Le suffrage universel, dédié à Ledru-Rollin
Auteur : GOLDSMID Marie-Cécile
Lieu de conservation : musée Carnavalet – Histoire de Paris (Paris)
site web
Date de création : 1850
H. : 50 cm
L. : 65 cm
Imprimerie Lemercier.
Lithographie en couleurs.
Domaine : Estampes-Gravures
© CC0 Paris Musées / Musée Carnavalet
G.33078
Le suffrage universel, estampe dédiée à Ledru-Rollin
Date de publication : Février 2022
Auteur : Karl Zimmer
La république selon la citoyenne Goldsmid
Avec la révolution de février 1848, la France connaît une ébullition éditoriale. Journaux et images politiques circulent en nombre. Alexandre Ledru-Rollin, à qui cette gravure est dédiée, est alors l’une des figures du radicalisme. Membre du gouvernement provisoire en février 1848, c’est la cheville ouvrière du premier scrutin au suffrage universel en avril. A la fin de l’année, Louis-Napoléon Bonaparte est élu président de la Deuxième République et le régime assume un virage conservateur. Le coup d’État de décembre 1851 vient clore quatre années d’une vive cacophonie républicaine. En effet, entre-temps les oppositions de gauche comptent bien peser dans les urnes. C’est dans le contexte d’une élection complémentaire que la citoyenne Marie-Cécile Goldsmid réalise deux séries d’estampes en faveur d’une utopie sociale et démocratique. La première série est composée de quatre dessins. La suivante en compte douze, publiée chaque semaine à partir du printemps 1850. C’est à cette dernière qu’appartient Le Suffrage universel. Dédié à Ledru-Rollin, imprimé le 2 mars. Tous ces dessins sont lithographiés (par Frédéric Sorrieu) et imprimés pour être vendus sous la forme de feuilles volantes à bon prix (75 centimes).
Le suffrage universel en 1850
Au centre de l’image figurent deux personnages. Une femme bonnet phrygien et tunique rouge à l’antique brandit un flambeau. Elle tient dans sa main gauche la table des « DROITS DE L’HOMME ». A ses pieds, une presse d’imprimerie. A sa droite, un homme en blouse bleue tient une araire, cachée en partie par une corne d’abondance. Son autre main est posée sur une urne. Derrière, deux foules se toisent. A droite, au premier plan, des députés de la majorité conservatrice de l’Assemblée législative : Thiers, Montalembert et Falloux. Ils sont suivis par des officiers, des grands bourgeois et du clergé, tandis que l’armée ferme le rang. A gauche, ce sont des représentants de la Montagne, animateurs du Comité démocratique-socialiste. Ils sont suivis par d’anonymes citoyens en blouses, des journalistes indépendants, de petits soldats et de simples enseignants. Le paysage est sommaire, aride, tortueux par endroit. La mise en scène sert de cadre pour mettre en valeur une tension politique. Le fond est lui aussi divisé. Industrialisation et démocratisation sont en marche. Les files d’électeurs sortent à gauche de la gare de l’Est et à droite des bateaux à vapeur, deux symboles de la modernisation en cours. Ce sont donc des travailleurs de toute la France qui affluent vers l’urne électorale. Enfin, le portrait de Ledru-Rollin. En retrait, il s’appuie de manière nonchalante, bras croisés, sur un jeune peuplier. Il semble mépriser celui qui le montre ou le menace à la pointe de l’épée. Plusieurs drapeaux tricolores coiffent cet arbre de la liberté. Celui-ci rappelle et symbolise l’esprit de fraternité qui a animé de nombreuses communes au printemps 1848. Pourtant, là, il fend verticalement l’estampe en deux parties dissymétriques. Cet effet met en lumière l’enjeu de la convergence du vote populaire et en même temps renforce l’impression que deux modèles républicains sont irréconciliables.
Allégorie d’une république sociale et démocratique
Longtemps, cette icône a illustré l’esprit de février incarné par Ledru-Rollin. Elle a même été présentée comme une sorte de commémoration de l’avènement de la République par le suffrage universel. En réalité, grâce aux travaux de Raimund Rütten, on sait maintenant que cette image est d’abord un point de vue sur une actualité politique. Marie-Cécile Goldsmid exprime, par le biais de ses séries, une opinion dans le débat public, afin de convaincre les classes populaires. C’est une sorte de tract électoral qui intègre un ensemble de propagande plus vaste, distribuée partout en France. C’est tout un programme qui se déploie. Si Ledru-Rollin est en retrait, c’est parce qu’à ce moment, il est en exil. Depuis l’insurrection avortée du 13 juin 1849 contre la majorité conservatrice, le camp de la Montagne a perdu un chef historique. Ledru-Rollin a été déchu avec 31 autres députés. Il était considéré comme l’un des initiateurs du radicalisme français. Élu député de la Sarthe en 1841, il avait prononcé un discours liant pour la première fois perspective démocratique et questions sociales. Le 10 mars 1850, les élections partielles doivent justement permettre d’élire son remplaçant à la députation. Ensuite, Goldsmid souhaite dénoncer le ralliement des républicains du lendemain aux monarchistes du parti de l’Ordre durant le printemps 1850. Cette coalition prépare et vote plusieurs lois réactionnaires, notamment sur l’école (loi Falloux). Par ailleurs, l’autrice marque clairement son soutien à la possibilité d’une république démocratique et sociale, représentée par l’union des allégories sous les traits d’un ouvrier et d’une femme en rouge. Celle-ci serait soutenue par une dynamique profonde qui lie progrès technique, industrialisation et aspiration populaire. Au fond, Goldsmid donne à voir l’espoir qu’advienne une autre république. Force est de constater que l’opposition démocratique remporte suffisamment de sièges pour que le pouvoir bonapartiste restreigne par la loi du 31 mai 1850 le suffrage des classes populaires. Enfin, peut-être l’absence de femmes, en dehors de l’allégorie, est aussi un subtile message revendicatif de celle qui défend le droit de vote des citoyennes. Le titre renvoie à la même omission, « le suffrage universel » est en réalité masculin. Il est d’ailleurs notable que ces dessins ont longtemps été attribués, à tort donc, au graveur Frédéric Sorrieu. Ainsi, loin d’un imaginaire consensuel, l’œuvre de Goldsmid est un acte politique, qui prend toute sa place dans les multiples débats pour définir la République.
PESTEL Friedemann, RUTTEN Raimund, Republik im Exil. Frankreich 1848 bis 1851 : Marie-Cécile Goldsmid – Citoyenne und Kûnstlein – im Kampf um eine République univers, Annales historiques de la Révolution française, n°375, 2014, p. 206-209.
RUTTEN Raimund, A la recherche d’une république démocratique et sociale, Cahiers d’histoire critique, n°139, 2018, p. 153-166.
1848 et l’espoir d’une République universelle, démocratique et sociale, Exposition du Musée de l’Histoire vivante de Montreuil, du 24 mars au 30 décembre 2018.
Imagerie populaire : Née avec les techniques d’impression mécanique qui permettent la reproduction d’une même image à l’infini et sa diffusion à moindre coût et au plus grand nombre à des fins d’information, mais également de propagande. L’un des principaux centres de fabrication de ces gravures populaires est Épinal – on parle en ce cas d’images d’Épinal.
Allégorie : Représentation figurée d’une idée abstraite.
Karl Zimmer, « Le suffrage universel, estampe dédiée à Ledru-Rollin », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 03/12/2024. URL : https://histoire-image.org/etudes/suffrage-universel-estampe-dediee-ledru-rollin
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