tôt ouvert ses portes aux restaurants étrangers. Loin de nuire à la créativité de la cuisine française, le cosmopolitisme de la capitale a permis aux chefs de renouveler constamment leur inspiration au contact d’influences étrangères, tout en s’appuyant sur les produits du terroir, symbole par excellence de la gastronomie à la française.
Jean-Louis FLANDRIN et Massimo MONTANARI (dir.), Histoire de l’alimentation, Paris, Fayard, 1996.
Jean-Robert PITTE, Gastronomie française. Histoire et géographie d’une passion, Paris, Fayard, 1991.
Charlotte DENOËL, « L’Essor des restaurants », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 03/12/2024. URL : https://histoire-image.org/etudes/essor-restaurants
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