Aller au contenu principal
Rolla

Rolla

Auteur : GERVEX Henri

Date de création : 1878

H. : 176,2 cm

L. : 221,3 cm

Dépôt du musée d'Orsay au musée des Beaux-Arts de Bordeaux.

Huile sur toile

Domaine : Peintures

© GrandPalaisRmn (musée d'Orsay) / Adrien Didierjean

Lien vers l'image

LUX 1545 - 13-548641

Rolla ou Le suicide pour une courtisane

Date de publication : Janvier 2016

Auteur : Catherine AUTHIER

L’alibi littéraire

En 1878, le peintre Henri Gervex ancien médailliste du Salon, voit son œuvre Rolla brutalement retirée de l’exposition par l’administration des Beaux-Arts, un mois avant la manifestation. Henri Gervex était pourtant un peintre qui avait déjà une certaine renommée et qui était normalement dispensé de subir le verdict du jury. Il s’est inspiré pour peindre sa toile du poème de Musset composé en 1833, l’histoire tragique d’un jeune bourgeois Jacques Rolla épris de Marion, une prostituée issue de la misère. L’homme s’est ruiné et pense en finir, tout en contemplant la femme avec qui il vient de passer la nuit. "Rolla considérait d’un œil mélancolique […] la belle Marion dormant dans son grand lit"

La chambre à coucher d’une horizontale

Pour illustrer le poème de Musset, Gervex situe la scène dans une chambre à coucher élégante au parfum capiteux, décorée d’étoffes et de mobilier luxueux. Le peintre présente un homme au bord d’une fenêtre ouverte, le regard plongé sur une jeune femme étendue nue dans son lit, un sujet considéré comme sulfureux, hautement immoral.

Si le nu féminin au centre du tableau d’une facture parfaitement lisse et d’un blanc de porcelaine est conforme aux nus académiques du XIXe siècle, c’est le cadre dans lequel l’artiste a situé son modèle qui choque. Nous ne sommes plus dans le contexte mythologique prétexte aux nus de l’époque et c’est notamment le morceau de peinture situé dans l’angle droit du tableau qui fait scandale. On y découvre une nature morte composée d’un jupon, d’une jarretière et d’un corset ainsi qu’ un escarpin rouge manifestement jeté à la hâte un peu plus loin. La disposition désordonnée de l’ensemble suggère que la jeune femme s’est déshabillée très rapidement. C’est le peintre Degas qui aurait soufflé à son ami Gervex la représentation de ce corset dégrafé, un détail fortement érotique, pour expliciter la scène et souligner le fait qu’il s’agissait bien d’une fille de joie endormie après avoir reçu un client. La canne qui ressort ostensiblement des sous-vêtements apparaît d’ailleurs comme une métaphore de l’acte sexuel. Le client d’un certain rang social est évoqué à travers le chapeau haut de forme et l’amour vénal est aussi rappelé par la table de nuit sur laquelle pendent des bijoux, un bracelet et un collier de perles. On se situe manifestement dans les hautes sphères de la courtisanerie.

L’effet de contraste entre le jeune homme au désespoir et la jeune fille voluptueusement abandonnée dans son sommeil est saisissant. L’homme est, d’après le poème, sur le point de se suicider ; il avalera finalement du poison.

Du point de vue du style, Gervex affirme sa qualité de peintre académique formé chez le peintre Alexandre Cabanel, tout en marquant également son attraction pour la nouvelle peinture moderne. La toile est ainsi baignée dans une lumière claire issue d’une fenêtre ouverte sur un balcon en fer forgé offrant une vue sur un paysage urbain d’immeubles flous propres au nouveau courant impressionniste.

Le thème du suicide chez les courtisanes

Dans cette toile, Henri Gervex livre aux spectateurs une version moderne du drame de Musset, éloigné du romantisme originel qui plaçait les deux héros, la prostituée et le débauché sur un même plan, unis dans une destinée tragique identique. Il rend compte d’une réalité scandaleuse de plus en plus dénoncée à la fin du XIXe siècle, celle du jeune homme riche éperdument amoureux, acculé à la ruine puis au suicide par sa maîtresse, une courtisane cupide et insatiable. Le tableau est du reste probablement inspiré des amours entre Gervex et la grande courtisane Valtesse de Bigne.

Le thème était alors très à la mode et faisait l’ objet d’une certaine fascination, dans une époque paradoxale qui oscille entre une certaine poussée pornographique et une réaction vigoureuse des ligues de moralité, nécessaire à crédibilité de la IIIe République. On avait d’ailleurs accusé en 1872, la célèbre horizontale du Second Empire, Cora Pearl d’avoir conduit le jeune Alexandre Duval à vouloir en finir. L’affaire avait défrayé la chronique et Cora Pearl avait été immédiatement expulsée du pays. Malgré son exclusion du Salon des Beaux arts , l’œuvre de Gervex connaîtra un grand succès, exposée trois mois chez le galeriste Bague, au 41 boulevard des Capucines. Le tableau exclu pour indécence suscita en effet la plus grande curiosité et la foule se pressa, l’artiste se remémorant, dans ses Entretiens parus en 1924 « un défilé ininterrompu de visites ».

BAKKER Nienke, PLUDERMACHER Isolde, ROBERT Marie, THOMSON Richard, Splendeurs et misères : images de la prostitution (1850-1910), cat. exp. (Paris, 2015-2016 ; Amsterdam, 2016), Paris, Flammarion / musée d’Orsay, 2015.

GUIGON Catherine, avec la coll. de BONAL Gérard, Les cocottes : reines du Paris 1900, Paris, Parigramme, 2012.

Catherine AUTHIER, « Rolla ou Le suicide pour une courtisane », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 12/12/2024. URL : https://histoire-image.org/etudes/rolla-suicide-courtisane

Ajouter un commentaire

HTML restreint

  • Balises HTML autorisées : <a href hreflang> <em> <strong> <cite> <blockquote cite> <code> <ul type> <ol start type> <li> <dl> <dt> <dd> <h2 id> <h3 id> <h4 id> <h5 id> <h6 id>
  • Les lignes et les paragraphes vont à la ligne automatiquement.
  • Les adresses de pages web et les adresses courriel se transforment en liens automatiquement.
CAPTCHA
Cette question sert à vérifier si vous êtes un visiteur humain ou non afin d'éviter les soumissions de pourriel (spam) automatisées.

Mentions d’information prioritaires RGPD

Vos données sont sont destinées à la RmnGP, qui en est le responsable de traitement. Elles sont recueillies pour traiter votre demande. Les données obligatoires vous sont signalées sur le formulaire par astérisque. L’accès aux données est strictement limité aux collaborateurs de la RmnGP en charge du traitement de votre demande. Conformément au Règlement européen n°2016/679/UE du 27 avril 2016 sur la protection des données personnelles et à la loi « informatique et libertés » du 6 janvier 1978 modifiée, vous bénéficiez d’un droit d’accès, de rectification, d’effacement, de portabilité et de limitation du traitement des donnés vous concernant ainsi que du droit de communiquer des directives sur le sort de vos données après votre mort. Vous avez également la possibilité de vous opposer au traitement des données vous concernant. Vous pouvez, exercer vos droits en contactant notre Délégué à la protection des données (DPO) au moyen de notre formulaire en ligne ( https://www.grandpalais.fr/fr/form/rgpd) ou par e-mail à l’adresse suivante : dpo@rmngp.fr. Pour en savoir plus, nous vous invitons à consulter notre politique de protection des données disponible ici en copiant et en collant ce lien : https://www.grandpalais.fr/fr/politique-de-protection-des-donnees-caractere-personnel

Partager sur

Découvrez nos études

Révulsion nationale

Révulsion nationale

Dessiner pour survivre

Les thèmes de la Révolution nationale promue par le gouvernement de Vichy pour régénérer la France avaient de quoi séduire…

La courtisane, un monstre ?

La courtisane, un monstre ?

Un regard trouble entre misogynie et fascination

Le recours à l’allégorie pour dénoncer la prostitution est très fréquent au XIXe siècle…

La traite des planches ou La prostitution au spectacle

La traite des planches ou La prostitution au spectacle

La traite des planches ou la prostitution au spectacle.

Le dessin de Degas comme la photographie de la vedette Polaire attestent l’engouement…

La traite des planches ou La prostitution au spectacle
La traite des planches ou La prostitution au spectacle
Les maisons closes

Les maisons closes

Le système réglementariste et la stratégie de l’enfermement

Constantin Guys fut le premier artiste à s’intéresser aux maisons closes de son temps…

Les maisons closes
Les maisons closes
Les maisons closes
La journée d’une grisette

La journée d’une grisette

Fugace comme un oiseau

Dans le contexte d’industrialisation et d’urbanisation massives qui se développent en France dès la première moitié du XIX…

La journée d’une grisette
La journée d’une grisette
Le scandale de la réalité

Le scandale de la réalité

En 1863, Victorine Meurent, modèle préféré de Manet dans les années 1860, pose pour ce nu jugé à l’époque comme le plus scandaleux des nus…

Le thème de l’entremetteuse

Le thème de l’entremetteuse

L’influence de la Rome baroque

Pietro Paolini est un peintre italien baroque du XVIIe siècle. Né à Lucques en Toscane, en 1603, il a…

Thomas Couture et la décadence

Thomas Couture et la décadence

L’allégorie, une grande tradition picturale

Formé dans l’atelier d’Antoine Gros et de Paul Delaroche, Thomas Couture se révèle rapidement un…

Les galeries du Palais-Royal, ancêtre des passages couverts

Les galeries du Palais-Royal, ancêtre des passages couverts

Une spéculation immobilière

Le Palais-Royal devint la propriété des Orléans, branche cadette du royaume de France, en février 1692, quand Louis…

Cora Pearl, célèbre courtisane du Second Empire

Cora Pearl, célèbre courtisane du Second Empire

Les portraits-charges de Gill

Sous le Second Empire, la presse illustrée connaît un essor considérable, notamment les journaux satiriques où…