Desgenettes, médecin en chef de l'armée d'égypte, s'inocule la peste en présence des soldats malades afin de calmer leur imagination
René-Nicolas Dufriche, baron Desgenettes (1762-1837), médecin en chef de l'Expédition d'égypte
Desgenettes, médecin en chef de l'armée d'égypte, s'inocule la peste en présence des soldats malades afin de calmer leur imagination
Auteur : VAFFLARD Pierre-Antoine-Augustin
Lieu de conservation : musée national du château de Malmaison (Rueil-Malmaison)
site web
Date représentée : 1799
gravure en couleurs
Domaine : Estampes-Gravures
© RMN - Grand Palais (musée des châteaux de Malmaison et de Bois-Préau) / Daniel Arnaudet
97-022610 / MM.49.2.125
René-Nicolas Desgenettes
Date de publication : Avril 2020
Auteur : Pierre-Yves BEAUREPAIRE
Le service de Santé et l’expédition d’Égypte (1798-1801)
Si l’expédition d’Égypte est passée à la postérité pour son volet scientifique ou la bataille des Pyramides (21 juillet 1798), elle a supposé aussi une logistique considérable pour convoyer troupes et matériels à travers la Méditerranée ainsi qu’un service de Santé capable de maintenir la troupe en état de combattre en terrain hostile. Le général Bonaparte en a parfaitement conscience lorsqu’il écrit le 30 mars 1798 à Simon de Sucy, ordonnateur en chef de l’armée d’Égypte, un homme de confiance qui l’a servi en Italie : « Le citoyen Desgenettes est Médecin en Chef, le citoyen Larrey, Chirurgien en Chef. Dix-huit chirurgiens et médecins doivent être partis et, à l’heure qu’il est, être rendus à Toulon. Indépendamment de cela, vous prendrez le plus de chirurgiens et de médecins que vous pourrez, soit en en faisant venir de l’armée d’Italie, soit en prenant ceux de quelque mérite, que vous pourrez trouver dans le pays où vous êtes. Vous n’en aurez jamais de trop. Vous organiserez aussi une pharmacie que vous prendrez dans les hôpitaux de Marseille et de Toulon. Chaque vaisseau de guerre ou de transport doit avoir sa pharmacie […] et vous devrez aussi embarquer une quantité de médicaments proportionnée à la force de l’armée qui se trouve être de 30 000 hommes. »
René-Nicolas Desgenettes (1762-1837) est lui-même un ancien de la campagne d’Italie, où il s’est fait apprécier de Bonaparte et a lutté contre le typhus. Médecin du Val-de-Grâce, il fait montre de remarquables qualités d’organisation et d’un réel charisme lors des campagnes d’Égypte et de Syrie. Soucieux de prévenir les fièvres et leur diffusion rapide au sein de l’armée, il insiste sur l’hygiène et fait brûler uniformes et effets personnels en cas de contagion. Lorsque la peste, endémique au Levant, se déclare, Desgenettes la présente comme une « fièvre bubonneuse » et interdit de nommer l’infection par son nom, conscient de la panique qui risquerait de saisir les hommes si l’information venait à être diffusée dans leurs rangs.
À Jaffa, que les Français assiègent et prennent en mars 1799, la peste fait des ravages dans la population civile et dans les rangs de l’armée. Cette gravure de Pierre-Antoine-Augustin Vafflard (1777-1835) présente de manière à la fois épique et héroïque l’exemplarité du chef, ici René-Nicolas Desgenettes, médecin en chef du corps expéditionnaire, devant une situation tragique : la contamination par la peste des soldats de l’armée d’Égypte lors de la campagne de Syrie. Vafflard, qui expose depuis 1800 au Salon, commence à avoir une certaine notoriété au moment où il réalise cette gravure.
L’eau-forte dessinée par Laffite et aquarellée à la main décrit la même scène. Laffite fait partie de ces artistes qui font le lien entre l’Ancien Régime, la Révolution et l’Empire : Grand Prix de Rome en peinture en 1791, il bénéficie de commandes officielles sous le Directoire et sous l’Empire et utilise de nombreux supports de diffusion (peintures, gravures et médailles).
Le médecin en chef donne l’exemple
En uniforme, Desgenettes présente son bras pour montrer qu’il vient de s’inoculer la « fièvre bubonneuse ». Les officiers et les soldats qui l’entourent sont saisis devant une telle témérité, tandis que d’autres montrent aux malades le geste de Desgenettes. Les lignes de fuite convergent vers lui et mettent en scène ce geste sacrificiel.
La gravure rappelle ici que le médecin Desgenettes, formé auprès des meilleurs maîtres français et italiens, est un partisan convaincu de l’inoculation variolique – qu’il a pratiquée sur son fils. Mais l’image permet aussi de gommer les doutes et les ambiguïtés. En effet, Desgenettes a refusé de nommer la peste, et le titre évoque « l’imagination » des soldats qu’il faut calmer. Par ailleurs, de son propre aveu, Desgenettes ne s’inocule pas le pus provenant d’un malade en état grave, mais « d’un convalescent au premier degré », ce qui est tout à fait logique de la part d’un tenant de l’inoculation : il s’agit de susciter une réponse immunitaire, non de tuer. L’image permet aussi de faire taire ceux qui ont nié que Desgenettes se soit inoculé.
L’eau-forte insiste davantage sur le décor et souligne moins la dimension militaire : pas de sabre ni bicorne, seul l’uniforme est visible. C’est bien l’exemplarité du médecin qui est mise en évidence ici. Desgenettes présente son bras et désigne les points d’inoculation. Des témoins comme Berthier y ont de fait constaté une inflammation plusieurs semaines après.
La construction d’une légende médicale et impériale
Cette gravure fait partie d’une « galerie militaire ». Elle participe à sa manière à la construction de la légende impériale. Avec Percy et Larrey, Desgenettes est l’une des figures du service de Santé de l’armée pendant l’épopée napoléonienne – des hôpitaux d’instruction des armées portent encore leurs noms –, de la campagne d’Égypte à la campagne de Russie (1812), où il est fait prisonnier par les Cosaques.
Face au général Bonaparte puis à l’empereur Napoléon Ier, Desgenettes réagit en médecin et n’hésite pas à défier l’autorité militaire. Lorsque la fin des pestiférés de Jaffa doit être, sur ordre de Bonaparte, accélérée par injection de laudanum en raison de la retraite de l’armée française et afin de ne pas laisser tomber les malades aux mains des Turcs, Desgenettes rétorque (ou aurait rétorqué) : « Mon devoir est de conserver. » À Moscou, il récidive (ou aurait récidivé) lorsque l’évacuation d’un hôpital d’enfants est décidée : « Votre Majesté veut sans doute renouveler le Massacre des Innocents ? »
Mais l’empereur, qui sait reconnaître les hommes de talent au caractère bien trempé, a fait Desgenettes officier de la Légion d’honneur, baron d’Empire, inspecteur général du service de Santé et l’a chargé de réorganiser le Val-de-Grâce. C’est d’ailleurs le titre de baron d’Empire, donc postérieur à la campagne d’Égypte et à la création de l’Empire (1804), qui figure significativement dans le titre de la gravure.
Bref, la légende de Desgenettes doit beaucoup à sa relation à Napoléon. Comme dans un effet miroir, cette gravure et ses variantes sont à rapprocher d’une autre mise en scène célèbre, Bonaparte visitant les pestiférés de Jaffa, 11 mars 1799 par Antoine-Jean Gros. L’héroïsme et l’esprit de sacrifice transcendent les aléas de la guerre, et en Syrie comme lors de la campagne de Russie, la défaite militaire. Le médecin en chef sait aussi construire sa propre légende, lorsqu’il revient sur l’inoculation du pus bubonneux pour en faire une « mémorable action », et c’est sa fille qui veille à ce que son nom figure bien sur l’Arc de Triomphe.
Pierre-Yves BEAUREPAIRE, « René-Nicolas Desgenettes », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 21/11/2024. URL : https://histoire-image.org/etudes/rene-nicolas-desgenettes
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