
Célébrations du trentième anniversaire de la révolution russe de 1917
Auteur : KHALDEÏ Evgueni
Lieu de conservation : Bildarchiv Preussischer Kulturbesitz (BPK, Berlin)
site web
Date de création : 1947
Date représentée : 1947
photographie
© BPK, Berlin, Dist. RMN - Grand Palais / Voller Ernst / BPK
16-516314 / 16209
L’ombre de Staline sur la révolution d’Octobre
Date de publication : Avril 2019
Auteur : Alexandre SUMPF
Le communisme triomphant
Les artistes ont fait le choix plus ou moins précoce de soutenir le régime. Né en 1917, Evgueni Khaldeï n’a pas eu à se poser la question mais à tracer sa voie vers la photographie. Devenu orphelin à l’âge d’un an suite à un pogrom, il est devenu ouvrier mais fabrique son propre appareil à 13 ans et devient correspondant de l’agence de nouvelles soviétiques TASS en 1939. Pendant la guerre, il couvre de nombreux fronts et prend le fameux cliché du drapeau rouge planté sur le toit du Reichstag à Berlin. Reporter à la conférence de Potsdam et au procès de Nuremberg, sa carrière sera brutalement interrompue en 1948 lors de la campagne « anticosmopolite » qui renverse d’un seul coup la politique officielle envers les Juifs de l’anti-antisémitisme à un antisémitisme d’État.
En 1947, c’est avec soulagement que le régime stalinien célèbre en grande pompe le trentième anniversaire de la révolution d’Octobre. Depuis le coup d’État réussi par une poignée d’hommes guidés par Lénine le 7 novembre 1917, la Russie (devenue URSS le 30 décembre 1922) a subi une guerre civile (1918-1921), la collectivisation brutale de l’agriculture (1929-1931), trois famines (1920-1921, 1932-1933, 1946-1947) et un assaut de l’État contre sa population incarnée par le système des camps du Goulag et la Grande Terreur de 1937-1938 (800 000 exécutions sans jugement). Mais cette nation a aussi triomphé d’une Allemagne nazie bien plus industrialisée et elle reprend le rôle un peu délaissé de phare de la révolution dans le monde. Au cours de ces « trente terribles » (Alain Blum), la population a bénéficié d’un accès inédit à l’instruction et à la culture, profité de l’exclusion des anciennes élites pour construire des carrières rapides. Si tout le monde n’adhère pas à l’idéologie unique ou fait semblant de la soutenir, le régime a aussi ses partisans, ses enthousiastes – notamment parmi la jeunesse particulièrement encadrée et choyée.
L’art du tableau vivant
Le tableau vivant prend place à Moscou, sans doute au Bolchoï, le 7 novembre 1947. Le photographe expérimenté qu’est Khaldeï a reculé au maximum afin de faire entrer dans le cadre la majestueuse scène organisée pour le fleuron de la future république démocratique allemande (1949). On présente à Staline, assis dans la loge d’honneur, sa propre statue de belle stature, d’un blanc immaculé, figure au milieu de la composition. Celle-ci comporte une partie dessinée sur le fond de scène, avec l’horizon de la capitale soviétique vue depuis le Kremlin. La partie peinte se prolonge sur scène avec une masse d’environ 200 figurants formant un double tableau. Au fond ils ne font que porter des vêtements probablement rouges et jaunes qui dessinent le bas de la traditionnelle gerbe ornant le drapeau soviétique. Sur le devant de la scène sont privilégiés les costumes nationaux qui font double emploi. D’une part, ils entrent dans la représentation des quinze composantes de l’empire soviétique qui fait partie de l’iconographie associée au drapeau soviétique ; de l’autre, ces hommes et femmes formant la chorale Lénine-Staline proposent des chants et danses « populaires » où se mêlent alors le folklore musical slave cher à Staline et des paroles à la gloire de l’Union soviétique et de son leader.
À l’Est, l’histoire figée
Depuis 1944, c’est une chose entendue : la guerre va être gagnée, et ce sont les Soviétiques qui ont abattu l’hydre nazie. La propagande ignore volontairement l’apport des Alliés dont le Prêt-Bail (1941) a soutenu à bout bras la population et l’armée avec des crédits, de l’aide alimentaire et de l’équipement militaire. Les Soviétiques refusent que le plan Marshall étende ses bienfaits en Europe orientale, et le numéro deux du régime, Andreï Jdanov, répond à la doctrine Truman par un retour à la répression des années 1930. Les scientifiques et les artistes sont soumis à de très dures campagnes d’autocritique. Si le Komintern avait été supprimé en 1943 en signe de détente envers les Alliés, en 1947 naît le Kominform qui servira de courroie de transmission de la ligne soviétique dans les pays du Bloc socialiste et au sein des partis communistes européens. L’Union soviétique est à la tête d’un empire qui excède ses nouvelles frontières, le peuple russe est le « premier parmi les frères » soviétiques, et Staline, plus que jamais, est une icône omniprésente et intouchable. Les affiches, tableaux, films le prenant pour sujet sont un passage obligé de la carrière des artistes ; la photographie joue aussi un rôle majeur dans la dissémination de son image, figée dans une éternelle jeunesse, qui donne à tous que le Guide a le don d’ubiquité. Il faudra attendre le bref dégel des années 1960 et surtout la Glasnost des années 1980 pour que son rôle dans les répressions de masse ou les défaites initiales de la guerre soit dénoncé.
Yves Cohen, Le Siècle des chefs. Une histoire transnationale du commandement et de l’autorité (1890-1940), Paris, Éditions Amsterdam, 2013.Oleg Khlevniouk, Staline, Paris, Gallimard, 2017.Nicolas Werth, La Terreur et le désarroi. Staline et son système, Paris, Perrin, 2007.
Alexandre SUMPF, « L’ombre de Staline sur la révolution d’Octobre », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 28/03/2023. URL : histoire-image.org/etudes/ombre-staline-revolution-octobre
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