Saint-Mihiel
Miss Dougherty, Williamsport
Miss Willett et Miss Green
Groupe de femmes sur un tank allemand
Saint-Mihiel
Auteur : TOUSSAINT Maurice
Lieu de conservation : La Contemporaine (BDIC, Nanterre)
site web
H. : 105 cm
L. : 75 cm
Domaine : Affiches
© Maurice Toussaint - Domaine Public © CC0 Collections La Contemporaine, Nanterre
AFF20787
Le Tourisme du souvenir : les Américains en France
Date de publication : Janvier 2011
Auteur : Alexandre SUMPF
Les Américains dans la Première Guerre mondiale, bienfaiteurs des civils français
L’entrée de la puissance américaine dans la Première Guerre mondiale date du 6 avril 1917, mais, dès le début du conflit, des volontaires américains s’engagent du côté de la France – tels les aviateurs de l’escadrille La Fayette. L’écrivain Edith Wharton, surprise à Paris par la déclaration de guerre, s’emploie pendant quatre années à visiter le front et à rendre compte des atrocités de cette guerre auprès du public d’outre-Atlantique. Les femmes sont particulièrement actives sur le « front » de la mobilisation culturelle et humanitaire.
Anne Morgan (1873-1942) crée le Comité américain pour les régions dévastées (C.A.R.D.), particulièrement actif en Picardie de 1917 jusqu’en 1924. Installé dans les ruines du château de Blérancourt, il réunit surtout des femmes qui parcourent inlassablement la région à bord de leurs voitures Ford pour porter secours aux civils privés de tout.
Dès la fin du conflit, anciens combattants et touristes vont se recueillir sur les champs de bataille en mémoire des soldats tombés. Située au sud de Verdun, la petite ville de Saint-Mihiel, qui a vu en 1918 l’offensive victorieuse contre un saillant du front, connaît ainsi un afflux de visiteurs venus en train – ce qui pousse la Compagnie des chemins de fer de l’Est à commander une affiche spécifique à Maurice Toussaint (1882-1974), connu pour son talent à illustrer les sujets tant militaires (napoléoniens, en particulier) que ferroviaires.
Le calme après la bataille
L’affiche réalisée par Michel Toussaint reprend certains codes de l’affiche ferroviaire, comme le soleil couchant, dans des teintes orange pastel travaillées par les nuances dues aux nuages, la hauteur du point de vue, le vaste panorama de collines boisées où sinue la Meuse et les fleurs détaillées au premier plan. Au centre de la composition apparaît l’abbaye bénédictine fondée à Saint-Mihiel en 709, un des attraits touristiques de la ville. Mais dans ce paysage paisible s’inscrit un soldat représenté dans une attitude ambiguë, entre garde et contemplation. Porteur de tout son équipement, il a pris place au bord de la falaise parmi des moellons et des vestiges métalliques qui, comme le pont détruit, évoquent fortement la guerre.
Ces trois photographies appartiennent au fonds Anne Morgan conservé au Musée franco-américain de Blérancourt, dans les lieux qu’a occupés l’état-major du C.A.R.D. Elles représentent des touristes américains venus en France à la fin de la guerre.
Originaire de Williamsport (Pennsylvanie), Mlle Dougherty revendique sa nationalité dans le cliché qui la montre. Cette jeune femme, probable assistante d’Anne Morgan si l’on en croit sa tenue semi-militaire, chevauche joyeusement un canon de campagne de calibre moyen, stationné derrière des barbelés dans une ville non identifiée. Le ciel clair et la luminosité indiquent une saison clémente, sans doute l’été.
Dans le cliché suivant, deux autres jeunes femmes, tout aussi heureuses et même hilares, passent leur tête dans les trous faits par des obus dans un mur. Ne laissant aucune place à un second plan, le cadrage joue sur le contraste entre solidité du mur et fragilité des visages féminins, entre ouverture violente, effritement minéral et êtres bien vivants.
Enfin, la dernière photographie, de groupe cette fois, montre onze personnes perchées sur un tank allemand renversé. Les croix dessinées sur ses flancs de métal riveté ne laissent aucun doute sur l’origine du véhicule, et ces civils bien vêtus et souriants semblent avoir triomphé de la bête militaire.
L’insouciance d’un après-guerre pacifié
Le soldat américain dessiné par Toussaint se trouve géographiquement à l’est de la Meuse. Il trône donc sur un reste de défense allemande, bel et bien vaincue par l’effort militaire américain et son engagement sur cette partie du front. Le combattant, valide, regarde vers l’ouest, vers sa patrie, mesurant sans doute le chemin parcouru depuis 1917. Même s’il y incarne les combats meurtriers, la tonalité de l’affiche est plutôt apaisée. La cité en contrebas apparaît peu marquée par une guerre qui l’a pourtant vue énormément souffrir ; l’affichiste a préféré insister sur l’aspect pastoral de la représentation traditionnelle de la campagne française, avec ses fleurs, symboles de vie et de bonne santé, qui poussent parmi les décombres.
Les photographies réalisées par les agents du C.A.R.D. servaient principalement à sensibiliser l’opinion américaine aux conditions de vie de la population dans les régions les plus touchées de Picardie. Mais les clichés présentés ici sont d’un genre plus personnel. Ils représentent soit les membres du Comité, soit des bienfaiteurs, actifs ou potentiels, venus des États-Unis et emmenés sur les chemins de mémoire de la région pour constater la situation par eux-mêmes. Le ciel représenté dans deux des trois images est non menaçant, vide d’avions, d’obus. Les armes, mécanique de mort, ont perdu leur caractère offensif. Les dégâts occasionnés par les bombardements ne sont qu’une péripétie dont on se joue, tant est grande la confiance dans l’avenir de la reconstruction.
Robert B.BRUCE, A Fraternity of Arms.America and France in the Great War, Lawrence, University of Kansas Press, 2003.
Évelyne DIELBOT et Jean-Pierre LAURANT, Anne Morgan, une Américaine en Soissonnais, 1917-1952, Soissons, A.M.S.A.M., 1990.
Nathalie PÉGÉ-DÉFENDI, Une invitation au tourisme : l’affiche ferroviaire française, 1880-1936, thèse, université Paris I, 2001.
Alexandre SUMPF, « Le Tourisme du souvenir : les Américains en France », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 13/12/2024. URL : https://histoire-image.org/etudes/tourisme-souvenir-americains-france
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