La Saint-Barthélemy (24 août 1572) et l'assassinat de l'amiral de Coligny
Auteur : ANONYME
Lieu de conservation : musée Condé (Chantilly)
site web
Date représentée : 24 août 1572
H. : 11,5 cm
L. : 17 cm
eau-forte
Domaine : Peintures
© RMN - Grand Palais (domaine de Chantilly) / Thierry Le Mage
10-512886 / EST H 23
La Saint-Barthélemy (24 août 1572)
Date de publication : Avril 2015
Auteur : Nicolas LE ROUX
Image de violence, violence de l’image
Cette gravure en taille-douce évoque le massacre des protestants parisiens d’août 1572. Il y a, à l’époque des guerres de Religion, un intérêt nouveau pour l’image d’actualité alors que celle-ci était pratiquement inexistante auparavant en France. Les gravures sur cuivre se multiplient et remplacent progressivement les gravures sur bois. À Paris, les graveurs, traditionnellement installés rue Montorgueil, migrent vers la rue Saint-Jacques. L’arrivée de nombreux artistes néerlandais, notamment anversois, provoque une explosion de la production d’estampes dans les années 1570 et 1580. La gravure en taille-douce (burin, puis eau-forte) est d’abord utilisée pour produire des portraits.
Il existe un marché européen de l’estampe à l’époque des guerres de Religion. Les images circulent beaucoup. Elles sont particulièrement appréciées dans le monde germanique, le principal atelier de l’époque étant celui de Frans Hogenberg à Cologne.
La petite gravure que nous avons ici rappelle les productions néerlandaises ou germaniques. Elle provient nécessairement du monde protestant.
Les guerres civiles ont débuté en 1562, mais depuis 1570, le royaume de France est en paix. Catherine de Médicis, la mère du jeune roi Charles IX, pense avoir enfin réussi à mettre fin aux violences entre catholiques et protestants. Elle accomplit même le tour de force qui revient à faire épouser sa fille, Marguerite, par un prince du sang réformé, Henri de Navarre. Les noces, qui se déroulent le 18 août 1572 à Paris, donnent lieu à des fêtes spectaculaires exprimant la réconciliation entre les partis. Les gentilshommes réformés sont d’ailleurs venus en nombre à Paris, une ville très majoritairement catholique. Cependant, le jeune duc de Guise, Henri de Lorraine, entend toujours venger la mort de son père assassiné en 1563, qu’il impute à l’amiral Gaspard de Coligny, le chef militaire du parti huguenot. Par ailleurs, Coligny lui-même, qui a fait son retour à la cour à la faveur de la paix, milite pour l’intervention du roi de France aux Pays-Bas, où les protestants ont pris les armes. De son côté, Philippe II d’Espagne n’a qu’une crainte, c’est que les Français des deux confessions désormais réunis n’entrent en campagne contre lui.
Le 22 août 1572, en milieu de matinée, l’amiral sort du Louvre où il a participé au conseil. Alors qu’il rentre chez lui, rue de Béthisy, derrière l’église Saint-Germain-de-l’Auxerrois, un tir d’arquebuse le blesse au bras et à la main. Charles IX promet de faire justice mais les protestants crient vengeance. Le lendemain, en fin de journée, Catherine de Médicis et ses proches décident de mettre à mort les principaux chefs protestants présents dans la capitale. Les assassinats commencent le 24 août avant l’aube. Une troupe se rend chez l’amiral, qui est percé de coups…
L'apogée des guerres de Religion
L’image est scindée en deux par le mur de la maison de l’amiral de Coligny. À gauche, le blessé, encore dans son lit, est transpercé par les épées des meurtriers. À droite est représenté le massacre général des huguenots parisiens. Certains sont défenestrés, d’autres jetés dans un puits, tous sont frappés à coups d’épée. On ne fait pas de distinction entre hommes et femmes, enfants et vieillards.
Aux exécutions ciblées de capitaines huguenots, succède un déferlement de violence. La milice parisienne, composée de bourgeois, laisse libre cours à sa haine des protestants. Dans un premier temps, le roi déclare qu’il n’est en rien responsable des événements, mais le 26 août il finit par se présenter comme celui qui décide de mettre à mort des rebelles qui préparaient un complot contre sa personne.
Les massacres parisiens font environ 3 000 victimes. Une douzaine de villes suivent l’exemple de la capitale (Orléans, Lyon, Rouen, Bordeaux, Toulouse…). Au total, environ 10 000 personnes sont assassinées. Des dizaines de milliers de protestants se convertissent, d’autres s’exilent.
Un théâtre tragique
À partir des années 1560 se développe en France le sentiment que le royaume a sombré dans le temps du chaos. L’obéissance au roi est oubliée ; les familles se déchirent ; l’Église est méprisée. Ce sentiment tragique s’exprime par les images de massacres qui sont nombreuses dans les années 1560. Les « massacres du Triumvirat » qui sont en vogue à cette époque représentent les violences commises par les triumvirs romains qui ont mis fin à la République, la plus célèbre version de ces événements étant celle réalisée par Antoine Caron qui est aujourd’hui conservée au Louvre.
Une série de gravures est produite à Genève dans les années 1569-1570, à partir de dessins réalisés par deux artistes lyonnais réfugiés dans la cité, Jean Perrissin et Jacques Tortorel, qui donne à voir les principaux événements qui se sont déroulés en France depuis 1559. Massacres et batailles y tiennent une place prépondérante.
À l’époque de la Ligue, entre 1585 et le milieu des années 1590, les estampes sont publiées en grand nombre pour dénoncer les méfaits des hérétiques protestants et les vices d’Henri III, puis pour mobiliser les catholiques contre Henri IV. Les royalistes, de leur côté, multiplient les portraits du nouveau roi pour justifier son avènement.
Il ne faut pas sous-estimer l’impact de ces images et leur force mobilisatrice.
BENEDICT Philip, Le regard saisit l’histoire : les guerres, massacres et troubles de Tortorel et Perrissin, Genève, Droz, coll. « Titre courant » (no 47), 2012.
CROUZET Denis, La nuit de la Saint-Barthélemy : un rêve perdu de la Renaissance, Paris, Fayard, coll. « Chroniques », 1994.
GRIVEL Marianne, Le commerce de l’estampe à Paris au XVIIe siècle, Genève, Droz, coll. « Histoire et civilisation du livre » (no 16), 1986.
JOUANNA Arlette, La Saint-Barthélemy : les mystères d’un crime d’État (24 août 1572), Paris, Gallimard, coll. « Les journées qui ont fait la France », 2007.
LE ROUX Nicolas, Les guerres de Religion (1559-1629), Paris, Belin, coll. « Histoire de France », 2009.
Nicolas LE ROUX, « La Saint-Barthélemy (24 août 1572) », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 21/11/2024. URL : https://histoire-image.org/etudes/saint-barthelemy-24-aout-1572
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