Scènes de Crimée
En Alsace reconquise. Enfants d'Alsace et de Lorraine
Scènes de Crimée
Lieu de conservation : musée des Civilisations de l’Europe et de la Méditerranée (Mucem, Marseille)
site web
Date de création : Après 1856
Date représentée : 1853-1856
H. : 49,2 cm
L. : 39,6 cm
Imprimeur : Pellerin, Épinal.
Lithographie coloriée.
Domaine : Estampes-Gravures
© RMN-Grand Palais (MuCEM) / Thierry Le Mage
1953.86.981 - 05-526835
Le vin et l'armée
Date de publication : Octobre 2009
Auteur : Alban SUMPF
Les soldats et le vin du XIXe siècle à la fin de la Première Guerre mondiale
Depuis la Révolution française, et en particulier durant l’époque napoléonienne, ce ne sont plus seulement les gradés, mais bien tous les soldats français en campagne qui boivent régulièrement du vin. D’abord mal vue, la pratique tend à s’institutionnaliser : mises devant le fait accompli, les autorités militaires vont progressivement l’accepter, l’encadrer, la réglementer, pour finalement l’encourager lors du conflit de 1914-1918. Ainsi, au cours du XIXe siècle, le soldat français, qui auparavant se procurait son propre vin de manière plus ou moins licite, va être approvisionné par l’armée. C’est déjà parfois le cas lors de la guerre de Crimée (1853-1856) et lors du conflit de 1870. Mais c’est en octobre 1914 qu’il est décidé que la distribution de vin, interdite en temps de paix, s’élèvera à un quart de litre quotidien. Cette ration réglementaire et gratuite se complète d’un autre quart remboursable, qui devient gratuit par un vote du Parlement en janvier 1916. Chaque soldat dispose ainsi d’un demi-litre de vin par jour et a par ailleurs droit à un troisième quart remboursable (officiellement à partir de janvier 1918, mais officieusement dès 1916). Selon les dirigeants politiques et militaires, les conditions de vie dans les tranchées et l’héroïsme des poilus justifient un tel effort.
C’est la troisième section de l’Inspection générale du ravitaillement qui collecte, traite et achemine ces millions d’hectolitres de vin. Un système de coopératives (coopératives centrales et coopératives d’unités) destinées uniquement à l’armée est mis en place. Le vin, presque exclusivement rouge, est fourni en partie par des réquisitions (jusqu’à un tiers de certaines récoltes), et l’on fait appel à la générosité des producteurs pour offrir des dons ou des prix bas. Il est ensuite transporté par wagons-réservoirs spécialement conçus, puis entreposé dans des « stations-magasins » qui se trouvent à l’arrière du front, et enfin transporté par camion jusqu’aux cantonnements.
Le vin est associé au repos du guerrier et donne du cœur à l’ouvrage
La première image, intitulée Scènes de la guerre de Crimée, date de la seconde partie du XIXe siècle, probablement peu après la fin du conflit en 1856. Il s’agit d’une lithographie sur papier qui présente en huit images la vie quotidienne des troupes au combat. Elle appartient à une série d’illustrations (comme l’indique le numéro « 21 » en haut à droite) populaires et largement diffusées. La représentation efficace et colorée est typique de l’imagerie d’Épinal : chaque « scène » est directement accessible, et le message qu’elle délivre se veut édifiant. La dernière image (en bas à droite) montre des soldats (ici les gradés en pantalon bleu, les autres au pantalon rouge) au repos se procurer (l’officier à gauche) et consommer (les deux hommes à droite) du vin rouge. La présence de deux tonneaux renforce cette évocation.
La seconde image, En Alsace reconquise. Enfants d’Alsace et de Lorraine, est l’œuvre de l’illustrateur C. Marechaux. On peut supposer qu’elle a été réalisée pendant le conflit (mais après 1915 car le costume du « soldat » bleu horizon n’est pas celui de 1914) ou juste après. Ici aussi, la représentation, au trait simple, est destinée à un large public. La scène se passe en Alsace comme le dit la légende et comme l’appuient les stéréotypes des costumes et des maisons à colombage. Accoudé sur une table, un enfant habillé en soldat se fait servir une bouteille de vin, « et du meilleur », par une jeune Alsacienne en costume traditionnel. Deux bouteilles vides jonchent déjà le sol, une troisième est sur la table. Sur la droite, un autre garçonnet, coiffé du chapeau alsacien. À gauche pend une veste d’infirmier. L’inscription cursive (peut-être pour évoquer une écriture enfantine) marque, quant à elle, l’actualité du conflit : ce sont les nouvelles du front qui sont célébrées avec ce vin de qualité.
Le vin, un symbole de la France et un attribut patriotique du soldat
Les deux images remplissent la même fonction : populariser l’armée et ses hommes, au moyen d’un art simple, immédiat et largement diffusé. Il s’agit bien d’ancrer dans l’imaginaire collectif une mythologie du soldat français en action, en exhibant ses signes distinctifs. Courageux sur le champ de bataille, le fantassin ou le poilu trouvent du réconfort dans la boisson nationale, dont ils sont inséparables. Si la décision politique et militaire de ravitailler ainsi les soldats répond en réalité à la nécessité de les contenter voire de les étourdir, il convient aussi d’apprécier la valeur symbolique et mobilisatrice de cette association entre les troupes et le vin.
Le vin rouge signifie en effet la France : couleur du sang que le soldat est prêt à verser, couleur du drapeau français (et des pantalons militaires des non-gradés avant 1915), produit français du terroir français, fruit d’une tradition rurale et agricole qui définit encore largement la France en 1914. La consommation quotidienne est une pratique à la fois culturelle et identificatrice partagée par tous les citoyens dans une réelle unité nationale : le soldat défend cette patrie du vin et, comme tous les Français, peut-être au même moment qu’eux (l’heure du repos), il reconnaît et affirme ainsi son appartenance à la nation. La seconde image est très explicite : signifiée par les costumes de la jeune fille et du garçon sur le côté, l’Alsace est reconquise, et cette reconquête est symbolisée par le retour du vin, c’est-à-dire de la France. Et la jeune Alsacienne qui sert le vin en s’inclinant (comme on s’incline devant un drapeau) est celle qui est récupérée, (re)dressée dans l’amour de la patrie.
D’autre part, l’armée montre à tous (ceux de l’arrière, parmi lesquels des futurs combattants et les familles de ceux qui sont au front) qu’elle s’occupe bien de ceux qui défendent la France en veillant à les fournir en vin. Les civils aussi doivent participer à l’effort de guerre (notamment les viticulteurs, en acceptant la réquisition ou les prix bas) pour permettre à la France de récompenser les soldats au quotidien. Le vin, produit, vendangé avec sueur, art et amour à l’arrière, allège les souffrances sur le front. Solidarité nationale, ici encore qui réunit de manière égalitaire les gradés et les simples soldats (sur la première image ils consomment le même vin dans les mêmes conditions), l’arrière et le front, les départements reconquis et les autres régions de France.
Stéphane AUDOIN-ROUZEAU et Jean-Jacques BECKER Encyclopédie de la Grande Guerre 1914-1918, Bayard, Paris, 2004.
André CORVISIER (dir), Histoire militaire de la France (3 volumes), PUF, 1992.
Gilbert GARRIER, Histoire sociale et culturelle du vin, Bordas Cultures, Paris, 1995.
Alban SUMPF, « Le vin et l'armée », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 23/11/2024. URL : https://histoire-image.org/etudes/vin-armee
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