Aller au contenu principal
Portrait de Léonce Bénédite.

Portrait de Léonce Bénédite.

Lieu de conservation : musée d’Orsay (Paris)
site web

Date de création : 1923

Date représentée : 1923

H. : 117 cm

L. : 90 cm

Huile sur toile

Domaine : Peintures

© Photo RMN - Grand Palais - H. Lewandowski

http://www.photo.rmn.fr

90-001251 / RF1977-33

Les achats aux artistes vivants sous la IIIe République

Date de publication : Octobre 2005

Auteur : Philippe SAUNIER

Splendeurs et misères d’une administration

Lorsqu’il prend les rênes du musée parisien du Luxembourg en 1892, Léonce Bénédite (1859-1925) hérite d’une institution créée en 1818 dont la vocation est d’acquérir les œuvres les plus importantes des artistes contemporains. Mission délicate, puisqu’il s’agit de valoriser l’art français dans un contexte de concurrence accrue entre les nations (créations de la Neue Pinakothek de Munich en 1853, de la Tate Gallery de Londres en 1897). Elle suppose des choix d’autant plus difficiles qu’il lui manque ce recul qui permet de sanctionner, au-delà de la mode, la valeur des artistes vivants, que le nombre d’œuvres exposées croît chaque année, et que les changements esthétiques s’accélèrent. Elle suppose enfin des crédits. Or, l’institution n’a pas les moyens de sa politique. Elle compte à peine 400 tableaux quand Bénédite arrive à la tête du musée, mais c’est plus qu’elle ne peut en abriter. En 1886, le Sénat, installé au palais du Luxembourg, remise le musée dans l’orangerie où il se trouve à l’étroit. Bénédite n’aura de cesse de réclamer (en vain) des locaux dignes de l’antichambre du musée du Louvre.
Jusqu’en 1890, les acquisitions onéreuses se font parmi les œuvres qui sont exposées au Salon. Manifestation prestigieuse, reconnue par la grande majorité des artistes, il était normal d’y puiser.
A part les premières années du régime où l’on soutint la peinture d’histoire et la peinture religieuse, la République, affermie, s’interdira, au nom de la liberté de l’art, de privilégier tel ou tel courant. Mais les crédits sont si maigres qu’elle propose des prix d’achat très bas : la qualité s’en ressent. A peine le dixième des acquisitions (le « premier choix ») gagne le Luxembourg. La politique de la IIIe République en faveur de l’art moderne eût été clarifiée si une part de ses crédits d’acquisition n’avait été détournée de sa vocation première pour satisfaire des demandes (artistes en difficulté, interventions parlementaires en faveur de tel ou tel artiste, etc.). Situation brocardée par Degas proposant de réunir les budgets des Beaux-Arts et de l’Assistance publique...

Un directorat volontaire

La nomination de Bénédite au Luxembourg était légitime. Informé de l’actualité de l’art, il collaborait à des revues artistiques, connaissait de nombreux artistes et, depuis 1886, il secondait Etienne Arago, son prédécesseur. Son action fut aussi volontaire qu’il était possible. Il s’efforça de refléter la diversité des tendances esthétiques. Il fit des achats en dehors du circuit des Salons : le musée acquit directement auprès des artistes des œuvres majeures comme les Jeunes filles au piano de Renoir ou le fameux portrait de sa mère par Whistler, pour lequel l’artiste consentit un rabais. Il constitua un fonds d’œuvres graphiques, acheta des œuvres symbolistes (elles étaient loin d’avoir alors la faveur du grand public), et il parvint à créer en 1896 une substantielle section de peinture étrangère (transférée en 1922 au Jeu de Paume). Il comprit vite qu’outre les rabais que les artistes étaient souvent prêts à accorder, il faudrait compter avec la générosité des collectionneurs. Il négocia avec les héritiers de Caillebotte le legs de son importante collection d’œuvres impressionnistes (1894), obtint d’Edmund Davis le don d’une belle collection d’œuvres anglaises (1912) et négocia la donation Frank Brangwyn (1913). Il soutint la proposition de Rodin de donner à l’État ses collections. En 1917, il fut le premier conservateur du musée Rodin.

Un goût retardataire

On a reproché à Bénédite – et à l’administration – d’avoir superbement ignoré quelques-uns des peintres les plus importants de son temps (Seurat, Rousseau, les cubistes). De fait, le portrait officiel d’Amélie Beaury-Saurel montre un homme dans toute la dignité de sa fonction, décoré de la Légion d’honneur, arrivé au terme d’un long directorat, peut-être trop âgé pour adhérer aux mouvements novateurs. Tout dans cette œuvre désigne le fonctionnaire consciencieux, mais rien ne signale l’amateur d’art que l’on serait en droit d’espérer à ce poste. Le principe même d’un portrait officiel trahit un passéisme certain. En l’espèce, le recours à Amélie Beaury-Saurel, née en 1848 et s’inscrivant dans la plus pure tradition académique, ne constituait pas un encouragement pour les artistes modernes. Sans doute Bénédite jugeait-il plus prudent d’attendre que l’Histoire confirmât l’importance des œuvres d’avant-garde, au risque de ne plus pouvoir en acheter quand les prix auraient grimpé. Mais Bénédite ne fut nullement le bras armé d’une politique prétendument asservie à l’Académie des beaux-arts et fermée à toute nouveauté. La vérité est plus simple : dès les années 1880, l’État avait renoncé à diriger les artistes, préférant leur laisser la liberté de créer. C’est dans le contexte ingrat d’une administration peu encline à soutenir énergiquement l’art moderne qu’il parvint à imposer certains choix courageux. Le principe même de l’intervention de l’État dans les arts était de plus en plus discuté : en 1928, Charles Pomaret écrira que « l’État français ne peut plus, hélas, se payer le luxe d’être un mécène », et il en appellera à l’initiative privée. Louis Hautecœur s’inscrira en faux contre cette attitude et rejettera la vocation anthologique de ses prédécesseurs. Le musée des artistes vivants devra être avant tout un musée d’art moderne, un « laboratoire d’essai ». Ce n’est qu’en 1937, sous le gouvernement de Front populaire, qu’ouvrira enfin un musée national d’art moderne digne de ce nom.

Pierre VAISSE, « L’impressionnisme au musée : l’affaire Caillebotte », in L’Histoire, n° 158, 1992, p.6-14.Pierre VAISSE, La Troisième République et les peintres, Paris, Flammarion, 1995.

Philippe SAUNIER, « Les achats aux artistes vivants sous la IIIe République », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 21/11/2024. URL : https://histoire-image.org/etudes/achats-artistes-vivants-iiie-republique

Ajouter un commentaire

HTML restreint

  • Balises HTML autorisées : <a href hreflang> <em> <strong> <cite> <blockquote cite> <code> <ul type> <ol start type> <li> <dl> <dt> <dd> <h2 id> <h3 id> <h4 id> <h5 id> <h6 id>
  • Les lignes et les paragraphes vont à la ligne automatiquement.
  • Les adresses de pages web et les adresses courriel se transforment en liens automatiquement.
CAPTCHA
Cette question sert à vérifier si vous êtes un visiteur humain ou non afin d'éviter les soumissions de pourriel (spam) automatisées.

Mentions d’information prioritaires RGPD

Vos données sont sont destinées à la RmnGP, qui en est le responsable de traitement. Elles sont recueillies pour traiter votre demande. Les données obligatoires vous sont signalées sur le formulaire par astérisque. L’accès aux données est strictement limité aux collaborateurs de la RmnGP en charge du traitement de votre demande. Conformément au Règlement européen n°2016/679/UE du 27 avril 2016 sur la protection des données personnelles et à la loi « informatique et libertés » du 6 janvier 1978 modifiée, vous bénéficiez d’un droit d’accès, de rectification, d’effacement, de portabilité et de limitation du traitement des donnés vous concernant ainsi que du droit de communiquer des directives sur le sort de vos données après votre mort. Vous avez également la possibilité de vous opposer au traitement des données vous concernant. Vous pouvez, exercer vos droits en contactant notre Délégué à la protection des données (DPO) au moyen de notre formulaire en ligne ( https://www.grandpalais.fr/fr/form/rgpd) ou par e-mail à l’adresse suivante : dpo@rmngp.fr. Pour en savoir plus, nous vous invitons à consulter notre politique de protection des données disponible ici en copiant et en collant ce lien : https://www.grandpalais.fr/fr/politique-de-protection-des-donnees-caractere-personnel

Partager sur

Découvrez nos études

Exposer l’autre : la muséographie des objets non occidentaux au tournant du XX<sup>e</sup> siècle

Exposer l’autre : la muséographie des objets non occidentaux au tournant du XXe siècle

Le discours muséographique colonial

Avec l’exploration et la colonisation des pays non occidentaux se développent les expositions d’objets…

Alexandre Lenoir, le grand défenseur du patrimoine

Alexandre Lenoir, le grand défenseur du patrimoine

Formé à la peinture, Lenoir (1762-1839) fut surtout amateur d’art. Lors de la Révolution il chercha avec passion à protéger les monuments royaux du…
Exotisme et érotisme à la Belle Époque : Mata-Hari au Musée Guimet

Exotisme et érotisme à la Belle Époque : Mata-Hari au Musée Guimet

La photographie et l'engouement pour les cultures orientales

Le goût pour l'exotisme, notamment pour l'Orient, est l'héritage de l'époque…

Exotisme et érotisme à la Belle Époque : Mata-Hari au Musée Guimet
Exotisme et érotisme à la Belle Époque : Mata-Hari au Musée Guimet
Exotisme et érotisme à la Belle Époque : Mata-Hari au Musée Guimet
Exotisme et érotisme à la Belle Époque : Mata-Hari au Musée Guimet
Présence des chevaux de Venise à Paris, de 1798 à 1815

Présence des chevaux de Venise à Paris, de 1798 à 1815

L'antique, modèle de génie

Les figures antiques doivent servir de règle et de modèle, énonçait le Dictionnaire portatif (1757) d'Antoine-Joseph…

Présence des chevaux de Venise à Paris, de 1798 à 1815
Présence des chevaux de Venise à Paris, de 1798 à 1815
Présence des chevaux de Venise à Paris, de 1798 à 1815
Présence des chevaux de Venise à Paris, de 1798 à 1815
L'Exposition coloniale et son musée

L'Exposition coloniale et son musée

L’exposition coloniale et son musée

L’exposition coloniale de 1931 se situe à la fois dans la lignée des expositions universelles de la seconde…

L'Exposition coloniale et son musée
L'Exposition coloniale et son musée
L'Exposition coloniale et son musée
L'Exposition coloniale et son musée
Le musée des Monuments français d’Alexandre Lenoir

Le musée des Monuments français d’Alexandre Lenoir

Lenoir, créateur du musée des Monuments français

Pendant la Révolution, la Constituante décida de mettre les biens du clergé à la disposition de…

Le musée des Monuments français d’Alexandre Lenoir
Le musée des Monuments français d’Alexandre Lenoir
Le musée des Monuments français d’Alexandre Lenoir
Le Trésor des conquêtes impériales

Le Trésor des conquêtes impériales

9 thermidor an VI : « fête de la Liberté et des Arts »

Ouvert en 1793 par la Convention, le Muséum central des arts installé au Louvre présentait…

Le Trésor des conquêtes impériales
Le Trésor des conquêtes impériales
Le Trésor des conquêtes impériales
Un Décor public sous la III<sup>e</sup> République

Un Décor public sous la IIIe République

Un climat de confiance

Après le départ du maréchal-président Mac-Mahon en 1879 (marquant la fin de la République des Ducs), la IIIe

La Salle des Croisades de Versailles

La Salle des Croisades de Versailles

L’« invention » du Moyen Âge à l’époque romantique

La découverte et l’étude du Moyen Âge, commencées au XVIIIe siècle, s’amplifient au…

Lucien Bonaparte, un collectionneur mercantile

Lucien Bonaparte, un collectionneur mercantile

Dès la Renaissance, artistes et savants redécouvrent les civilisations de l’Antiquité et se passionnent pour l’architecture et la sculpture…