La Charge
Auteur : DEVAMBEZ André
Lieu de conservation : musée d’Orsay (Paris)
site web
H. : 127 cm
L. : 161 cm
Huile sur toile
Domaine : Peintures
© Photo RMN - Grand Palais - B. Hatala
90DE231/RF 1979-61
La Charge
Date de publication : Mars 2016
Auteur : Ivan JABLONKA
L’agitation politique et sociale, au tournant du siècle, n’est pas seulement due au contexte de l’affaire Dreyfus et de la crise des Inventaires. Depuis la fin des années 1880, les ouvriers, les mineurs en particulier, s’affrontent de plus en plus violemment avec les forces de police ; grèves insurrectionnelles et échauffourées se multiplient. Le 1er mai 1891, à Fourmies, la troupe tire sur les manifestants désarmés. Dix ans plus tard, lors d’une grève insurrectionnelle à Montceau-les-Mines, vingt-deux gendarmes sont blessés par balle. Les années 1890 sont également marquées par la peur des anarchistes. Après l’exécution de Ravachol, l’attentat de Vaillant à la Chambre en décembre 1893 et l’assassinat du président Sadi Carnot en 1894 réveillent les craintes du gouvernement. Les lois de répression de mai et décembre 1893, les lois « scélérates » de juillet 1894, mais aussi l’augmentation du budget de la police et la mise en œuvre d’enquêtes étendues à l’encontre d’individus suspects sont conçues pour mettre un terme à la menace anarchiste.
On ne sait si la Charge décrite par Devambez vise à réprimer une émeute anarchiste, mais elle prend sans doute son sens dans le contexte troublé des années 1890 et du début du siècle. Le tableau, exposé au Salon de 1902, représente la charge d’une brigade de police contre une manifestation (ou une émeute) à Paris, sur le boulevard Montmartre. On ne peut manquer d’être frappé par l’originalité de la composition : la vue plongeante d’un boulevard parisien depuis un immeuble est peut-être empruntée à certaines toiles de Monet ou de Caillebotte, mais ici elle est non seulement vertigineuse mais inquiétante : dans un violent contraste de lumière, on voit un cordon de police effroyable, lancé à toute allure, fondre sur la masse noire et indistincte des émeutiers. Le mouvement des policiers qui dispersent la foule suivant une puissante diagonale est compensé par le caractère statique des motifs géométriques — la verticalité des réverbères et le cercle vide au milieu du tableau. En rendant hommage aux cafés illuminés des boulevards de la Belle Epoque, aux publicités des colonnes Morris, à l’éclairage électrique des vitrines devant lesquelles s’attardent les badauds, Devambez associe à la modernité urbaine la violence d’une scène de guerre civile, livrée dans un univers de noirceur et de terreur.
La Charge est un document intéressant dans la mesure où elle révèle la manière dont l’affrontement social et la répression des troubles à l’ordre public sont représentés au tournant du siècle. On peut noter, à ce titre, que les policiers sont à pied : n’apparaissent dans ce tableau ni les chevaux de la redoutable police montée, ni les vélos que le préfet de police Lépine a introduits en créant en 1895 une brigade d’agents cyclistes. Il est vrai, au demeurant, que la violence de la répression tend à s’accentuer au fil des années. Par exemple, Clemenceau, qualifié d’« assassin » après les événements sanglants de Draveil et de Villeneuve-Saint-Georges en 1908, fera preuve d’une très grande fermeté en mobilisant 40 000 soldats dans Paris pour le 1er mai 1906. En 1912, la Préfecture de police annonce la mise au point d’une grenade lacrymogène pour neutraliser les bandits. Elle sera surtout utilisée pour disperser les manifestations des années 1960. Au-delà de ces évolutions, la Charge montre que la rue est devenue l’arène de la bataille sociale et politique, comme le confirmera avec éclat la crise du 6 février 1934. Mais, dans cette toile, Devambez ne prend pas parti. Il se distingue au contraire par son détachement de toute cause, décrivant des faits hautement politiques avec une neutralité et un esthétisme assez surprenants. Par son sens du mouvement et de la géométrie, il préfigure ainsi le futurisme et, de manière plus générale, l’art moderne. On pourrait ajouter que la force mécanique du cordon de police à l’assaut, le spectacle électrique de la violence et les mouvements de la masse confuse, dans laquelle l’individu a totalement disparu, annoncent en un sens les régimes totalitaires du XXe siècle.
G.-A. EULOGE Histoire de la police des origines à 1940 Plon, 1985.
Pierre MIQUEL Les Gendarmes Olivier Orban, 1990.
Danièle TARTAKOWSKY le Pouvoir est dans la rue. Crises politiques et manifestations en France Aubier, 1998.
Ivan JABLONKA, « La Charge », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 21/11/2024. URL : https://histoire-image.org/etudes/charge
Lien à été copié
Découvrez nos études
Les femmes des FTP-MOI
Quatre jours après le débarquement en Provence qui commence le 15 août 1944, le…
Le Front populaire en marche
En février 1934, Paris renoue avec une violence de rue qu’on croyait disparue. Pendant…
Le Roi civique
Entre la fin des années 1950 et son assassinat le 4 avril 1968, Martin Luther King a occupé plusieurs fois l’espace public de…
Le Festival de Cannes
Lorsque les Français, dans les années 1930, envisagent la création d’un festival de…
Mai 1968 : les barricades
Parmi toutes les images de Mai 68, celles qui montrent les affrontements entre étudiants et forces de l’ordre dans le…
Grève au Creusot, 1899
En 1899, les usines Schneider du Creusot, spécialisées dans la production d’acier Bessemer, constituent la première concentration…
Kupka et L’Assiette au beurre : La Paix
Peintre et illustrateur tchèque émigré à Paris en 1896, Frantisek Kupka (1871-1957) collabore avec L’Assiette au beurre…
Les immigrés, éternels indésirables
Avec la crise économique mondiale qui touche la France en 1931, les thématiques xénophobes et…
Jaurès et le pacifisme
Le 20 mai 1913, craignant des débordements antimilitaristes, le gouvernement interdit la manifestation annuelle à la mémoire des communards qui…
Le 14 juillet 1936
14 juillet 1936, le Front populaire victorieux célèbre pour la première fois la fête nationale. Dans la matinée, comme de coutume…
Ajouter un commentaire
Mentions d’information prioritaires RGPD
Vos données sont sont destinées à la RmnGP, qui en est le responsable de traitement. Elles sont recueillies pour traiter votre demande. Les données obligatoires vous sont signalées sur le formulaire par astérisque. L’accès aux données est strictement limité aux collaborateurs de la RmnGP en charge du traitement de votre demande. Conformément au Règlement européen n°2016/679/UE du 27 avril 2016 sur la protection des données personnelles et à la loi « informatique et libertés » du 6 janvier 1978 modifiée, vous bénéficiez d’un droit d’accès, de rectification, d’effacement, de portabilité et de limitation du traitement des donnés vous concernant ainsi que du droit de communiquer des directives sur le sort de vos données après votre mort. Vous avez également la possibilité de vous opposer au traitement des données vous concernant. Vous pouvez, exercer vos droits en contactant notre Délégué à la protection des données (DPO) au moyen de notre formulaire en ligne ( https://www.grandpalais.fr/fr/form/rgpd) ou par e-mail à l’adresse suivante : dpo@rmngp.fr. Pour en savoir plus, nous vous invitons à consulter notre politique de protection des données disponible ici en copiant et en collant ce lien : https://www.grandpalais.fr/fr/politique-de-protection-des-donnees-caractere-personnel