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Première des projections d'ombres de

Première des projections d'ombres de "L’Épopée" au Cabaret du Chat Noir

Le Cabaret du

Le Cabaret du "Chat Noir" - Machinistes

Cabaret du

Cabaret du "Chat Noir"

Première des projections d'ombres de

Première des projections d'ombres de "L’Épopée" au Cabaret du Chat Noir

Date de création : 1886

Gravure de Paul Merwart, d'après Caran d'Ache

Domaine : Estampes-Gravures

© RMN-Grand Palais / Agence Bulloz

Lien vers l'image

09-517475

  • Première des projections d'ombres de

Le Chat noir, salle obscure

Date de publication : Décembre 2022

Auteur : Alexandre SUMPF

Au cœur de la bohème artistique fin de siècle

Quand en 1896 Théophile Alexandre Steinlen (1859-1923) réalise sa fameuse affiche, emblème de la bohème parisienne de la Belle Époque, ironiquement, le cabaret du Chat noir n’a plus qu’un an à vivre. Il a été installé par Rodolphe Salis en 1885 rue Laval (aujourd’hui Victor-Massé) et s’est doté d’un théâtre d’ombres dès 1886. Illustrateur fameux et membre émérite de ce milieu, Steinlen affectionnait les félins, dont Montmartre était peuplé et que les artistes comme Baudelaire ou Théophile Gautier avaient célébré. Aux premières loges, Henri Rivière (1864-1951) est un graveur qui s’est illustré dans les eaux-fortes et a été embauché par Salis comme rédacteur en chef adjoint de la revue du Chat noir, où il insère ses textes et ses illustrations. De 1886 à 1897, il est aussi responsable du théâtre d’ombres du Chat noir dont il écrit certains textes et assure la mise en scène. S’il est l’un des premiers à se servir de la camera oscura pour fixer non le spectacle, mais ceux qui en assurent le bon fonctionnement, la représentation de la salle et de ses illustres visiteurs revient à Paul Merwart (1855-1902). Cet artiste franco-polonais a fait ses études aux Beaux-Arts à la fin des années 1870, avant de s’employer à produire des dessins pour la presse illustrée de l’époque.

Le spectacle est dans la salle

Le portrait de groupe réalisé par Merwart procède par accumulation : la salle dite des Fêtes, située au deuxième étage de l’immeuble acquis par Salis, semble immense pour recevoir tant d’objets et d’illustres personnages. Dans une atmosphère où stagne la fumée de tabac, qu’on sent dense, la plume s’attarde sur les détails : le portrait de Salis en gentilhomme par Antonio de la Gandera et la statue de la Vierge verte, ainsi que le vitrail et les hallebardes, doivent conférer à l’ensemble un genre médiéval. Ce décor extravagant signé Alexandre Willette est aussi chargé que le linteau de la cheminée tout à droite. La galerie de portraits sous-titrée pour les non-initiés signale que toute la bohème se presse ici en ce soir de première. Sur le mur de droite se dessine l’encadrement japonisant de l’écran servant au théâtre d’ombres, figé sur une image de Napoléon en cavalier sur le champ de bataille. Le spectacle, que personne ne paraît regarder, nécessite un scénario, une mise en scène et des petites mains s’activant en coulisses.

Henri Rivière a tenu à faire une sorte de reportage sur ce métier d’illusionniste grâce à un appareil photo. Servi par la lumière vive d’un projecteur, il capte dans une semi obscurité digne de Rembrandt la manipulation des figures découpées dans le zinc par trois marionnettistes dissimulés sous l’écran. On distingue aussi le système de rails qui permet de faire défiler les silhouettes de L’Épopée (on reconnaît le général Bonaparte au pont d’Arcole). Le succès du cabaret et de son théâtre d’ombre est phénoménal.

En 1896, Salis commande à Steinlen une affiche pour les tournées du Chat noir, au moment où il déménage son cabaret boulevard de Clichy. Le caricaturiste choisit une couleur primaire, le rouge, un fond blanc cassé pour assurer le contraste, et le noir pour le symbole du lieu et le texte. Steinlen réemploie la silhouette de chat hérissé et matois créée par Willette pour l’enseigne du lieu et le dote d’une auréole parodique où, en lettres Art nouveau, il inscrit : Montjoye Montmartre. Le lettrage est déstructuré, la queue du chat impertinent cache à moitié le prénom du propriétaire : bienvenue au royaume de l’irrévérence.

Pas de « fumisterie » sans feu

Si Salis espère lancer ses tournées, c’est que la salle des Fêtes est très petite et surtout que la réputation du lieu a été propagée par les reportages et les récits des voyageurs de retour chez eux. Au fil de la décennie, le théâtre d’ombres sert d’écrin à une quarantaine de pièces, dont L'Épopée, pantomime sur les guerres napoléoniennes écrite, dessinée et créée par Caran d'Ache en 1886. Certains artistes fréquentant la salle participent aussi au spectacle : en 1894, Le Rêve d’Émile Zola est adapté… même si la revue a férocement attaqué le naturalisme et l’écrivain en 1882-1883. Si la musicienne Augusta Holmès n’a jamais composé pour Salis, le poète Mac-Nab (debout, en serveur) a réuni en recueil les chansons du Chat noir. Les acteurs comme les frères Coquelin, l’écrivaine féministe Juliette Adam, fondatrice de La Nouvelle revue, Alphonse Daudet, Ferdinand de Lesseps, Henri Rochefort, le général Boulanger ou Ernest Renan auraient un jour ou l’autre monté l’escalier étroit vers le deuxième étage. L’endroit est à la mode, malgré la concurrence de plusieurs dizaines d’établissements qui ont colonisé le bas de la Butte, comme le Moulin Rouge, le cabaret du Ciel et celui de l’Enfer place de Clichy ou le cabaret des Quat’z’Arts. Quand ce dernier ouvre fin 1893, le théâtre du Chat noir et l’hôtel attenant ont été mis en vente, et Salis organise des tournées dans toute la France… avant de décéder en 1896. Le cabaret attire un public friand d’exotisme et de divertissement : les consommateurs habitués y rivalisent de rosseries et de bons mots. Dans ce lieu souvent imité mais pas toujours égalé, tout n’est que parodie, à commencer par la collection d’objets formant ce que la revue nomme un « musée de la fumisterie ».

Klébe Rossillon, Philip Dennis Cate et alii, Autour du Chat Noir. Arts et plaisirs à Montmartre, 1880-1910, Paris, Skira Flammarion, musée de Montmartre, 2012.

Mariel Oberthür, Le cabaret du Chat Noir à Montmartre (1881-1897), Genève, Éditions Slatkine, 2007.

Martine Sadion, Les ombres : ombres chinoises et autres variations, Épinal, Les catalogues du Musée de l’Image, 2016.

Alexandre SUMPF, « Le Chat noir, salle obscure », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 03/12/2024. URL : https://histoire-image.org/etudes/chat-noir-salle-obscure

La reconstitution du cabaret Le Chat noir à voir sur le site du Musée de Montmartre

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