Le cardinal de Richelieu
Triple portrait du cardinal Richelieu.
Le cardinal de Richelieu
Auteur : CHAMPAIGNE Philippe de
Lieu de conservation : musée du Louvre (Paris)
site web
Date de création : 1639
Date représentée : 1639
H. : 222 cm
L. : 155 cm
Domaine : Peintures
RMN - Grand Palais (musée du Louvre) / Stéphane Maréchalle
17-526065 / INV1136
Le cardinal de Richelieu : images et pouvoir
Date de publication : Février 2018
Auteur : Jean HUBAC
Le prélat et son peintre
Au moment où ces portraits sont peints (entre 1639 et 1642), Armand-Jean du Plessis, cardinal de Richelieu est au sommet de sa carrière politique et de son influence. Né en 1585 d’une famille de moyenne noblesse, il commence à se distinguer comme évêque de Luçon puis entre au service de Marie de Médicis en 1615. La reine mère le fait membre du conseil du roi, mais la reprise en main du pouvoir par Louis XIII l’éloigne de la cour à partir de 1617. Il sert alors d’intermédiaire entre le roi et sa mère et passe pour l’artisan de leur réconciliation au début des années 1620. Obtenant pour récompense la pourpre cardinalice en 1622 et revenant au conseil du roi en 1624, Richelieu impose rapidement son ascendant sur Louis XIII, de qui il devient le principal ministre. Tenir l’équilibre entre la turbulente Marie de Médicis, qui le considère comme sa créature inféodée, et le roi jaloux de son autorité est un exercice difficile qu’il réussit jusqu’au « grand orage » de 1630, au cours duquel Louis XIII choisit définitivement son ministre plutôt que sa mère. Commence alors une période de gouvernement du royaume à deux têtes (le roi et son ministre), caractérisée par la mise au pas des grands seigneurs à l’intérieur et par la lutte contre les Habsbourg à l’extérieur, jusqu’à la mort de Richelieu en 1642.
Au comble des faveurs et des honneurs, Richelieu orchestre sa propre mise en image. Il utilise pour cela les talents du peintre Philippe de Champaigne, à qui il commande au total pas moins de 21 portraits. Peintre flamand installé à Paris, Champaigne (1602-1674) doit sa réputation à une œuvre riche composée de grands sujets religieux, de paysages et de portraits, y compris officiels. Marie de Médicis, puis Richelieu et Louis XIII apprécient son talent et en font un peintre officiel de la cour. Dans la continuité du naturalisme flamand introduit dans l’art du portrait de cour en France par Frans Pourbus, Champaigne peint de nombreux portraits de Richelieu, comme autant de motifs ou de variations autour d’un thème essentiel.
Le grand portrait en pied peint vers 1639 incarne l’exemplarité de cette production picturale. Il prend place dans une série de portraits en pied à laquelle appartenait la version destinée à la galerie du Palais Cardinal à Paris et dont l’original aujourd’hui perdu n’est connu que par la gravure. La galerie des hommes illustres, conçue par Richelieu pour le Palais Cardinal (actuel Palais Royal à Paris) et confiée à Simon Vouet et à Philippe de Champaigne, est achevée en 1637. Établie à la gloire des grands hommes de l’histoire de France, cette galerie à vocation privée comportait donc une représentation du cardinal lui-même, qui se comptait parmi ces figures illustres, dans la filiation du cardinal d’Amboise, de Suger ou de Du Guesclin, et aux côtés des membres de la famille royale, au premier rang de laquelle le roi Louis XIII. Notre portrait provient quant à lui de la collection du financier Louis Phélypeaux de La Vrillière, à qui le cardinal lui avait peut-être offert.
Le triple portrait de Londres relève d’une autre intention artistique, précisée par l’annotation figurant au dos du tableau. En effet, l’inscription indique que la toile devait être envoyée au sculpteur Francesco Mocchi, à qui avait été commandée une statue en pied du cardinal de Richelieu. En 1641, le Bernin avait réalisé un buste en marbre de Richelieu (aujourd’hui au musée du Louvre) qui n’avait pas eu l’heur de totalement plaire à son auguste commanditaire. C’est pourquoi c’est vers Mocchi plutôt que vers le Bernin qu’on s’est tourné en 1642 pour la future statue en pied. Bien qu’à l’origine d’un premier portrait envoyé au Bernin pour réaliser l’effigie du cardinal, Champaigne est à nouveau sollicité pour Mocchi, à défaut de Van Dyck, disparu trop tôt. Champaigne réalise donc un triple portrait, actuellement conservé à Londres.
Le prince de l’Église en majesté
Richelieu est peint par Champaigne dans tout l’éclat de la majesté. L’air altier et sévère, sa mine impériale impose son emprise sur le spectateur, d’autant plus que la suspension du cadre lui impose de lever son regard vers le prélat. Âgé de 54 ans en 1639, le cardinal-ministre apparaît grandeur réelle sous des traits émaciés, le visage en pointe accentuée par une barbiche. La dimension de sa tête, relativement petite, contraste avec l’imposante robe rouge qui habille son corps, dont les formes ont complètement disparu sous l’auguste drapé. La composition pyramidale renforce le sentiment de stabilité et de sereine assurance qui se dégage du cardinal. Le triple portrait de Londres, dont est vantée la ressemblance avec le modèle, précise les traits fins du visage du prélat politique et confirme l’impression de hauteur et de grandeur qui saisit le spectateur. Le haut col blanc fermé par un double cordon et le collier bleu de l’ordre du Saint-Esprit rehaussent la pourpre cardinalice d’un nouvel éclat.
L’appartenance à la prélature est soulignée par la robe, la calotte et, dans le portrait en pied, par la barrette, tenue au bout du bras droit comme un bâton de commandement brandi par un prince ou un général. La pose est pourtant celle d’un prince à l’allure digne et solennelle, et duquel émane la pompe de l’exercice du pouvoir. Debout, le prince de l’Église est aussi le principal ministre du roi, le premier serviteur de la monarchie. Semblable à une statue, Richelieu se détache sur un décor réduit à une lourde tenture dorée décorée de motifs végétaux. La mise en valeur de la pourpre est ainsi rendue plus aisée, de même que la focalisation sur la personne du cardinal, qui incarne à elle seule l’idée que le spectateur doit s’en faire, un mélange inextricable et fécond de potestas et d’auctoritas.
Une image pour la postérité
Le caractère programmatique de la galerie des hommes illustres du Palais Cardinal, auquel Richelieu attachait beaucoup d’importance, révèle le lien intrinsèque entre l’art et le pouvoir dans la conception que le cardinal se faisait du portrait de cour. Sa propre représentation a en effet fait l’objet d’une attention très précise de la part du cardinal-ministre. Progressivement, le portrait en pied a succédé au portrait assis, moins majestueux et moins martial. L’insistance mise sur l’homme d’Église assis le cède donc à partir du milieu des années 1630 à la mise en valeur de l’homme d’État debout et peint en pied, c’est-à-dire selon des canons habituellement réservés aux princes régnants. L’abandon progressif de tout décor, au profit d’un lourd rideau théâtral, concentre l’attention sur la seule figure digne d’être observée, celle du cardinal, sans divertissement possible de l’attention. Pour cette évolution iconique et symbolique, Richelieu choisit Champaigne, à même de rendre justice à la grandeur du cardinal-ministre. Pour autant, Richelieu était également attentif à ne pas laisser de lui une image trop éloignée de son idéal ; il demanda ainsi à son peintre favori de retoucher les portraits des dernières années de sa vie, pour éviter de rendre compte des effets de l’âge et de la maladie de manière trop évidente.
La force du symbole transforme une robe de prélat en « capa magna », selon l’expression de Bernard Dorival, incarnant l’exercice du pouvoir d’État. Le rouge devient la couleur symbolique de l’exercice du pouvoir suprême sous l’autorité nominale du roi, véritable captation de la souveraineté par un serviteur du prince. La technique picturale s’efface au profit de l’expression épurée du sujet représenté en majesté, d’un homme qui est à la fois d’Église et d’État, à la fois sujet et garant de l’autorité souveraine. Paradoxalement, cet homme qui doit son assiette sociale et politique à une vaste clientèle est campé en homme solitaire, qui ne partage pas le pouvoir avec un autre que celui qui le lui confère, le roi. Cette glorification autoproclamée diffusée par la peinture a trouvé dans la gravure un autre moyen de se répandre dans le royaume, reprenant à l’envi les motifs picturaux contrôlés par celui qui en est à la fois le commanditaire et le modèle.
Jean-Claude BOYER, Barbara GAEHTGENS et Bénédicte GADY (dir.), Richelieu, patron des arts, Editions de la Maison des sciences de l’homme, Paris, 2009.
Bernard DORIVAL, Philippe de Champaigne (1602-1674) : la vie, l’œuvre et le catalogue raisonné de l’œuvre, Laget, Paris, 1976.
Françoise HILDESHEIMER, Richelieu, Flammarion, Paris, 2011.
Louis MARIN, Philippe de Champaigne ou la présence cachée, Éditions Hazan, Paris, 1995.
Roland MOUSNIER (dir.), Richelieu et la culture, Éditions du CNRS, Paris, 1987.
Alain TAPIÉ et Nicolas SAINTE FARE GARNOT (sous la dir.), Philippe de Champaigne (1602-1674). Entre politique et dévotion, Éditions de la Réunion des musées nationaux, Paris, 2007.
Hilliard TODD GOLDFARB (dir.), Richelieu. L’art et le pouvoir, Musées des Beaux-Arts de Montréal/Wallraf-Richartz-Museum – Fondation Corboud/Snoeck-Ducaju & Zoon, 2002.
Jean HUBAC, « Le cardinal de Richelieu : images et pouvoir », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 21/11/2024. URL : https://histoire-image.org/etudes/cardinal-richelieu-images-pouvoir
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