L'Interrogatoire du prisonnier
Auteur : VUILLARD Édouard
Lieu de conservation : La Contemporaine (BDIC, Nanterre)
site web
Date de création : 1917
Date représentée : 1917
Huile sur toile.
Domaine : Peintures
© Collections La Contemporaine
L'interrogatoire du prisonnier
Date de publication : Juillet 2006
Auteur : Alexandre SUMPF
La guerre : une réalité quotidienne
Quand la Première Guerre mondiale débute au milieu de l’été 1914, les belligérants s’accordent à penser qu’elle ne durera que quelques semaines. Or c’est un conflit inédit qui, pendant plus de quatre ans, implique des millions de combattants mais aussi des civils soumis aux impératifs de l’effort de guerre (industriel et financier) et à la gestion des pénuries. Les grandes offensives de l’année 1916 (Verdun, la Somme), menées de part et d’autre pour rompre l’immobilisme de la guerre de position, sont des échecs durement ressentis, malgré l’intense propagande mise en place par les Etats en guerre. En France, le Chemin des Dames, la plus meurtrière de toutes les offensives, est encore à venir lorsqu’Edouard Vuillard sollicite de l’Etat Major français l’autorisation de se rendre au front, à Gérardmer dans les Vosges. De son séjour de février 1917, ce peintre de l’intime, spécialiste des intérieurs bourgeois et des natures mortes, rapporte de nombreuses esquisses et tire une de ses œuvres les plus troublantes, L’interrogatoire du prisonnier.
Une scène hors des combats
A cet endroit et à ce moment du conflit, sans grandes batailles, on peut supposer que le soldat allemand, amené par les deux chasseurs alpins pour être interrogé, a été fait prisonnier lors d’une escarmouche. Cette scène, atypique par son sujet, présente une composition centrée autour du personnage du prisonnier, figure hiératique perdue au milieu de la pièce, tout comme le poêle qui lui fait pendant. Tous deux de guingois, ces éléments se fondent dans les tons gris et bleus d’une pièce anonyme dont on perçoit nettement le caractère glacial. La verticalité nue des éléments au centre de l’image, renforcée par l’arrière-plan où le regard peine à s’accrocher, s’oppose brutalement à l’horizontalité du banc et de la table, au contraire surchargés. Le regard vide de l’Allemand, les objets difficiles à discerner disposés sur le banc, les visages presque effacés des soldats de garde, contrastent également avec la netteté des galons de l’officier français et la carte disposée devant lui, au premier plan. Le tableau symbolise ainsi la véritable frontière qui sépare, plus encore que des ennemis, soldats du rang et officiers.
La violence intime de la guerre totale
Né en 1868, Edouard Vuillard est trop âgé pour être incorporé en 1914. Au cours de l’année 1917, il prend pour la première fois intérêt à la guerre dans son œuvre. Il se rend à Gérardmer et peint la même année, une série de toiles pour Lazare Lévi, qui représentent son usine de munitions à Oullins. Le voyage dans les Vosges n’a permis à Vuillard que de peindre des bureaux militaires, quelques vues de Gérardmer et un abri sous la neige. En revanche, la scène de l’interrogatoire du prisonnier présentée ici, même éloignée des combats, suinte la violence : l’ombre du prisonnier qui se heurte à la porte infranchissable et le crochet qui pend du plafond soulignent la détermination de l’officier à obtenir des renseignements sur les forces ennemies pour préparer, qui sait, une nouvelle offensive. L’impuissance du prisonnier face à la machine militaire semble indiquer que ce dernier est le jouet des événements – ce qui a amené certains critiques de l’époque à considérer l’œuvre de Vuillard comme antimilitariste. C’est plus probablement la violence et la brutalité sous-jacentes de cette scène intimiste que le public a eu du mal à supporter.
Pierre VALLAUD, 14-18, la Première Guerre mondiale, tomes I et II, Paris, Fayard, 2004.
Jean-Jacques BECKER et Serge BERSTEIN, Victoires et frustrationsParis, Seuil, 1990.
Antoine SALOMON et Guy COGEVAL, Vuillard.Le regard innombrableCatalogue critique des peintures et pastels, vol.III, Paris, Skira, 2003.
Alexandre SUMPF, « L'interrogatoire du prisonnier », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 14/12/2024. URL : https://histoire-image.org/etudes/interrogatoire-prisonnier
Lien à été copié
Découvrez nos études
L’hôtel des Invalides
Voulue par Louis XIV, l’édification de l’hôtel des Invalides au sud-ouest de Paris est…
Le Traité de Versailles
La signature du traité de paix de Versailles intervient quelques mois après l’armistice du 11 novembre 1918. Mais l’armistice ne signifie pas la…
" J'accuse... ! " de Zola
En mars 1896, Picquart, le nouveau chef des Services de renseignements de l’état-major, découvrit l’…
Commune : le peuple en arme
La Commune n’a pas disposé d’armée au sens strict. Ses rangs étaient composés d’une part de gardes…
Le passage du Rhin par Louis XIV
Le 6 avril 1672, Louis XIV déclare la guerre aux Provinces-Unies (Pays-Bas du Nord) afin d’abaisser l’outrageuse…
La conscription au XIXe siècle
Pendant la majeure partie du XIXe siècle, la conscription, ou obligation pour tous les garçons de servir sous les drapeaux, n’a jamais…
La Bataille d'Isly
Malgré le traité de la Tafna signé en 1837, qui reconnaissait l’autorité d’Abd el-Kader sur l’Algérie, celui-ci n’avait de cesse de vouloir en…
Le bal de la liberté
Après le débarquement du 6 juin 1944, les troupes alliées progressent dans le Cotentin. À la tête de plusieurs…
L'interrogatoire du prisonnier
Quand la Première Guerre mondiale débute au milieu de l’été 1914, les belligérants s’accordent à penser qu’…
Cubisme et camouflage
La guerre de 1914-1918 ne fut pas la guerre éclair tant attendue. Elle s’enlisa rapidement et, avec la mise en place des…
lecteur
Est-il autorisé par la loi de distribuer ce texte à une classe de 3ème ?
matlecyberboss
merci des infos j'ai une épreuve d'histoire des arts dessus et je ne trouvais rien...jusqu'à maintenant^^
Histoire-image
En réponse à lecteur il n'est pas permis de distribuer le texte dans une classe en revanche la consultation du site dans un cadre pédagogique est autorisée.
Pour en savoir plus :
http://www.histoire-image.org/site/static/mentions-legales.php#propriete_intellectuelle
Muriel Revenu || proposition
Bonjour et merci de votre analyse.
A propos du crochet dont vous parlez ,j'ai l'impression que c'est plutôt une corde avec noeud coulant.
Ajouter un commentaire
Mentions d’information prioritaires RGPD
Vos données sont sont destinées à la RmnGP, qui en est le responsable de traitement. Elles sont recueillies pour traiter votre demande. Les données obligatoires vous sont signalées sur le formulaire par astérisque. L’accès aux données est strictement limité aux collaborateurs de la RmnGP en charge du traitement de votre demande. Conformément au Règlement européen n°2016/679/UE du 27 avril 2016 sur la protection des données personnelles et à la loi « informatique et libertés » du 6 janvier 1978 modifiée, vous bénéficiez d’un droit d’accès, de rectification, d’effacement, de portabilité et de limitation du traitement des donnés vous concernant ainsi que du droit de communiquer des directives sur le sort de vos données après votre mort. Vous avez également la possibilité de vous opposer au traitement des données vous concernant. Vous pouvez, exercer vos droits en contactant notre Délégué à la protection des données (DPO) au moyen de notre formulaire en ligne ( https://www.grandpalais.fr/fr/form/rgpd) ou par e-mail à l’adresse suivante : dpo@rmngp.fr. Pour en savoir plus, nous vous invitons à consulter notre politique de protection des données disponible ici en copiant et en collant ce lien : https://www.grandpalais.fr/fr/politique-de-protection-des-donnees-caractere-personnel