Papier à vignette de l'armée d'Italie, à en-tête du général en chef Bonaparte.
Papier à vignette de l'armée d'Italie, à en-tête du général en chef Bonaparte
Le courrier de l'armée d'Italie
Papier à vignette de l'armée d'Italie, à en-tête du général en chef Bonaparte.
Lieu de conservation : Centre historique des Archives nationales (Paris)
site web
Date de création : 01 octobre 1797
Domaine : Archives
© Centre historique des Archives nationales - Atelier de photographie
PC45010276
Bonaparte et la propagande pendant la campagne d'Italie
Date de publication : mai 2003
Auteur : Luce-Marie ALBIGÈS
Encore peu connu lorsqu’il rejoint l’armée d’Italie pour effectuer des manœuvres de diversion, Bonaparte sait d’emblée s’attacher ses soldats. Son système s’inspire directement du césarisme de l’Empire romain : toutes les décisions relèvent d’un seul chef qui s’appuie sur l’attachement à sa personne d’une base populaire. Bonaparte fait de la politique comme il fait la guerre, et utilise aussi bien ses proclamations à l’armée pour entretenir et développer l’adhésion de ses troupes, que les journaux pour donner à son image personnelle et à ses succès militaires tous les appuis qu’une propagande bien conduite peut lui procurer. Après ses grandes victoires contre l’Autriche, il crée le 3 thermidor an V (20 juillet 1797) Le Courrier de l’armée d’Italie, qu’il confie à un ancien jacobin, Marc-Antoine Jullien. Une seconde feuille, La France vue de l’armée d’Italie, paraît dès le 16 thermidor an V (3 août 1797) sous la direction de Regnault de Saint-Jean d’Angély, ancien membre de la Constituante. L’ampleur de ses victoires donne à la propagande de Bonaparte un retentissement inconnu jusqu’alors.
Bonaparte entoure de publicité ses rapports au Directoire, met en scène des envois de drapeaux ou d’objets d’art et les exploits de l’armée d’Italie. Il n’ignore pas que la République est un régime instable et que les luttes entre partisans d’un retour au jacobinisme et agents royalistes rendent le Directoire fragile. Pour qui saura le mieux tirer parti des circonstances, l’armée d’un chef bien résolu apparaîtra prochainement comme le meilleur rempart d’une république incertaine de son avenir et où il faut ménager tous ceux qui ont tiré un profit quelconque de la Révolution : la voie est tracée pour le jeune héros de l’armée républicaine, mais le coup d’Etat du 18 fructidor an V (4 septembre 1797) (1) accompli avec son aide se fait sans lui. Il faudra le retour d’Egypte pour transformer Bonaparte en Premier consul.
L’armée victorieuse a pris les traits d’une Minerve jeune, belle et décidée. Le lion et le griffon qui ornent son siège, les feuillages de chêne et de laurier, l’entourent de symboles de force, d’intelligence et de gloire. Campée de face, les pieds fermement posés sur un bouclier et une armure, la déesse affirme sa capacité à faire respecter les droits acquis par la Révolution en tenant à la main une lance dont un bonnet phrygien coiffe la pointe. Elle est revêtue des signes de guerre de l’armée romaine : le manteau de général en chef en campagne et les haches mises aux faisceaux de licteurs. A l’évidence, cette Minerve coiffée d’un splendide panache décidera de la guerre même si le Directoire veut alors arrêter les conquêtes ! Une cuirasse métallique recouvre sa poitrine. Au milieu des écailles, l’effigie n’est pas une gorgone, mais un portrait, encadré d’ailes, du vainqueur, Bonaparte !
Des artistes de Milan, le peintre Appiani et le graveur Mercoli, ont donné à cette vignette une ampleur exceptionnelle. Avec l’en-tête du général en chef de l’armée d’Italie, elle occupe la moitié de la page. Voilà reléguée dans l’oubli la Marianne qui ornait son papier à lettres huit mois plus tôt, familièrement juchée sur un affût de canon auprès de quelques emblèmes républicains et d’un cyprès d’Italie transformé en arbre de la Liberté ! La Minerve d’Appiani concrétise d’emblée pour le Directoire le nouveau rapport de forces avec Bonaparte.
Andrea Appiani, qui exécutera de Bonaparte le portrait qu’il préférait, contribue de bonne heure à le représenter dans la tradition néoclassique, en héros qui a donné à l’Italie sa liberté. En 1797, pendant la brève période d’enthousiasme de création des républiques sœurs italiennes, les nouvelles administrations adoptent sur le modèle de celle-ci, des vignettes et en-têtes inspirés de grandes compositions.
Sous cette nouvelle vignette, Bonaparte signe l’expédition au Directoire des adresses de ses troupes. Les différents corps expriment leur satisfaction que le complot du 18 fructidor (4 septembre 1797) ait été écrasé au nom des idéaux de la Révolution. L’unanimité de ces textes, souvent imprimés sur ordre officiel et accompagnés de longues listes de signatures de soldats, montre la puissante cohésion de l’armée d’Italie et ne peut qu’impressionner le Directoire.
Le Courrier de l’armée d’Italie donne aux soldats les nouvelles venues de France et celles des armées, en les orientant politiquement dans le sens que souhaite Bonaparte. Ses auteurs se disent “ une société de Français républicains ”. La citation de l’abbé Raynal, connu pour ses écrits condamnés par l'Ancien Régime mais qui n’a pas participé à la Révolution, présente comme un devoir moral pour l’armée de défendre les valeurs de la République.
Le journal cherche aussi à exalter l’attachement des hommes à leur chef. Pendant la fête du 14 juillet à Milan, un caporal dit à Bonaparte : “ Général, tu as sauvé la France. Tes enfants glorieux d’appartenir à cette invincible armée te feront un rempart de leur corps. Sauve la République.” L’annonce du tarif d’abonnement figure dans tous les numéros comme garantie d’indépendance, mais le Courrier fut souvent distribué gratuitement à Paris comme à l’armée. Le butin de guerre assure à Bonaparte les moyens nécessaires. Au besoin, les faits y sont relatés de façon déformée, afin de jouer sur les ressorts de l’émotion. Tout doit concourir à le présenter à l’opinion comme un héros qui allie force et intelligence et comme un ami des artistes et des savants ; lesquels, en retour, vont chanter ses louanges.
Désormais, rien ne se fera plus sans l’armée d’Italie ni sans son chef providentiel. Bonaparte prend une dimension politique que le Directoire n’a pas prévue : il dispose d’une armée, d’un important butin et de plusieurs journaux.
Les documents d’Italie révèlent que tous les grands thèmes qui inspireront la légende napoléonienne naissent, bien avant Sainte-Hélène, pendant cette première campagne, par la volonté même de Bonaparte. C’est dès cette époque que Bonaparte crée sa propre image en alléguant de ses qualités exceptionnelles, de son génie et de son destin. L’homme entre ainsi vivant dans la légende. Ce génie de la mise en scène va subjuguer toute une époque.
L’armée est celle de la Révolution en même temps que celle de la grandeur nationale. Simultanément, la guerre apparaît déjà comme un thème et un instrument de propagande : elle unit la nation face à l’ennemi commun et devient un moyen d’action psychologique sur l’opinion intérieure.
Qu’est-ce que la légende napoléonienne si ce n’est le fruit de la réussite extraordinaire de la propagande du jeune Bonaparte ?
[Le] courrier de l’armée d’Italie, ou Le patriote français à Milan / par une Société de républicains.1797-1798.198.N 1-248. (3 thermidor an V-12 frimaire an VII).
[La] France vue de l’armée d’Italie : 16 thermidor-16 brumaire an V : journal de politique, d’administration et de littérature françoise et étrangère.1797.18.N 1-18. (16 thermidor an V-16 brumaire an VI).
Jean TULARD (dir.) Dictionnaire Napoléon Paris, Fayard, 1987.
Jean TULARD Napoléon ou le mythe du sauveur Paris, Fayard, 1986.
Michel VOVELLE Les Républiques sœurs sous le regard de la Grande Nation, 1795-1803 Paris, L’Harmattan, 2000.
Michel VOVELLE La Révolution française, images et récit, 1789-1799 tome V, Paris, Messidor, 1986.
1 - Coup d'État du 18 fructidor an V (4 septembre 1797) : les élections ont porté au pouvoir une majorité de monarchistes. Pour contrer une éventuelle restauration de la monarchie, les républicains dont Barras fait appel à l'armée républicaine (dont celle de Bonaparte qui envoie un de ses généraux Augereau). Augereau à la tête de 30 000 hommes pénètre dans Paris et occupe les salles des conseils et arrête les principaux députés monarchistes. Les élections sont cassées, en apparence la république est sauvée, grâce au coup de force de l'armée.
Directoire (1795-1799) :
Luce-Marie ALBIGÈS, « Bonaparte et la propagande pendant la campagne d'Italie », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 11/12/2024. URL : https://histoire-image.org/etudes/bonaparte-propagande-campagne-italie
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