Le Roi de Rome (1811-1832)
Marie-Louise, impératrice des Français et le roi de Rome
Marie-Louise, impératrice des Français et le roi de Rome
Le Roi de Rome (1811-1832)
Auteur : PRUD'HON Pierre-Paul
Lieu de conservation : musée du Louvre (Paris)
site web
Date de création : 1811
H. : 46 cm
L. : 56 cm
Huile sur toile
Domaine : Peintures
© RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Daniel Arnaudet
RF 1982 19 - 95-004375
La naissance du roi de Rome
Date de publication : Février 2022
Auteur : Lucie NICCOLI
La naissance du roi de Rome célébrée par les peintres
Le 20 mars 1811 naquit aux Tuileries Napoléon François Charles Joseph, le fils de Napoléon Ier et de Marie-Louise, l’héritier tant attendu de l’Empire. Dès sa naissance, l’enfant reçut le titre de « roi de Rome », Rome étant considérée comme la seconde capitale de l’empire depuis l’annexion des États pontificaux par la France en mai 1809 et l’enlèvement du pape Pie VII en juillet 1809, détenu à Savone. Ce titre était aussi une manière d’inscrire l’enfant roi dans la succession des souverains du Saint-Empire romain germanique, fondé au Xe siècle, qui se faisaient appeler « roi des Romains ». Il pouvait prétendre à cet héritage par sa mère, Marie-Louise de Habsbourg-Lorraine.
Au Salon du Louvre, en novembre 1812, de nombreuses œuvres célébrèrent sa venue au monde. Parmi celles-ci, le critique d’art Charles Paul Landon estima dignes d’être reproduites dans son Recueil de pièces choisies deux petites toiles : Le Roi de Rome endormi, de Pierre Paul Prud’hon, peinte pour l’impératrice, et L’Impératrice Marie-Louise veillant sur le roi de Rome, de Joseph Franque, acquise pour la famille impériale.
François Gérard y exposa aussi le second exemplaire d’un portrait du prince impérial réalisé pour l’impératrice, qui avait envoyé l’original à Napoléon alors qu’il se trouvait en Russie. Ce petit portrait ayant beaucoup plu à Napoléon, Marie-Louise commanda l’année suivante à Gérard un double portrait de grandes dimensions, L’Impératrice Marie-Louise présentant le roi de Rome, qui fut placé dans le Salon de l'empereur aux Tuileries.
A la différence de Joseph-Boniface Francou, dit Franque, alors peu connu et qui quitta la France pour l’Italie en 1812, Prud’hon et Gérard comptaient déjà parmi les peintres favoris de la famille impériale. Gérard reçut des commandes de l’empereur dès 1800 et fut l’un des premiers peintres à être décorés de la Légion d’honneur, en 1803, tandis que Prud’hon, très apprécié depuis qu’il avait réalisé, en 1805, le portrait de Joséphine, enseignait le dessin à Marie-Louise depuis 1810.
Trois portraits de l’héritier de l’empire savamment mis en scène
La mise en scène choisie par Prud’hon est singulière : il représente l’enfant âgé de quelques mois seulement, endormi en pleine nature, nimbé d’une douce lumière matinale, dans un cocon de verdure. Une étoffe bleue accrochée au-dessus de sa tête en guise de voilage, son petit matelas blanc posé sur l’herbe, il est couvert d’une draperie rouge brodée d’or. Contrastant avec le fond vert de la végétation, ces trois couleurs vives rappellent celles du drapeau français, adoptées à la Révolution, le rouge de la draperie évoquant aussi la pourpre impériale.
Cette image idyllique rappelle la légende du fondateur et premier roi de Rome, Romulus (1), abandonné à sa naissance, avec son frère jumeau Rémus (1), dans un panier sur le Tibre. Seuls les végétaux, qui semblent s’incliner vers l’enfant, indiquent son état princier : deux frétillaires impériales – fleurs qui agrémentaient les jardins des châteaux impériaux à Vienne – et une branche de palmier ou palme, associée à la victoire, disent sa double ascendance Habsbourg et napoléonienne.
Franque et Gérard ont préféré la formule, plus conventionnelle pour un portrait dynastique, du double portrait de l’enfant avec sa mère dans un riche intérieur. Dans l’œuvre de Franque, la jeune impératrice, en robe blanche d’apparat, portant un manteau de velours cramoisi doublé d’hermine et coiffée d’un diadème, est assise sur un somptueux canapé en velours rouge brodé d’or et soulève délicatement le voile très fin qui couvre l’enfant nu endormi, allongé à côté d’elle. De son autre main, elle serre contre son cœur un portrait en médaillon de l’empereur. Sur un tabouret couvert d’un velours bleu aux abeilles impériales, posée sur un coussin en velours bleu fleurdelysé, une couronne aux arceaux en forme d’aigles et de palmettes, surmontée de l’orbe crucigère (2), est placée devant la tête de l’enfant, comme si elle lui était destinée.
Gérard situe plus précisément la scène dans le palais des Tuileries, dont on aperçoit le parc à travers l’arcature d’une fenêtre ouverte. Il s’agit probablement de la chambre du prince impérial, comme le laisse supposer le berceau en bois d’orme réalisé par l’ébéniste Jacob-Desmalter qui s’y trouvait depuis sa naissance (détail). De son programme iconographique à la gloire de l’héritier ne sont visibles que quelques éléments en bronze doré : le génie de la justice tenant une balance, entre deux cornes d’abondance, à l’avant de la nacelle et, sur le côté, le Tibre (3) figuré en dieu fleuve. Marie-Louise, vêtue d’une robe en soie blanche et coiffée d’une simple couronne de roses, semble s’être levée de son fauteuil, sur lequel est posé son livre entrouvert, pour soutenir le roi de Rome debout sur son berceau. L’enfant est vêtu d’une fine chemise blanche et porte en bandoulière le cordon de la Légion d’honneur, créée en 1802 par son père. Dans son visage, dont la physionomie reprend celle du petit portrait qui avait plu à l’empereur, le peintre réalise une synthèse entre les traits de ses deux parents, le dotant même de la célèbre mèche sur le front de Napoléon. Fixant le spectateur de ses yeux grand ouverts, il tient dans une main une grenade ouverte, symbole de l’unité de l’État (détail).
De l’allégorie au portrait dynastique officiel
L’œuvre de Prud’hon, maître de l’allégorie, considéré comme préromantique en plein néoclassicisme, est très personnelle. L’image qu’il donne du roi de Rome, dont le visage fin est peint d’après un dessin pris sur le vif, est celle d’un tout petit enfant plein de promesses mais encore fragile. Chez Franque, l’enfant nu évoque plutôt un vigoureux chérubin ou un Enfant-Jésus potelé et l’impératrice aux lignes sinueuses, une Vierge à l’Enfant émerveillée qui révèle au monde le miracle de sa naissance. Parmi les nombreux symboles du pouvoir impérial représentés, certains sont un peu fantaisistes, notamment la couronne, sans doute imaginaire, ou les sphères d’ivoire sur les accotoirs du canapé, empruntées au trône de Napoléon Ier.
Gérard, en revanche, a fidèlement reproduit le berceau du roi de Rome, à la charge symbolique forte, et s’est montré relativement sobre par ailleurs. Adepte du style néoclassique, il a composé l’œuvre selon des principes géométriques : au centre de la composition, Marie-Louise se tient droite comme la colonne dorique derrière elle, soutenant son fils qui se trouve alors à l’intersection de deux lignes, celle de sa mère et celle de la nacelle du berceau. C’est sur l’enfant portant les insignes du pouvoir, déjà éveillé et, symboliquement, en marche, que se concentre l’attention du spectateur.
Peinte pour l’impératrice, la petite toile de Prud’hon livre une interprétation poétique mais insolite de la symbolique du pouvoir napoléonien, tandis que celle de Franque, qui n’est pas non plus une commande, se rapproche des codes officiels tout en se permettant quelques écarts et une atmosphère plus intimiste que solennelle. Seul le grand tableau commandé à Gérard correspond au portrait officiel du jeune prince, dans lequel Napoléon Ier avait placé tous ses espoirs dynastiques.
En dépit de ces heureux présages, l’enfant ne régna sur la France sous le nom de Napoléon II que quelques jours : en avril 1814, après l’abdication de son père, il quitta Paris pour Vienne, où il fut élevé par son grand-père, l’empereur François Ier, et titré duc de Reichstadt. Il ne revit jamais la France et mourut à vingt-et-un ans, de la tuberculose.
Sylvain LAVEISSIÈRE, Prud’hon ou le rêve du bonheur, catalogue de l’exposition qui s’est tenue au Grand Palais, éditions de la RMN, Paris, 1997.
Jacques PEROT (sous la dir. de), La Pourpre et l'exil : l'Aiglon (1811-1832) et le Prince impérial (1856-1879), catalogue de l’exposition qui s’est tenue au château de Compiègne, éditions de la RMN, Paris, 2004.
Christophe BELEYER et Vincent COCHET, Enfance impériale. Le roi de Rome, fils de Napoléon, catalogue de l’exposition qui s’est tenue au château de Fontainebleau, éditions Faton, Quetigny, 2011.
Xavier SALMON (sous la dir. de), Peintre des rois, roi des peintres. François Gérard, portraitiste, catalogue de l’exposition qui s’est tenue au château de Fontainebleau, éditions de la RMN, Paris, 2014.
Arthur et Bernard CHEVALLIER (sous la dir. de), Napoléon, catalogue de l’exposition qui s’est tenue à la Grande Halle de la Villette, éditions RMN-Grand Palais, Paris, 2021.
1- Rémus et Romulus : selon l'histoire légendaire de Rome, les deux jumeaux Rémus et Romulus seraient les fondateurs de Rome : les jumeaux auraient été recueillis et éduqués par une louve (la Louvre romaine) qui les auraient trouvés dans un panier sur le Tibre.
2- Orbe crucigère : sphère représentant le monde surmonté d'une croix représentant le Christ est le symbole du pouvoir temporel des empereurs.
3- Le Tibre : fleuve italien qui coule à Rome.
Néoclassicisme : Mouvement artistique qui se développe du milieu du XVIIIe au milieu du XIXe siècle. Renouant avec le classicisme du XVIIe siècle, il entend revenir aux modèles hérités de l’Antiquité, redécouverts par l’archéologie naissante. Il se caractérise par une représentation idéalisée des formes mises en valeur par le dessin.
Lucie NICCOLI, « La naissance du roi de Rome », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 21/11/2024. URL : https://histoire-image.org/etudes/naissance-roi-rome
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