Manifestation xénophobe d'étudiants parisiens. Paris, vers 1935
Auteur : ANONYME
Lieu de conservation : Agence Roger-Viollet (Paris)
site web
Date de création : 1er février 1935
Date représentée : 1er février 1935
photographie
Domaine : Photographies
© Collection Roger-Viollet / Roger-Viollet
5079-5 / RV-378961
Les immigrés, éternels indésirables
Date de publication : Avril 2016
Auteur : Alexandre SUMPF
La grève des étudiants de médecine en février 1935
Avec la crise économique mondiale qui touche la France en 1931, les thématiques xénophobes et les discours d’extrême droite prennent de la vigueur et accusent les étrangers de tous les maux : chômage, insécurité, désordre ou encore menace sur l’identité (« race », culture, religion) du pays. Commerçants, artisans et professions libérales notamment dénoncent une concurrence déloyale et mènent une campagne virulente pour obtenir la protection de la loi. Les pouvoirs publics durcissent alors drastiquement leur politique en matière d’immigration et la loi du 10 août 1932 « protégeant la main d’œuvre nationale » est par exemple votée à l’unanimité du Parlement. Les refoulements, les expulsions, la surveillance et la répression s’accentuent à l’égard des immigrés (réguliers ou non) qu’une part de plus en plus importante de la population française rejette.
En ce mois février 1935, ce sont les autorités de l’université de médecine, certains syndicats médicaux et plusieurs organisations d’étudiants en médecine qui organisent un vaste mouvement de grève afin de protester contre « l’envahissement de la profession médicale » par les immigrés étrangers. En majorité juifs roumains et polonais dans cette activité professionnelle, ces derniers sont accusés de « voler » les places à l’université, les diplômes et les clients aux français « de souche ».
Inscrite dans un contexte de forte crise économique, politique et identitaire, la contestation prend une ampleur assez exceptionnelle, se déroulant dans un climat xénophobe et antisémite. En province, mais surtout à Paris, les manifestations se multiplient, comme celle immortalisée par le cliché Manifestation xénophobe d’étudiants parisiens devant la faculté de médecine, 1er février 1935 qui, justement, « lance » le mouvement.
« Contre l’invasion métèque »
Manifestation xénophobe d’étudiants parisiens devant la faculté de médecine, 1er février 1935 est vraisemblablement l’œuvre de l’un des grévistes ou de l’un de leurs « sympathisants ». En effet, le groupe d’étudiants ici réuni prend volontairement la pause avec bonne humeur, comme en témoignent plusieurs sourires ou autres regards complices, bienveillants semble-t-il avec l’auteur du cliché.
La scène se déroule devant l’école de la faculté de médecine de Paris, située dans le Ve arrondissement. On aperçoit en arrière plan le bâtiment ancien, partiellement masqué par la structure de bois plus rudimentaire qui constitue l’entrée de « l’école pratique » (c’est-à-dire la partie de l’université où l’on effectue les dissections et les autres exercices pratiques) ainsi que le signale un panneau situé au-dessus de l’une des deux portes d’entrée.
Regroupés en une masse compacte, les étudiants grévistes présentent un profil globalement similaire. Il s’agit exclusivement d’hommes blancs (aucune femme) moyennement jeunes (en majorité des trentenaires (ce qui renvoie à la durée des études de médecine), et dont la mise (costumes, pardessus, chapeaux) dénote une relative aisance (pour la condition estudiantine).
Semblant répondre à une consigne du photographe, les jeunes gens regardent l’objectif pour exprimer à cet instant précis leur détermination. Si la plupart des visages et des regards expriment une forme de joie « bon enfant » presque potache d’être là réunis entre jeunes grévistes, d’autres sont plus fermés, plus vindicatifs, plus sombres. Groupés, ils font corps et bloc derrière une banderole qui proclame en grosses lettres majuscules d’imprimerie noire sur papier blanc : « contre l’invasion métèque faites grève ». Certains étudiants semblent crier quelque chose ; d’autres, qui sont une minorité, effectuent un salut de type manifestement fasciste, le bras et la main tendus (même si l’on distingue également des saluts plus anodins, simples mains levées).
La xénophobie et l’antisémitisme en bannière
Loin d’être une photographie « spontanée », Manifestation xénophobe d’étudiants parisiens devant la faculté de médecine, 1er février 1935 semble composée pour faire passer un message simple et compréhensible par tous. D’une part, les éléments écrits qui y figurent résument et délivrent directement la signification exhaustive du mouvement. Il s’agit en effet des étudiants de la faculté de médecine (le panneau) qui se réunissent, à la fois solidaires (on se « serre les coudes » en prenant la pause comme on le fait pour la cause) déterminés (quelques regards) pour lutter « contre l’invasion métèque » et encourager au mouvement de grève qui débute ce premier février.
Cette mise en scène d’eux-mêmes par les étudiants donne à voir une violence indiscutable. Celle-ci tient d’abord à la teneur xénophobe et plus particulièrement antisémite des propos de la banderole, qui parle bien « d’invasion » contre laquelle il faudrait se défendre, y compris par la force. Le mot « métèque » quant à lui, extrêmement péjoratif, renvoie à l’étranger en général et désigne dans le lexique d’extrême droite depuis Charles Maurras surtout les juifs, justement nombreux en médecine.
La violence affleure aussi dans les postures du groupe, qui, en dépit de la bonne humeur déjà signalée, exprime en effet une certaine énergie véhémente, belliqueuse. Compactes et prêtes à se battre, ces jeunesses viriles offrent à l’objectif une démonstration de force qui puise dans les codes d’une symbolique typique de l’extrême droite ; impression bien évidemment confirmée par les saluts fascistes que l’on perçoit ici et là. Nombre d’organisations d’étudiants de médecine en grève étaient effectivement noyautées par l’extrême droite (notamment l’Action Française) et, presque un an après les événements du 6 février 1934, la journée et la nuit du 1er février 1935 furent chaotiques, plusieurs affrontements avec la police et actes de violence contre des immigrés étant signalés dans la capitale.
BLANC-CHALÉARD Marie-Claude, Histoire de l’immigration, Paris, La Découverte, coll. « Repères » (no 327), 2001.
HALIOUA Bruno, « La xénophobie et l’antisémitisme dans le milieu médical sous l’Occupation vus au travers du concours médical », Médecine/Sciences, vol. 19, no 1, 2003, p. 107-115.
LEQUIN Yves (dir.), Histoire des étrangers et de l’immigration en France, Paris, Larousse, coll. « Bibliothèque historique », 2006.
NOIRIEL Gérard, Immigration, antisémitisme et racisme en France (XIXe-XXe siècle) : discours publics, humiliations privées, Paris, Hachette littératures, coll. « Pluriel », 2009 (1re éd. Paris, Fayard, 2007).
NOIRIEL Gérard, Le creuset français : histoire de l’immigration (XIXe-XXe siècle), Paris, Le Seuil, coll. « L’univers historique » (no 55), 1988.
SCHOR Ralph, Histoire de l’immigration en France de la fin du XIXe siècle à nos jours, Paris, Armand Colin, coll. « U » (no 263), 1996.
VIET Vincent, La France immigrée : construction d’une politique (1914-1997), Paris, Fayard, 1998.
L’Action française : Journal fondé en 1908 par Charles Maurras et Léon Daudet. Ce quotidien défend des thèses nationalistes, d'extrême-droite, anti-parlementaires, anti-républicaines et antisémites. Il sera mis à l'index par le pape Pie XI en 1926. Il soutient le régime de Vichy et sera interdit à la Libération en 1944. Les années disponibles sur Gallica, BNF
Alexandre SUMPF, « Les immigrés, éternels indésirables », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 21/11/2024. URL : https://histoire-image.org/etudes/immigres-eternels-indesirables
Lien à été copié
Découvrez nos études
Immigrés dans les années 1920
Dans la France des années 1920, la précarité est à la fois sociale et économique. Les immigrés sont tolérés cependant les pulsions…
Regard sur les Anglais au début du XXe siècle
Au début du XXe siècle, Paris est marqué par l’…
Marie Curie et la presse
Marya Sklodowska est née à Varsovie, en 1867, en Pologne alors partie intégrante de l’Empire russe et décède en…
L’Art contre l’Occupation
Arrivé à Paris de sa Hongrie natale via Berlin en 1924, Gyula Halasz, dit Brassaï, se fait rapidement connaître comme…
Les immigrés au travail
Chacune à sa manière, les trois photographies Ouvriers chinois à Boulogne-Billancourt; Ouvriers agricoles nord…
Les immigrés, éternels indésirables
Avec la crise économique mondiale qui touche la France en 1931, les thématiques xénophobes et…
Immigrés et syndicats
A la fin des Trente glorieuses, un élan contestataire s’amplifie, dirigé contre toute forme d’autorité culturelle, sociale et politique. Ces…
Les femmes des FTP-MOI
Quatre jours après le débarquement en Provence qui commence le 15 août 1944, le…
Le Naufrage du Titanic
Dans la nuit du 14 au 15 avril 1912, moins de trois heures après avoir heurté un iceberg, sombrait…
« Y’a bon » Banania
Délaissant l’Antillaise de ses premières affiches, la marque Banania (1914), qui cherche à transformer en produit patriotique…
Ajouter un commentaire
Mentions d’information prioritaires RGPD
Vos données sont sont destinées à la RmnGP, qui en est le responsable de traitement. Elles sont recueillies pour traiter votre demande. Les données obligatoires vous sont signalées sur le formulaire par astérisque. L’accès aux données est strictement limité aux collaborateurs de la RmnGP en charge du traitement de votre demande. Conformément au Règlement européen n°2016/679/UE du 27 avril 2016 sur la protection des données personnelles et à la loi « informatique et libertés » du 6 janvier 1978 modifiée, vous bénéficiez d’un droit d’accès, de rectification, d’effacement, de portabilité et de limitation du traitement des donnés vous concernant ainsi que du droit de communiquer des directives sur le sort de vos données après votre mort. Vous avez également la possibilité de vous opposer au traitement des données vous concernant. Vous pouvez, exercer vos droits en contactant notre Délégué à la protection des données (DPO) au moyen de notre formulaire en ligne ( https://www.grandpalais.fr/fr/form/rgpd) ou par e-mail à l’adresse suivante : dpo@rmngp.fr. Pour en savoir plus, nous vous invitons à consulter notre politique de protection des données disponible ici en copiant et en collant ce lien : https://www.grandpalais.fr/fr/politique-de-protection-des-donnees-caractere-personnel