Aux Éparges, soldats enterrant leurs camarades au clair de lune. Avril 1915.
Auteur : LEROUX Georges Paul
Lieu de conservation : musée national du château de Versailles (Versailles)
site web
Date de création : 1939
Date représentée : Avril 1915
H. : 183 cm
L. : 262 cm
Huile sur toile
Domaine : Peintures
© GrandPalaisRmn (Château de Versailles) / Gérard Blot
MV 6304 - 94-051893
Aux Eparges, avril 1915
Date de publication : Août 2005
Auteur : Jérémie BENOÎT
La guerre de positions, qui succéda rapidement à la guerre de mouvements de l’été et de l’automne 1914, fit perdre tout espoir de gloire. Le soldat, l’homme, comme allait le déplorer plus tard Drieu la Rochelle, devait combattre couché, englué dans la boue des tranchées, parmi les cadavres, les rats, la vermine. Tel fut le cas des batailles de Verdun et de la Somme en 1916, et avant elles celle des Éparges. L’éperon des Éparges, dominant la plaine de la Woëvre (Meuse), fut le centre d’une guerre de mines meurtrière destinée à prendre cette position d’où il était possible de surveiller et de pilonner la plaine. Il devait devenir l’un des hauts lieux du sacrifice de l’infanterie française.
Exposé en 1939, au moment où la guerre recommençait avec l’Allemagne, le tableau de Leroux participe de l’ambiance pacifiste de l’époque, si sensible dans le cinéma (Prévert, Renoir, Carné) et dans la chanson populaire (Fréhel, Marie Dubas).
Dans une terre jonchée de débris et hérissée de croix de bois, deux soldats coiffés du casque Adrian s’occupent du cadavre d’un de leurs camarades. L’un d’eux lit ses papiers afin de l’identifier et d’écrire à sa famille, tandis que plus haut, sur le talus, deux autres hommes creusent une tombe. La toile témoigne ainsi de la solidarité des combattants, du souci manifesté par les « copains » de donner une sépulture à ce mort, de maintenir des rites sociaux malgré les circonstances. Pas de personnalisation toutefois, aucun visage n’est vraiment visible, sauf celui du mort, dont les yeux sont estompés dans l’image. Ce sont des ombres qui agissent, des masses qui ne font qu’un avec la terre. Ni déchiqueté, ni défiguré, le cadavre n’a rien qui inspire l’horreur, et c’est précisément ce réalisme calme qui fait la force expressive de ce tableau.
Cette œuvre vaut par comparaison avec les peintures de batailles des siècles classiques. Le renversement est total. Bien qu’il illustre une guerre qui se solda par une victoire, Leroux ne représente ni généraux victorieux, ni héros, ni une bataille, ni même un combat. Il montre simplement l’existence des poilus, beaucoup plus marqué qu’il est par la vie quotidienne dans les positions, où l’on se contentait de courber le dos sous les obus, sans guère d’espoir de survivre. Il fallait tenir, rien d’autre. La représentation de la guerre est devenue avec lui pure anecdote. Le soldat est anonyme, il est interchangeable. Mort, on l’enterre et l’on attend son tour. Plus de gloire, mais la mort qui rôde. La mort seule symbolise la guerre. Celle-ci est devenue absurde. Elle n’a même plus de raison d’être. La peinture militaire s’achève avec Leroux dans le vide total. On ne saurait même pas dire si Leroux condamne la guerre. Il n’y a plus de sujet, plus de visages. Tout est neutre et anonyme dans son tableau, en une sorte d’allégorie de l’attente de la mort. Nous sommes bien loin pourtant avec cette œuvre des gravures de l’Allemand Otto Dix (1891-1969), indescriptibles d’horreur. Inspiré par les gravures que Goya (1746-1828) consacra à la guerre d’Espagne sous Napoléon, Dix montra des visages fracassés, des corps démantelés, des cadavres putréfiés, des soldats devenus fous. Mais ce n’était plus vraiment la guerre qui faisait son sujet. Expressionniste, Dix montrait tout simplement l’absurdité de l’homme, cette absurdité qui fait le fond de la pensée du XXe siècle, et les blessures de la guerre n’étaient pour lui que prétexte à représenter cette absurdité. Leroux, lui, demeure un réaliste. Mais c’est précisément cette réalité qui provoque l’horreur.
Luc CAPDEVILA et Danièle VOLDMAN, Nos morts.Les sociétés occidentales face aux tués de la guerre, Paris, Payot, 2002.Thierry HARDIER et Jean-François JAGIELSKI, Combattre et mourir pendant la Grande Guerre (1914-1925), Paris, Imago, 2001.Pierre VALLAUD, 14-18, la Première Guerre mondiale, tomes I et II, Paris, Fayard, 2004.
Jérémie BENOÎT, « Aux Eparges, avril 1915 », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 29/10/2024. URL : https://histoire-image.org/etudes/eparges-avril-1915
Lien à été copié
Découvrez nos études
Les Bretons dans la guerre de 1914-1918
Le nombre des Bretons tués au cours de la Grande Guerre est estimé à 130 000, ce qui représente un pourcentage de…
Une utilité pour l’aviation ? Usages guerriers de l’aéronautique
L’avion comme nouvel objet technique n’a, à ses débuts, aucune utilité préétablie. Non seulement il ne remplace pas réellement une fonction…
Création de la Légion d'honneur
Les distinctions avaient été supprimées en 1791. Une fois au pouvoir, Bonaparte décida de créer un ordre national pour récompenser le mérite civil…
Guerres navales révolutionnaires
Le 13 prairial an II (1er juin 1794), l’escadre de Brest aux ordres de l’amiral Villaret de Joyeuse parvint à assurer le passage d’un convoi de…
Les commandos Kieffer
Cette photographie, réalisée entre juin 1943 et juin 1944, représente quelques membres…
Prise de la smalah d'Abd-el-Kader
L’émir Abd el-Kader avait été l’âme de la résistance à la colonisation française de l’Algérie, dont la conquête avait été entreprise en 1830. D’…
La mobilisation des dreyfusards
L’arrestation et la condamnation d’un officier juif français, Alfred Dreyfus, en décembre 1894, suite à la…
Le prince de Condé
Le 19 mai 1643, le jeune Louis II de Bourbon, duc d’Enghien, fils aîné du prince de Condé et cousin du roi de France,…
Les Stukas, une arme nouvelle aux mains des nazis
Dès l’arrivée d’Adolf Hitler au pouvoir le 30 janvier 1933, le réarmement de l’Allemagne est engagé. La constitution d’…
La guerre de Vendée vue par la IIIe République
La chouannerie, opposition armée des paysans de l’Ouest de la France aux assemblées révolutionnaires, est un thème de prédilection…
Ajouter un commentaire
Mentions d’information prioritaires RGPD
Vos données sont sont destinées à la RmnGP, qui en est le responsable de traitement. Elles sont recueillies pour traiter votre demande. Les données obligatoires vous sont signalées sur le formulaire par astérisque. L’accès aux données est strictement limité aux collaborateurs de la RmnGP en charge du traitement de votre demande. Conformément au Règlement européen n°2016/679/UE du 27 avril 2016 sur la protection des données personnelles et à la loi « informatique et libertés » du 6 janvier 1978 modifiée, vous bénéficiez d’un droit d’accès, de rectification, d’effacement, de portabilité et de limitation du traitement des donnés vous concernant ainsi que du droit de communiquer des directives sur le sort de vos données après votre mort. Vous avez également la possibilité de vous opposer au traitement des données vous concernant. Vous pouvez, exercer vos droits en contactant notre Délégué à la protection des données (DPO) au moyen de notre formulaire en ligne ( https://www.grandpalais.fr/fr/form/rgpd) ou par e-mail à l’adresse suivante : dpo@rmngp.fr. Pour en savoir plus, nous vous invitons à consulter notre politique de protection des données disponible ici en copiant et en collant ce lien : https://www.grandpalais.fr/fr/politique-de-protection-des-donnees-caractere-personnel