Dans le camp de concentration pour femmes de Ravensbrück
Auteur : ANONYME
Lieu de conservation : Bildarchiv Preussischer Kulturbesitz (BPK, Berlin)
site web
Date de création : 1941
Date représentée : 1941
Domaine : Photographies
© BPK, Berlin, Dist. GrandPalaisRmn / image BPK
Ravensbrück, le principal camp de concentration pour femmes
Date de publication : Octobre 2024
Auteur : Paul BERNARD-NOURAUD
Le principal camp de concentration pour femmes de l’Allemagne nazie
Ouvert en mai 1939, le camp de concentration de Ravensbrück, situé à seulement quatre-vingts kilomètres au nord de Berlin, n’est libéré qu’à la fin du mois d’avril 1945. En presque six années, plus de 130 000 personnes furent déportées et internées à Ravensbrück ; entre 20 000 et 30 000 d’entre elles y périrent. En plus des sévices et des mauvais traitements dont toutes furent les victimes, beaucoup y furent torturées, victimes d’expériences pseudo-médicales et/ou stérilisées de force. Bien qu’un camp d’hommes y fût intégré, Ravensbrück avait été conçu comme un camp de concentration pour femmes, dont certaines y étaient déportées avec leurs enfants, qu’elles l’aient été pour des motifs politiques, religieux ou « raciaux ». Elles provenaient d’une trentaine de pays, en majorité de Pologne et d’Union soviétique, mais également d’Allemagne ou de France.
L’anthropologue Germaine Tillion (1) et la militante Geneviève de Gaulle-Anthonioz (2), toutes deux panthéonisées en 2015, comptent parmi elles, et elles ont laissé par la suite d’importants témoignages sur Ravensbrück. Dans le sien, Tillion évoque à plusieurs reprises le sort des déportées « tsiganes » (romni) (3). Elle rappelle qu’elles furent particulièrement ciblées par les autorités du camp, notamment par le corps médical, qui entreprit de les stériliser en série, n’épargnant pas même les petites filles, dont la plupart ne survécurent pas à ces opérations. De cette réalité, la photographie de 1941 ne laisse rien paraître. Pour cette raison, et compte tenu de l’ordre qui y règne, on peut penser qu’elle a été prise par un ou une membre de la SS chargée de surveiller les détenues du camp et d’administrer celui-ci.
Une image de propagande ?
L’image montre des femmes romni dans un atelier de tressage de nattes de paille destinées à fortifier les routes sur le front de l’Est (l’invasion de l’URSS ayant été déclenchée le 22 juin 1941, on peut supposer que le cliché a été réalisé dans la seconde moitié de l’année). Prise en plan large, dans une longue salle au plafond lambrissé et aux murs en briques, sans doute en partie éclairé naturellement, la photographie montre, à gauche, une série de métiers à tisser strictement alignés derrière lesquels se tiennent des femmes aux cheveux couverts d’un foulard, les yeux baissés pour la plupart. À droite, d’autres détenues sont debout, presque au garde-à-vous, devant des nattes posées en fagots contre d’autres métiers, ceux-ci dans l’ombre. Un peu à l’écart, coiffée quant à elle d’un calot, une femme semble superviser l’atelier. Il s’agit sans doute d’une kapo, à moins qu’elle ne fasse partie des gardiennes.
Un document sur la déportation des femmes romni
La composition de l’image comme l’attitude des femmes qui posent pour elle indiquent manifestement que la photographie a été pensée par son auteur ou son commanditaire afin de répondre aux buts de propagande du régime national-socialiste. Jusqu’à un certain point, en effet, l’ordre et la propreté règnent dans cet atelier, lequel remplit par conséquent sa fonction : rééduquer par le travail toutes celles qui, pour des raisons politiques ou du fait de leurs origines « raciales », s’opposaient au régime.
Nombre de déportées romni le furent dans un premier temps en tant qu’« asociales », un chef d’inculpation nazi qui pouvait s’étendre, selon les circonstances, aussi bien à des vagabonds qu’à des homosexuels, lesquels, comme les Roms au sortir de la guerre et pendant longtemps, eurent par conséquent toutes les peines, en Allemagne comme ailleurs, à faire reconnaître qu’ils avaient été déportés pour ce qu’ils étaient et non pour ce qu’ils avaient fait. L’appartenance à la « race » « tsigane » constituait pourtant bel et bien le fondement supposé de leur « asocialité », et c’est à ce titre que ces femmes furent internées, quelquefois déportées, et systématiquement stérilisées quand elles n’étaient pas directement assassinées à partir de 1942.
Comme d’autres photographies prises à des fins propagandistes et désormais examinées d’un point de vue historique et critique, comme le dit Album d’Auschwitz, cette image constitue par conséquent l’un des rares documents attestant de la déportation des Roms d’Europe, ainsi que de leur soumission au travail forcé. Pour quelques-unes de celles qui furent photographiées ce jour-là, on peut penser que leurs proches ont pu par la suite les y reconnaître. Cette image met enfin en évidence une réalité historique plus troublante (et d’autant plus qu’elle informe encore une partie des représentations attachées aux Roms aujourd’hui), à savoir le fait que l’internement a été envisagé, avant comme après l’avènement du nazisme, en Allemagne aussi bien qu’en d’autres pays dont la France, comme une mesure à même de sédentariser de force les « nomades », et ainsi de les « assimiler » à la nation. À cette différence, évidemment, que dans le cas de l’Allemagne nazie, cette sédentarisation préludait en fait à leur extermination, les Roms étant finalement jugés par les prétendus experts du régime, ceux qui s’autoproclamèrent « tsiganologues », comme étant par essence « inassimilables ».
Christophe COGNET, Éclats. Prises de vue clandestines des camps nazis, Paris, Seuil, 2019.
Geneviève DE GAULLE-ANTHONIOZ, La Traversée de la nuit, Paris, Seuil, 1998.
Lise FOISNEAU (en collaboration avec Valentin MERLIN), Les Nomades face à la guerre (1939-1946), Paris, Klincksieck, 2022.
Germaine TILLION, Ravensbrück, Paris, Seuil, 1988.
Ceija STOJKA, Auschwitz est mon manteau Et autres chants tsiganes, tr. de l’allemand par François Mathieu, Paris, Bruno Doucey, 2018.
1 - Germaine Tillion (1907-2008) : ethnologue française, Germaine Tillion entre en résistance dès 1940 dans le groupe constitué au Musée de l'Homme. Elle est arrêtée le 13 août 1942, incarcérée à Fresnes et déportée le 21 octobre 1943 à Ravensbrück. Elle commence une étude ethnographique du camp de concentration, qu'elle publiera sous le titre Ravensbrück. Elle compose une opérette Le Verfügbar aux enfers qui parle sur un mode ironique du quotidien des prisonnières dans le camp. Elle est rapatriée en France le 11 juillet 1945. Elle entre au Panthéon en 2015 avec 3 autres résistants : Geneviève de Gaulle-Anthonioz, Pierre Brossolette et Jean Zay.
2 - Geneviève de Gaulle-Anthonioz (1920-2002) : fille de Xavier de Gaulle, frère aîné de Charles de Gaulle, Geneviève de Gaulle-Anthonioz rejoint en 1941 le réseau de résistance du Musée de l'Homme, puis en 1943 celui de Défense de la France. Elle est arrêtée le 20 juillet 1943, incarcérée à Fresnes et déportée à Ravensbrück le 30 janvier 1944, où elle fait connaissance de Germaine Tillion. Elle est libérée en avril 1945. De 1964 à 1988, elle est la présidente d'ATD Quart-Monde. Elle entre au Panthéon en 2015 avec 3 autres résistants : Germaine Tillion, Pierre Brossolette et Jean Zay.
3 - Les Roms : peuple que les non-roms appellent tsiganes (en général issu d'Europe centrale). Au féminin, on emploie Romni, au pluriel, Roma.
Paul BERNARD-NOURAUD, « Ravensbrück, le principal camp de concentration pour femmes », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 21/11/2024. URL : https://histoire-image.org/etudes/ravensbruck-principal-camp-concentration-femmes
Pour aller plus loin : Le génocide des Tsiganes de 1939-1945, Holocaust Museum, États-Unis.
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