Aller au contenu principal
Brillant match d'éloquence entre MM. Jean Jaurès et Jules Guesde

Brillant match d'éloquence entre MM. Jean Jaurès et Jules Guesde

Jaurès à la tribune

Jaurès à la tribune

Croquis pour servir à illustrer l'histoire de l'éloquence

Croquis pour servir à illustrer l'histoire de l'éloquence

Brillant match d'éloquence entre MM. Jean Jaurès et Jules Guesde

Brillant match d'éloquence entre MM. Jean Jaurès et Jules Guesde

Auteur : SOMM Henri

Lieu de conservation : musée Jean-Jaurès (Castres)
site web

Date de création : 1900

Date représentée : 1900

Domaine : Dessins

© Musée Jean Jaurès

Jaurès orateur

Date de publication : Mars 2016

Auteur : Alain BOSCUS

Un orateur hors du commun

Leader socialiste et député de 1885 à 1889 puis de 1893 à 1898 et de 1902 à 1914, Jaurès fut sans nul doute un des principaux orateurs de notre histoire : en tête-à-tête ou au sein de groupes restreints, à la Chambre ou en campagne électorale, à l’issue de manifestations ouvrières ou dans des meetings populaires, dans des conférences érudites ou à la tribune de congrès… : Jean Jaurès a parlé toute sa vie durant, n’arrêtant bien souvent de parler que pour écrire…
Admiré pour ses talents oratoires, y compris par ses adversaires politiques les plus farouches (un Barrès par exemple), il était surnommé, à l’apogée de son art, saint Jean Bouche d’or. Ses déplacements en province attiraient toujours un immense public, et ses prises de position à la Chambre, attendues par ses amis, suscitaient la crainte et l’effroi dans le camp adverse.
En une période où porte-voix et micros n’existaient pas, la prise de parole en public était malaisée. Mais elle demeurait nécessaire au débat démocratique et civique. En tous lieux – et surtout au Parlement, temple de l’éloquence –, les hommes politiques étaient appelés à s'exprimer et à débattre. Jaurès affectionnait particulièrement cela, même si l’irritation de ses cordes vocales l’a forcé au repos à plusieurs reprises. Pour convaincre le plus grand nombre de la justesse de ses pensées, il donnait tout de lui-même. C’est ce qu’ont compris les dizaines de dessinateurs, peintres et caricaturistes qui ont jugé nécessaire de donner à voir son « génie oratoire ».

La gestuelle de l’éloquence

Jaurès parle. Afin d’être convaincant, il occupe l’espace en usant de tous les moyens pour être vu et entendu, même par ceux qui ne souhaitent pas l’écouter.
A Lille en novembre 1900, il débat avec l’autre grand leader du socialisme français, Jules Guesde, à propos des « deux méthodes » censées diviser les divers courants de la même famille politique. Jaurès caricaturé par Henry Somm avec plus d’embonpoint qu’il n’en avait alors, répond du tac au tac à son adversaire du jour qui fait de même. Le débat est animé. Il captive l’assistance composée en majeure partie d’ouvriers du Nord, dont beaucoup sont acquis aux thèses guesdistes du Parti ouvrier français (P.O.F.).
Trois ans après, Charles Léandre le croque à la tribune. Sa fougue n’a d’égale que l’expressivité physique et gestuelle des diverses facettes de son talent oratoire. Les deux poings serrés en avant, le voilà qui pétrit l’adversaire ; le bras droit tendu loin devant, il part à la conquête des positions ennemies ; un bras ramené devant son torse, il prend sa garde en pivotant sur un pied pour mieux lancer un défi à ceux qui, face à lui, ont le tort de ne pas partager ses idées ; puis il passe à l’attaque, avant d’évoquer le nivellement social et de préciser son idéal, bras tendus vers le ciel et tournoyant tel un chef d’orchestre. Jaurès crie et s’enflamme ; il s’emporte et pérore. Son visage est grave, marqué par l’effort et parfois par la fatigue.
Plusieurs années après, Eloy-Vincent dépeint le tribun au faîte de sa puissance, synthétisant les différents moments de ses interventions en des croquis d’une grande finesse et d’une troublante vérité : qu’il demande la parole, qu’il mette en garde ses opposants, qu’il affirme ses convictions ou qu’il ironise, qu’il se lance dans un exorde enflammé ou qu’il atteigne un sommet de sa période, l’orateur n’est plus qu’un concentré d’attention, de passion et de talent, apte à faire face à toute adversité. Sa tête puissante, son corps ramassé, ses bras toujours très actifs… : tout, en lui, sert son éloquence.

 

L’art oratoire entre pensée et action

Ces œuvres permettent de saisir le rôle historique de l’éloquence dans la vie politique de la IIIe République, période pendant laquelle plusieurs députés, tels de Mun, Clemenceau, Guesde…, montrèrent comme Jaurès un vrai génie de la parole. Le leader socialiste pourtant sortait du lot. Pas seulement parce qu’il se voulait l’héritier direct de Bossuet. Les moyens qu’il mettait en œuvre lui permettaient de surpasser ses collègues : son physique (« une grosse tête sur un corps trapu », a-t-on dit) avec un « coffre » d’où sortait une voix puissante et cuivrée, qui servait une verve méridionale et une générosité sans pareille ; sa culture et son érudition qui, prolongeant une mémoire impressionnante, sans rivale, lui permettaient de polir impeccablement ses phrases et de développer une rhétorique apprise aux meilleures sources (grecques et latines). Usant d’images simples, trouvant toujours les citations appropriées, sachant utiliser avec efficacité l’ironie, ayant toujours la présence d’esprit et la courtoisie nécessaires, Jaurès était aussi un grand travailleur qui mûrissait ses discours pendant des heures, les préparant attentivement (parfois pendant des jours et en faisant des recherches scrupuleuses) par des pensées et des méditations, et se contentait le plus souvent de noter quelques mots sur un papier en guise de points de repère. Laissant toute sa place à l’expression spontanée, il pouvait ainsi toucher au plus juste et être très efficace. « Tant que Jaurès parlera, dit George Dalbert, peu suspect de complaisance à son égard, vous serez à lui et vous ne vous ressaisirez que lorsqu’il se taira. »
Ces dons naturels, ces facilités, il les mettait au service d'objectifs d’émancipation qu’il cherchait à faire partager au plus grand nombre. Et même si les aspects les plus pratiques et les plus immédiats étaient présents à son esprit (rallier les hésitants et les indécis, par exemple), ses discours étaient très rarement circonstanciels. Recherchant le vrai et voulant toujours, par le débat et la confrontation, participer à l’éducation du public, il faisait en sorte que sa parole soit un véritable morceau de bravoure destiné à frapper la conscience de ses auditeurs.
De cette façon, sans démagogie, il parvenait très rapidement à comprendre son public (l’ambiance de la salle…) et à entrer en communion avec lui, bien qu’il n’ait pas eu toujours en face de lui, tant s’en faut, des auditeurs acquis à ses idées. De surcroît l’homme a mûri ; son art oratoire s’est bonifié avec le temps : la connaissance des lieux, des auteurs, des événements et des acteurs de la vie politique, sociale et culturelle lui fut précieuse en ce domaine, tout comme la maîtrise des réseaux et des lieux de sociabilité. L’on sait aussi que son adhésion au socialisme, le contact populaire, les engagements les plus vifs pour la cause ouvrière, ou ceux, tardifs mais réels, contre la guerre et le colonialisme ont encore décuplé ses qualités oratoires ainsi que l’originalité de ses idées. « Extraordinaire torrent verbal » (André Siegfried), « voix du peuple lion » (Alain), « homme orchestre des grandes symphonies sociales » (Adolphe Taborant), « Prophète et Vomitor de la parole » (Colette), « enthousiaste frémissant, désintéressé et véhément » (Léon Trotsky)… : tel était Jaurès orateur.

Michel LAUNAY Jaurès orateur ou l’Oiseau rare Paris, Jean-Paul Rocher Editeur, 2000.

Madeleine REBERIOUX Jaurès : la parole et l’acte Paris, Gallimard, coll. « Découvertes », 1994.

Alain BOSCUS, « Jaurès orateur », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 12/10/2024. URL : https://histoire-image.org/etudes/jaures-orateur

Ajouter un commentaire

HTML restreint

  • Balises HTML autorisées : <a href hreflang> <em> <strong> <cite> <blockquote cite> <code> <ul type> <ol start type> <li> <dl> <dt> <dd> <h2 id> <h3 id> <h4 id> <h5 id> <h6 id>
  • Les lignes et les paragraphes vont à la ligne automatiquement.
  • Les adresses de pages web et les adresses courriel se transforment en liens automatiquement.
CAPTCHA
Cette question sert à vérifier si vous êtes un visiteur humain ou non afin d'éviter les soumissions de pourriel (spam) automatisées.

Mentions d’information prioritaires RGPD

Vos données sont sont destinées à la RmnGP, qui en est le responsable de traitement. Elles sont recueillies pour traiter votre demande. Les données obligatoires vous sont signalées sur le formulaire par astérisque. L’accès aux données est strictement limité aux collaborateurs de la RmnGP en charge du traitement de votre demande. Conformément au Règlement européen n°2016/679/UE du 27 avril 2016 sur la protection des données personnelles et à la loi « informatique et libertés » du 6 janvier 1978 modifiée, vous bénéficiez d’un droit d’accès, de rectification, d’effacement, de portabilité et de limitation du traitement des donnés vous concernant ainsi que du droit de communiquer des directives sur le sort de vos données après votre mort. Vous avez également la possibilité de vous opposer au traitement des données vous concernant. Vous pouvez, exercer vos droits en contactant notre Délégué à la protection des données (DPO) au moyen de notre formulaire en ligne ( https://www.grandpalais.fr/fr/form/rgpd) ou par e-mail à l’adresse suivante : dpo@rmngp.fr. Pour en savoir plus, nous vous invitons à consulter notre politique de protection des données disponible ici en copiant et en collant ce lien : https://www.grandpalais.fr/fr/politique-de-protection-des-donnees-caractere-personnel

Partager sur

Découvrez nos études

La Troïka

La Troïka

Cette caricature est extraite de Gringoire, hebdomadaire de droite extrême (1928-1944) dominé par son éditorialiste, Henri Béraud. Le journal, qui…

Léon Gambetta

Léon Gambetta

Léon Gambetta (Cahors 1838-Paris 1882), avocat, opposé au régime impérial, joue un rôle politique majeur au lendemain de la défaite de Sedan, dans…

Le club des Jacobins de Paris

Le club des Jacobins de Paris

La Société des amis de la Constitution à Paris

Dès mai 1789 à Versailles, des députés bretons aux états généraux se concertent avant les réunions…

Le club des Jacobins de Paris
Le club des Jacobins de Paris
Le club des Jacobins de Paris
La séparation des Églises et de l'État

La séparation des Églises et de l'État

L’imminence de la Séparation

À l’orée du siècle, les relations de la France avec le Saint-Siège s’enveniment du fait de la politique…

Les États généraux

Les États généraux

La cérémonie d’ouverture des états généraux eut lieu le 5 mai 1789 dans une vaste salle aménagée dans l’hôtel des Menus-Plaisirs, avenue de Paris…

Tocqueville, historien et visionnaire

Tocqueville, historien et visionnaire

Magistrat sous la Restauration, Alexis de Tocqueville (Paris, 1805-Cannes, 1859) fut chargé d’une mission d’information aux Etats-Unis et publia à…

La propagande boulangiste

La propagande boulangiste

Le plébiscite populaire du général Boulanger

La menace qu’a fait peser le général Boulanger sur la république a été brève. Tout commence quand,…

La propagande boulangiste
La propagande boulangiste
Robespierre, incorruptible et dictateur

Robespierre, incorruptible et dictateur

D’origine bourgeoise, fils d’avocat et avocat lui-même, Robespierre est l’une des grandes incarnations de l’esprit de la Révolution. Formé chez…

Édouard Drumont, le chantre de l’antisémitisme dans la France de la fin du XIX<sup>e</sup> siècle

Édouard Drumont, le chantre de l’antisémitisme dans la France de la fin du XIXe siècle

Édouard Drumont, un homme de son temps ?

La photographie de Pierre Petit appartient à la célèbre collection Félix Potin. Ce précurseur dans le…

Les martyrs de prairial

Les martyrs de prairial

Exacerbée par la crise sociale, la famine et le chômage, exaltée par la répression et la persécution menées contre les militants sectionnaires à…