Aller au contenu principal
La bataille de l'USS Kearsarge et du CSS Alabama

La bataille de l'USS Kearsarge et du CSS Alabama

Date de création : 1864

Date représentée : 19 juin 1864

H. : 137,8 cm

L. : 128,9 cm

Domaine : Peintures

© CCO Philadelphia Museum of Art

Lien vers l'image

Cat. 1027

  • La bataille de l'USS Kearsarge et du CSS Alabama

La bataille navale du Kearsarge et de l'Alabama

Date de publication : Novembre 2022

Auteur : Paul BERNARD-NOURAUD

Un écho de la Guerre civile états-unienne au large des côtes françaises

Au printemps 1864, la France du Second Empire a le regard dirigé sur les Amériques. Mais il se tourne vers le Mexique, où le corps expéditionnaire français vient d’installer Maximilien d’Autriche sur le trône. Bien qu’il ait un temps nourri l’espoir que la sécession du Sud des États-Unis y favorise ses visées, Napoléon III affiche désormais une stricte neutralité à l’égard des deux belligérants. La veille de la joyeuse entrée de Maximilien à Mexico, un épisode de la guerre civile états-unienne menace cependant très directement de remettre en cause la position patiemment négociée du gouvernement français.

Le 11 juin 1864, l’Alabama, un navire corsaire menant la guerre de course pour le compte de la Confédération sudiste, demande en effet l’autorisation de procéder à des réparations dans l’arsenal militaire de Cherbourg. Le préfet maritime hésite à la lui accorder. Il en réfère à sa hiérarchie, qui prévient l’empereur le 13 juin ; lequel ne prend pas de décision. La situation se complique pourtant le lendemain, lorsqu’averti par le consul de l’Union sur place, un navire militaire nordiste alors au mouillage dans l’Escaut, le Kearsarge, se présente à son tour devant le port de la Manche le 14 juin afin d’y provoquer la corvette sudiste en duel. Son commandant a reçu ordre de couler l’Alabama.

Ce dernier ne quitte cependant la rade de Cherbourg que cinq jours plus tard, escorté par une frégate française, la Couronne, afin que le combat se déroule hors des eaux territoriales. Ce délai permet à des milliers de curieux d’affluer via le chemin de fer reliant Paris au Cotentin. Ils s’y pressent d’autant plus nombreux que l’inauguration du casino de la ville a lieu ce même dimanche matin. Depuis les côtes et à bord de bateaux loués pour l’occasion, tout le monde suit la bataille navale que remporte, au bout d’une heure d’affrontement, le Kearsarge en envoyant l’Alabama par le fond.

L’affirmation de Théodore Duret selon laquelle son ami Édouard Manet fut « lui-même spectateur sur un bateau-pilote » du combat qu’il peint sans doute très peu de temps après l’événement (le tableau est exposé à la devanture de la boutique d’estampes qu’Alfred Cadart tient à Paris dès juillet 1864), n’a pu être étayée. Quoi qu’il en soit, la représentation que donne La Bataille de l’USS Kearsarge et du CSS Alabama de l’événement en question est manifestement bien informée de la part d’un peintre dont Le Déjeuner sur l’herbe a fait scandale un an plus tôt par son réalisme.

Une représentation qui oscille entre fidélité et indifférence à la réalité historique

Manet se concentre sur l’issue du combat, lorsqu’après une série de tirs ayant atteint le navire sudiste sous sa ligne de flottaison et au niveau de son gouvernail, son étrave s’est dressée avant qu’il ne sombre par la poupe. Plusieurs petits bateaux se portèrent aussitôt au secours des naufragés, comme on l’aperçoit au premier plan de la composition, où deux ou trois figures surnagent sur un esquif. La notation picturale des pavillons français, confédéré et unioniste confirme, s’il en était besoin, la dimension presque documentaire qu’attribue à l’œuvre un peintre qui fut d’ailleurs mousse dans sa prime jeunesse.

Cependant, la composition qu’adopte Manet pour rendre compte de La Bataille de l’USS Kearsarge et du CSS Alabama contredit en partie ce souci d’authenticité. Le point de vue est en effet trop haussé pour feindre d’une quelconque manière qu’il corresponde à celui d’un témoin oculaire. Ce parti a pour principale conséquence d’offrir au motif de la mer les deux tiers inférieurs de la composition et, corrélativement, de reporter le sujet qui donne son titre au tableau dans le tiers supérieur. À cette distance, il devient difficile de distinguer quoi que ce soit, d’autant plus que la fumée des canonnades fait presque complètement disparaître la silhouette du Kearsarge – pourtant le héros de la matinée – là où celle de la chaloupe est, malgré son rôle secondaire, parfaitement discernable. En alternant les noirs, les verts sombres, les bleus gris et les gris foncés sur toute la surface de sa toile, sans dégrader les tons à mesure que l’œil s’éloigne des premiers plans, la palette chromatique dont use ici Manet renforce encore cette indistinction générale.

L’histoire après la peinture

Ces choix pour le moins paradoxaux contrastent avec les estampes parues dans la presse française aussi bien qu’états-unienne juste après l’événement, qui visaient quant à elles à permettre aux lecteurs de se faire une idée claire de son déroulement. Ils concordent en revanche avec d’autres peintures de Manet dans lesquelles la mer occupe là aussi l’essentiel de la composition, qu’il s’agisse, la même année 1864, d’une autre vue de la corvette nordiste (Le Kearsarge à Boulogne, Metropolitan Museum), celle d’Un bateau à vapeur quittant Boulogne (Art Institute), de son Bateau à vapeur, marine et marsouins de 1868 (également conservé à Philadelphie), ou des deux versions qu’il donne, au début des années 1880, d’un autre fait historique : L’Évasion de Rochefort (musée d’Orsay et Kunsthaus de Zurich).

Dans chacune de ces œuvres, Manet semble user de la mer comme d’un motif égalisateur, qui lui offre la possibilité d’atténuer la prééminence attendue du sujet sur le fond. La critique regretta très tôt qu’il ne respecte pas cette hiérarchie des divers éléments impliqués dans la composition picturale, afin de permettre de distinguer le principal de l’accessoire. Rien d’étonnant alors à ce que le critique Jules Claretie, qui revendiquait pour sa part d’avoir assisté à la bataille navale que représente Manet, lui reproche quatre ans plus tard de ne pas en avoir rendu « le côté dramatique ».

Une première réponse à cette critique a été apportée dès 1872 par Jules Barbey d’Aurevilly lorsqu’il avance que « Manet a fait comme Stendhal dans sa Bataille de Waterloo ». Bien que littéraire, cette objection peut aussi se prévaloir d’une forme de réalisme. Si Manet a peint de manière confuse, c’est en effet que la situation l’était ; s’il a mal vu, c’est qu’il était malaisé de bien voir. Sous ce rapport, il n’a fait que restituer la réalité, en se gardant bien de la déformer en la dramatisant, dût-il pour cela aller contre les principes esthétiques de son temps. Une seconde réponse peut être apportée, qui prolonge en partie la première bien qu’elle semble d’abord la contredire. Manet est certes un réaliste, mais il est d’abord un peintre. Il ne lui appartient pas de produire un compte rendu historique, mais de réaliser une œuvre d’art, qui peut bien, pour cette raison, réduire à la portion congrue l’histoire qu’il prend comme prétexte. Cinq ans après La Bataille de l’USS Kearsarge et du CSS Alabama, Manet a exprimé son ambition de « déshistoriciser » la peinture d’une manière peut-être plus nette encore : en retirant cette fois toute valeur dramatique à L’Exécution de l’empereur Maximilien du Mexique ; celui-là-même qu’avait placé à la tête du Mexique Napoléon III en 1864, tandis que les Sudistes avaient commencé à perdre la guerre.

Farid AMEUR, « La Guerre de Sécession au large de Cherbourg. La France impériale et l’affaire du CSS Alabama (juin 1864) », Relations internationales n° 150, 2012, p. 7-22.

Françoise CACHIN (dir.), Manet 1832-1883, Réunion des musées nationaux, Paris, 1983.

Jules CLARETIE, Peintres et sculpteurs contemporains, Paris, Charpentier & Cie, 1874.

Théodore DURET, Histoire de Édouard Manet et de son œuvre, Charpentier et Fasquelle, Paris, 1906.

Charlotte MAURISSON (dir.), Écrire sur la peinture. Anthologie, Paris, Gallimard, 2006.

Paul BERNARD-NOURAUD, « La bataille navale du Kearsarge et de l'Alabama », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 15/12/2024. URL : https://histoire-image.org/etudes/bataille-navale-kearsarge-alabama

Ajouter un commentaire

HTML restreint

  • Balises HTML autorisées : <a href hreflang> <em> <strong> <cite> <blockquote cite> <code> <ul type> <ol start type> <li> <dl> <dt> <dd> <h2 id> <h3 id> <h4 id> <h5 id> <h6 id>
  • Les lignes et les paragraphes vont à la ligne automatiquement.
  • Les adresses de pages web et les adresses courriel se transforment en liens automatiquement.
CAPTCHA
Cette question sert à vérifier si vous êtes un visiteur humain ou non afin d'éviter les soumissions de pourriel (spam) automatisées.

Mentions d’information prioritaires RGPD

Vos données sont sont destinées à la RmnGP, qui en est le responsable de traitement. Elles sont recueillies pour traiter votre demande. Les données obligatoires vous sont signalées sur le formulaire par astérisque. L’accès aux données est strictement limité aux collaborateurs de la RmnGP en charge du traitement de votre demande. Conformément au Règlement européen n°2016/679/UE du 27 avril 2016 sur la protection des données personnelles et à la loi « informatique et libertés » du 6 janvier 1978 modifiée, vous bénéficiez d’un droit d’accès, de rectification, d’effacement, de portabilité et de limitation du traitement des donnés vous concernant ainsi que du droit de communiquer des directives sur le sort de vos données après votre mort. Vous avez également la possibilité de vous opposer au traitement des données vous concernant. Vous pouvez, exercer vos droits en contactant notre Délégué à la protection des données (DPO) au moyen de notre formulaire en ligne ( https://www.grandpalais.fr/fr/form/rgpd) ou par e-mail à l’adresse suivante : dpo@rmngp.fr. Pour en savoir plus, nous vous invitons à consulter notre politique de protection des données disponible ici en copiant et en collant ce lien : https://www.grandpalais.fr/fr/politique-de-protection-des-donnees-caractere-personnel

Partager sur

Découvrez nos études

Jeanne d’Arc

Jeanne d’Arc

La Pucelle ressuscitée

Un siècle sépare le tableau de Paul Delaroche de celui d’Émile Bernard : celui de la naissance d’un véritable mythe…

Jeanne d’Arc
Jeanne d’Arc
Jeanne d’Arc
La mode du rossinisme à Paris sous la Restauration

La mode du rossinisme à Paris sous la Restauration

Lorsque Rossini arrive à Paris en novembre 1823, ce n’est pas un inconnu car douze de ses œuvres ont déjà été montées au Théâtre-Italien, dont quatre…
La mode du rossinisme à Paris sous la Restauration
La mode du rossinisme à Paris sous la Restauration
Grandes inondations de 1856

Grandes inondations de 1856

Au cours du XIXe siècle, l'inondation est le cataclysme naturel le plus souvent représenté dans l'imagerie d'actualité. Moins dévastatrice que les…

Une promenade mondaine dans un jardin parisien

Une promenade mondaine dans un jardin parisien

Une scène de la vie parisienne acquise par l’État lors de l’Exposition universelle de 1855

Lors de l’Exposition universelle de 1855, première…

1870 : de la défaite au désir de revanche

1870 : de la défaite au désir de revanche

Les défaites françaises de 1870

La France déclare la guerre à la Prusse le 19 juillet 1870. Durant les semaines suivantes, l’armée française…

1870 : de la défaite au désir de revanche
1870 : de la défaite au désir de revanche
L'appartement du comte de Nieuwerkerke au Louvre

L'appartement du comte de Nieuwerkerke au Louvre

La carrière politique et administrative du comte Émilien de Nieuwerkerke coïncide exactement avec la période de la IIe République et du…

L'appartement du comte de Nieuwerkerke au Louvre
L'appartement du comte de Nieuwerkerke au Louvre
Les animaux de la ménagerie du Jardin des Plantes représentés dans les images d’Épinal

Les animaux de la ménagerie du Jardin des Plantes représentés dans les images d’Épinal

L’imagerie d’Épinal et les animaux du Jardin des Plantes

La seconde moitié du XIXe siècle est pour la fabrique Pellerin, fondée en 1796…

Les animaux de la ménagerie du Jardin des Plantes représentés dans les images d’Épinal
Les animaux de la ménagerie du Jardin des Plantes représentés dans les images d’Épinal
Les animaux de la ménagerie du Jardin des Plantes représentés dans les images d’Épinal
Les animaux de la ménagerie du Jardin des Plantes représentés dans les images d’Épinal
Napoléon III reçoit les ambassadeurs siamois

Napoléon III reçoit les ambassadeurs siamois

La politique extérieure de Napoléon III s'exerce dans bien des directions sans lien évident entre elles : les « détroits » avec la guerre de…

Le Port de Marseille

Le Port de Marseille

Marseille, porte du nouvel empire colonial français

Vers 1860, l’urbanisation liée à l’essor industriel se renforce. Elle profite aussi à…

Les inondations en France sous le Second Empire

Les inondations en France sous le Second Empire

Durant le XIXe siècle, la France a connu de multiples catastrophes naturelles, notamment les crues des grands fleuves. La Seine et la Loire ont…

Les inondations en France sous le Second Empire
Les inondations en France sous le Second Empire