Aller au contenu principal
La Toilette d'Esther

La Toilette d'Esther

Lieu de conservation : musée du Louvre (Paris)
site web

Date de création : 1841

Date représentée :

H. : 45,5 cm

L. : 35,5 cm

Autre titre : Esther se parant pour être présentée au roi Assuérus.

Huile sur toile.

Domaine : Peintures

© GrandPalaisRmn (musée du Louvre) / René-Gabriel Ojeda

Lien vers l'image

RF 3900 - 02-012902

La Toilette d'Esther

Date de publication : Mars 2016

Auteur : Alexis MERLE DU BOURG

Rentré d’Italie l’année précédente, Chassériau qui venait de rompre définitivement avec son maître, Ingres, présenta plusieurs œuvres au Salon de 1842, dont ce petit tableau qui compte aujourd’hui parmi ses peintures les plus célèbres. Il suscita pourtant l’incompréhension de la critique, qui souligna les qualités de coloriste de l’artiste (à dire vrai surprenantes chez un disciple d’Ingres, parangon de la défense de la primauté du dessin sur la couleur) mais s’émut du climat d’étrangeté qui caractérisait la composition.

À vingt-deux ans, Chassériau s’engageait un peu plus avant sur le chemin d’une rénovation de la peinture d’histoire (on hésite à parler de peinture religieuse ici) en s’inscrivant dans un érotisme onirique qui exhalait un capiteux parfum d’Orient.

Après avoir représenté Vénus, Suzanne et Andromède, Chassériau poursuivit son exploration des possibilités expressives du nu féminin « héroïsé » en s’intéressant au livre d’Esther, récit biblique déjà fréquemment mis à contribution par ses devanciers. Si ces derniers avaient plutôt privilégié l’audience décisive que le roi Assuérus accorde à sa belle épouse juive, laquelle risque sa vie pour sauver son peuple promis à l’extermination, Chassériau choisit de représenter un épisode antérieur et plus rare (chap. II).

Pupille de Mardochée, un juif déporté par Nabuchodonosor en Babylonie, Esther a rejoint l’appartement des femmes – La Toilette d’Esther est une scène de harem avec servante impassible, peau de tigre et coffret à bijoux – dans le palais du roi Assuérus, lequel cherche une nouvelle épouse depuis qu’il a répudié l’indocile Vashti. Favorisée par l’eunuque Égée (qui apparaît ici sous les traits d’un Maure), Esther se pare pour apparaître dans toute sa beauté au cours lors de la présentation qui fera peut-être d’elle la nouvelle souveraine (autre scène très prisée des artistes) et l’instrument du salut de son peuple.

La composition de Chassériau témoigne au premier chef d’une certaine horreur du vide, cette horror vacui qui conduit parfois les peintres à encombrer l’espace pictural jusqu’à l’excès (au point que la servante et l’eunuque n’apparaissent ici qu’en partie). Cette impression d’encombrement est encore accrue par l’absence de profondeur d’une scène par ailleurs impossible à situer. La toile témoigne d’une grande sophistication que traduit d’abord la subtilité du coloris – le peintre ayant notamment joué sur les différentes valeurs de blanc, du corps nacré d’Esther au tissu, barré d’une étoffe saumonée, qui lui couvre les jambes. Ce climat de préciosité alanguie est amplifié par les libertés prises avec l’anatomie (élongation volontaire du cou, des bras) qui ne sont pas sans rappeler l’esthétique cultivée durant la Renaissance et, plus près de Chassériau, les fascinantes extravagances et les impossibles torsions d’Ingres.

Horizon hétéroclite qui alimente alors une part toujours plus substantielle de la création littéraire et figurative occidentale, l’Orient stimulait déjà l’imagination de Chassériau bien avant qu’il ne se rende en Algérie en 1846. L’appétit d’exotisme qui sous-tend cet orientalisme rêvé mais non vécu, puisant à toutes les sources – de manière significative, l’Esther du Louvre s’inspire peut-être d’une Toilette de Vénus de Rubens (coll. prince de Liechtenstein), ce qui expliquerait la blondeur de l’héroïne biblique… – fut aussi le ferment d’une subversion de la tradition artistique et le moyen de l’émancipation de la tyrannie de la « bienséance ».

Les romantiques, qui témoignèrent d’un intérêt immédiat pour les thèmes orientaux, ne s’y tromperont pas. Il existe d’ailleurs une convergence profonde de l’Esther de Chassériau avec une autre « belle juive », celle de « La Sultane favorite » de Victor Hugo, poème qui appartient au recueil des Orientales publié en 1829. Il est remarquable que, chez Chassériau, la représentation sécularisée de la puissance de séduction de la femme tende nettement à prendre le pas sur l’exaltation d’une Esther pieuse et vertueuse (anticipation de la Vierge dans la tradition chrétienne).

Cet érotisme provocant, qui brouille la frontière entre peinture de genre et peinture d’histoire, fait d’Esther une sœur des odalisques qui peupleront les compositions tardives du peintre (Bain au sérail, 1849, Louvre ; Femme mauresque sortant du bain au sérail, 1854, MBA Strasbourg) ou des Pompéiennes lascives de son Tepidarium (1853, Orsay).

Étude en partenariat avec le musée d’Art et d’Histoire du judaïsme

SANDOZ Marc, Théodore Chassériau (1819-1856). Catalogue raisonné des peintures et estampes, Paris, 1974, n° 89.

PELTRE Christine, Théodore Chassériau, Paris, 2001, p.90-92, 119-204. PARIS, STRASBOURG, NEW YORK, 2002-2003.

Chassériau – Un autre romantisme, Paris, Galeries nationales du Grand Palais, Strasbourg, Musée des beaux-arts de Strasbourg, New York, The Metropolitan museum of art, cat.coll. n° 66.

Alexis MERLE DU BOURG, « La Toilette d'Esther », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 03/12/2024. URL : https://histoire-image.org/etudes/toilette-esther

Ajouter un commentaire

HTML restreint

  • Balises HTML autorisées : <a href hreflang> <em> <strong> <cite> <blockquote cite> <code> <ul type> <ol start type> <li> <dl> <dt> <dd> <h2 id> <h3 id> <h4 id> <h5 id> <h6 id>
  • Les lignes et les paragraphes vont à la ligne automatiquement.
  • Les adresses de pages web et les adresses courriel se transforment en liens automatiquement.
CAPTCHA
Cette question sert à vérifier si vous êtes un visiteur humain ou non afin d'éviter les soumissions de pourriel (spam) automatisées.

Mentions d’information prioritaires RGPD

Vos données sont sont destinées à la RmnGP, qui en est le responsable de traitement. Elles sont recueillies pour traiter votre demande. Les données obligatoires vous sont signalées sur le formulaire par astérisque. L’accès aux données est strictement limité aux collaborateurs de la RmnGP en charge du traitement de votre demande. Conformément au Règlement européen n°2016/679/UE du 27 avril 2016 sur la protection des données personnelles et à la loi « informatique et libertés » du 6 janvier 1978 modifiée, vous bénéficiez d’un droit d’accès, de rectification, d’effacement, de portabilité et de limitation du traitement des donnés vous concernant ainsi que du droit de communiquer des directives sur le sort de vos données après votre mort. Vous avez également la possibilité de vous opposer au traitement des données vous concernant. Vous pouvez, exercer vos droits en contactant notre Délégué à la protection des données (DPO) au moyen de notre formulaire en ligne ( https://www.grandpalais.fr/fr/form/rgpd) ou par e-mail à l’adresse suivante : dpo@rmngp.fr. Pour en savoir plus, nous vous invitons à consulter notre politique de protection des données disponible ici en copiant et en collant ce lien : https://www.grandpalais.fr/fr/politique-de-protection-des-donnees-caractere-personnel

Partager sur

Découvrez nos études

Ingres et les femmes aux bains : l’hygiène exotique

Ingres et les femmes aux bains : l’hygiène exotique

De La Baigneuse de Valpinçon au Bain turc

Illustre représentant de la peinture néoclassique française, Jean-Auguste-Dominique Ingres (1780-1867)…

Ingres et les femmes aux bains : l’hygiène exotique
Ingres et les femmes aux bains : l’hygiène exotique
Noces juives au Maroc

Noces juives au Maroc

Au début de l’année 1832, Delacroix, qui n’avait guère voyagé jusqu’alors, se joignit à la délégation du comte de Mornay dépêchée par la France au…
La bataille de Poitiers

La bataille de Poitiers

Au secours de la patrie en danger

Si l’histoire de Charles Martel (688-741) est relativement mal connue des Français encore aujourd’hui, il n’en…

Les croisades

Les croisades

Retrouver les croisades

Les deux tableaux peints par Émile Signol peuvent être contemplés dans des salles du château de Versailles qui ont…

Les croisades
Les croisades
Fête juive à Tétouan

Fête juive à Tétouan

Face à une Algérie investie par la France depuis 1830, le Maroc reste jusqu’à la fin du siècle une terre peu connue des Occidentaux, hormis Tanger où…
Tabac au débit

Tabac au débit

Le débit de tabac dans la première moitié du XIXe siècle

La vente de tabac dans des débits ne date pas du XIXe siècle : le…

Tabac au débit
Tabac au débit
Le Mur des Lamentations

Le Mur des Lamentations

Élève de Delacroix (à qui sa carrière de « peintre voyageur » en Orient doit peut-être beaucoup), Bida s’embarqua pour l’Orient à trente ans et…

Le Christ devant ses juges

Le Christ devant ses juges

C’est à la fin d’une vie brève que Maurycy Gottlieb, représentant prometteur de la peinture polonaise au XIXe siècle et pionnier de la…

Juives d'Alger au balcon de Chassériau

Juives d'Alger au balcon de Chassériau

Élève de Jean Auguste Dominique Ingres (1780-1867), mais plus tard fortement influencé par Paul Delaroche (1797-1856) et Eugène Delacroix (1798-…

La Prise de Constantinople par les croisés

La Prise de Constantinople par les croisés

Louis-Philippe, intronisé « roi des Français » le 9 août 1830 après les Trois Glorieuses (27-29 juillet 1830), était féru d’histoire comme tout…