Assassinat de Fualdès le 19 mars 1817 - Translation du cadavre
Assassinat d'une religieuse par un forçat
Le Crime du Kremlin-Bicêtre
Le Crime de Monte-Carlo
Assassinat de Fualdès le 19 mars 1817 - Translation du cadavre
Auteur : GERICAULT Théodore
Lieu de conservation : musée du Louvre (Paris)
site web
Date de création : 1817-1818
Date représentée : 19 mars 1817
H. : 21 cm
L. : 27 cm
Dessin, encre brune, lavis brun, mine de plomb, plume.
Domaine : Dessins
© GrandPalaisRmn (musée du Louvre) / Michel Urtado
REC 30 - 17-507178
Faits divers criminels
Date de publication : Septembre 2010
Auteur : Charlotte DENOËL
Le XIXe siècle et la question du crime
Tout au long du XIXe siècle, la croissance significative de la population urbaine et le développement des faubourgs où règnent promiscuité, insalubrité et pauvreté ont pour conséquence une augmentation sensible du taux de criminalité, en particulier à Paris et à Londres. De là naît une angoisse permanente du crime et des classes dites « dangereuses » qui s’empare de toute la société.
Écrivains et artistes sont en grande partie responsables de cet état de fait : Victor Hugo avec Le Dernier Jour d’un condamné (1829) et Eugène Sue avec Les Mystères de Paris inscrivent la figure du meurtrier dans l’imaginaire collectif, tandis que Balzac tisse une géographie du crime parisien dans La Comédie humaine et que Zola dessine une anthropologie du tueur-né.
La presse n’est pas en reste : avec l’ouverture des audiences au public en 1789, spectateurs et journalistes se pressent sur les bancs des assises pour voir la justice à l’œuvre. Les affaires judiciaires sont minutieusement décrites dans les nombreux quotidiens populaires qui fleurissent. C’est ainsi que le fait divers criminel, déclencheur de passions, acquiert une place privilégiée au sein de la société française.
Faits divers sanglants
Les artistes du XIXe siècle éprouvent une fascination envers le crime, la violence de l’acte et de la mort, qu’ils cherchent à traduire de la manière la plus expressive possible. Ce thème traverse en particulier l’œuvre de Théodore Géricault (1791-1824), peintre romantique à la sensibilité exacerbée, qui s’est notamment penché sur l’assassinat d’Antoine Bernardin Fualdès, un député de l’Aveyron égorgé à Rodez dans la nuit du 18 au 19 mars 1817 par plusieurs complices au son d’un orgue de barbarie destiné à couvrir ses cris. La personnalité de la victime, ancien procureur général, franc-maçon et membre du Tribunal révolutionnaire, et les zones d’ombre qu’elle comportait ont incité la presse à chercher des mobiles politiques à cette affaire, la première du genre à être largement couverte au niveau national. Le sujet a inspiré Géricault qui, désireux de faire entrer ce fait divers dans l’histoire, a réalisé une série de dessins préparatoires en vue d’un tableau de Salon jamais exécuté. Elle représente les diverses étapes de cet assassinat, depuis l’enlèvement du député jusqu’à la fuite des meurtriers. Dans l’esquisse consacrée à la translation du cadavre de Fualdès vers l’Aveyron où il fut immergé, les attitudes haineuses des assassins et la composition pyramidale de la scène traduisent l’intensité des passions criminelles.
Donnant une place de choix aux faits divers criminels, les journaux quotidiens et les canards, feuilles volantes d’information, les relatent à coups de récits fourmillant de détails sanglants et d’illustrations en couleur de grand format. C’est notamment le cas d’une gravure coloriée au pochoir représentant l’assassinat d’une religieuse par un forçat, imprimée à Rouen par Émile Périaux vers 1840 : dans cette page, sans doute issue d’un canard ou de l’imagerie d’Épinal, l’image représente le moment le plus spectaculaire du crime, lorsque l’assassin brandit son couteau sur la religieuse. L’épaisseur du trait, typique de la gravure sur bois de fil, les larges aplats noirs et les couleurs criardes renforcent l’expressivité de la scène. Outre les précisions qu’il apporte sur les circonstances du crime, le texte évoque la douceur et les nombreux mérites de la victime pour mieux souligner l’ignominie de l’acte.
La formule évolue quelque peu dans les quotidiens qui prennent le relais des canards à partir des années 1850 : comme le montrent ces deux suppléments au Petit Journal, l’image règne en maître. L’édition du 26 décembre 1897 consacre ainsi sa Une et sa quatrième de couverture au crime du Kremlin-Bicêtre et accompagne les deux illustrations en couleur de brèves légendes faites pour susciter l’effroi et la curiosité du lecteur. Le théâtre du crime et son horreur sont figurés d’une manière encore plus hyperréaliste à la Une du supplément daté du 25 août 1907 : il s’agit ici du crime de Monte-Carlo et d’une femme coupée en morceaux. Cet aspect du drame organise toute l’illustration qui, pour mieux frapper les esprits, présente en médaillons les portraits de la victime et des coupables.
Le triomphe des journaux à sensation
La place qu’une certaine presse consacre aux faits divers témoigne de la fascination que le crime et les figures de criminels exercent sur un lectorat esentiellement populaire. Ce phénomène est perceptible dès le début du XVIIIe siècle dans les canards, publications occasionnelles consacrées à la relation d’événements extraordinaires, où les crimes se taillent la part du lion. Leurs illustrations « choc » et leurs textes prolixes en épithètes et détails suggestifs font les délices du public durant toute la première moitié du XIXe siècle. Toutefois, ces canards sont bientôt concurrencés par la presse à grand tirage qui tire profit des progrès techniques (invention de la presse rotative entre autres) et du recul de l’illettrisme pour prendre son essor à partir des années 1850 et s’affirmer comme le véritable média de masse. Les principaux journaux, dont les tirages se chiffrent à plusieurs centaines de milliers d’exemplaires, comme Le Petit Journal, premier journal à sensation lancé en 1863 par Moïse Millaud, Le Petit Parisien (1876) ou Le Matin (1884), n’hésitent pas à voler la vedette aux canards en matière de faits divers criminels, grâce au recours massif à l’illustration en couleurs. En outre, le fait qu’ils paraissent quotidiennement leur permet d’informer leurs lecteurs au jour le jour des suites d’une affaire judiciaire et de les tenir ainsi en haleine, suivant le procédé employé pour les romans-feuilletons.
Pierre ALBERT, Histoire de la Presse, Paris, P.U.F., coll. « Que sais-je ? », 2003.
Jean CLAIR (dir.), Crime et châtiment, catalogue de l’exposition du musée d’Orsay, Paris, Gallimard, coll. « Livre d’art », 2010.
Michel FOUCAULT (présentation), Moi, Pierre Rivière, ayant égorgé ma mère, ma sœur et mon frère : un cas de parricide au XIXe siècle, Paris, Gallimard, 1973.
Dominique KALIFA, L’Encre et le sang. Récits de crimes et société à la Belle Epoque, Paris, Fayard, 1995.
Dominique KALIFA, « Crime, fait divers et culture populaire à la fin du XIXe siècle », in Genèse. Sciences sociales et histoire n° 19 (1995).
Dominique KALIFA, Les Crimes de Paris. Lieux et non-lieux du crime à Paris au XIXe siècle, Paris, Bilipo, 2000.
Dominique KALIFA, Crime et culture au XIXe siècle, Paris, Perrin, 2002.
Maurice LEVER, Canards sanglants. Naissance du fait divers, Paris, Fayard, 1993.
Michelle PERROT, Les Ombres de l’histoire. Crime et châtiment au XIXe siècle, Paris, Flammarion, 2001.
Imagerie populaire : Née avec les techniques d’impression mécanique qui permettent la reproduction d’une même image à l’infini et sa diffusion à moindre coût et au plus grand nombre à des fins d’information, mais également de propagande. L’un des principaux centres de fabrication de ces gravures populaires est Épinal – on parle en ce cas d’images d’Épinal.
Charlotte DENOËL, « Faits divers criminels », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 21/11/2024. URL : https://histoire-image.org/etudes/faits-divers-criminels
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