Les Actions du Grand Condé, Blocus de Paris 1649
Auteur : LE CONTE Sauveur
Lieu de conservation : musée Condé (Chantilly)
site web
Date de création : 1686-1694
Date représentée : 1649
H. : 180 cm
L. : 308 cm
Scène secondaires : Combat de Vitry, attaque de Charenton et combat de Brie-Comte-Robert.
Domaine : Peintures
© GrandPalaisRmn (Domaine de Chantilly) / René-Gabriel Ojeda
PE 360 - 06-512415
Le blocus de Paris en 1649
Date de publication : Janvier 2018
Auteur : Jean HUBAC
Peindre la guerre civile sur fond de gloire militaire condéenne
À la fin de sa vie, Louis II de Bourbon, prince de Condé et premier prince du sang, fait aménager une galerie au château de Chantilly, dans laquelle il souhaite que soient représentées les actions mémorables de sa glorieuse carrière militaire. Sa mort en 1686 n’interrompt pas le projet de mise en scène de son génie militaire, repris et achevé par son fils Henri-Jules. Comme bon nombre de ses contemporaines, cette galerie est destinée à une contemplation privée et à une ouverture à des invités triés sur le volet. Œuvre de Jules Hardouin-Mansart, elle alterne tableaux et miroirs et forme un exemple unique de programme peint et cohérent autour de la thématique militaire. L’auteur des peintures, Sauveur Le Conte, est un ancien élève puis collaborateur de Van der Meulen à la Manufacture royale des Gobelins. Il se spécialise, à l’instar de son maître, dans la peinture de bataille, mais disparaît précocement en 1694, à l’âge de 35 ans. Il semble que le prince de Condé et son fils aient d’abord songé à confier les peintures de la galerie à Van der Meulen, qui les a orientés vers son collaborateur. La commande concerne une série de onze panneaux retraçant les grandes actions militaires du Grand Condé, depuis le siège d’Arras en 1640 jusqu’à la campagne d’Alsace en 1675. Finalement, Sauveur Le Conte livra le premier panneau en 1687-1688 et en réalisa dix, au prix de 1200 livres pièce.
Le panneau du blocus de Paris est organisé selon la même logique que tous les autres : unité d’action (une seule campagne militaire par panneau) avec un événement majeur mis en valeur dans un grand format surmonté d’une draperie fleurdelysée et des actions secondaires dans des médaillons périphériques – des cartouches viennent préciser le nom des scènes représentées. Les combats sont relégués à l’arrière-plan, selon une topographie respectueuse des lieux et un ordre de bataille fidèle, tandis que le Grand Condé apparaît au premier plan parmi ses hommes. Sauveur Le Conte s’est inspiré de dessins gravés pour représenter les batailles de cette « galerie-mémorial » (M. Deldicque).
La scène du blocus de Paris s’inscrit dans l’histoire trouble de la Fronde. Après la fuite de Paris du jeune roi (il a dix ans) et de la famille royale dans la nuit du 5 au 6 janvier 1649, afin d’échapper à la Fronde parlementaire, la capitale du royaume de France est en état de siège. Dès le 8 janvier, le blocus de la ville est entrepris et a pour effet de raidir les positions des frondeurs, qui réservent leurs foudres au cardinal Mazarin, mauvais objet de tous les mécontentements. Les grands nobles sont divisés, certains ayant rallié la Fronde, tels le prince de Conti et la duchesse de Longueville, frère et sœur du prince de Condé, ou le duc de Beaufort. D’autres, le prince de Condé en tête, ont choisi de rester fidèles au roi, escomptant ainsi défendre leur propre intérêt. Louis II de Bourbon, premier prince du sang, prend la direction de l’armée royale qui met le siège devant Paris. Le 8 février, avec le duc d’Orléans, il réussit à prendre Charenton, fermant ainsi la route reliant la capitale à la Brie pourvoyeuse en céréales (c’est l’objet de la scène secondaire centrale du panneau). L’objectif est d’affamer les Parisiens pour les ramener à l’obéissance. Les troupes se livrent à des pillages dans la campagne parisienne, provoquant à la fois l’indignation et la disette. Le froid particulièrement vif et la crue exceptionnelle de la Seine jouent la partition du roi contre les Parisiens et accentuent les effets du blocus. Les négociations sont entamées dès le 25 février et les pourparlers aboutissent les 10-12 mars à la signature de la paix de Rueil et à la levée du blocus, les parlementaires parisiens rebelles ayant craint les dérives émeutières du peuple de la capitale. Le 18 août enfin, Louis XIV fait une entrée triomphale dans Paris, semblant sceller la réconciliation pleine et entière du roi et de ses sujets.
L’armée royale à l’assaut de sa capitale
Situé en surplomb de la rive gauche de la Seine, le spectateur embrasse du regard une grande partie du bassin parisien, avec la Seine (ses méandres sont complétés par son affluent la Marne) en personnage principal. Paris s’étend dans le lointain au centre de la composition – on reconnaît la cathédrale Notre-Dame sur l’île de la Cité –, et le réseau de collines et de villages qui l’entourent est bien visible. Tout à fait à l’arrière-plan, sur la rive concave du méandre formé par la Seine, se dresse Saint-Denis. Au pied de la colline sur laquelle la cavalerie du prince de Condé se déploie sous le regard démonstratif d’un groupe de fantassins, plusieurs villages sont soumis au pillage (le rougeoiement de l’incendie est nettement perceptible). La riche campagne parisienne est ainsi la proie des exactions de l’armée royale. Au premier plan gauche, une femme tend quelque chose à un cavalier, probablement de la nourriture pour approvisionner les soldats, manière d’opposer le ravitaillement dont bénéficie l’armée royale (à gauche) à la disette dont souffrent les Parisiens assiégés.
Trois actions secondaires flanquent la scène principale. À droite, le « combat de Brie Comte Robert », village situé au sud-est de Paris, représente une charge de cavalerie sous le commandement d’un officier vêtu de rouge. À gauche, le « combat de Vitry » met également en scène un combat de cavalerie, tandis qu’au centre, outre la cavalerie, c’est l’artillerie qui est mise à l’honneur dans l’« attaque de Charenton ». Une canonnade prend effectivement pour cible Charenton, identifiable à sa fonction minotière par son moulin à vent. La prise de ce village-clé à la confluence de la Marne et de la Seine permit à l’armée royale de resserrer l’étau de la famine sur Paris.
À travers ces quatre scènes, Sauveur Le Conte donne donc à voir certaines réalités de la guerre au milieu du XVIIe siècle : offensives localisées fondées sur le mouvement permis par les charges de cavalerie, rôle de l’artillerie, stratégie de la terre brûlée pour affamer l’adversaire, importance du ravitaillement et des voies de communication dans la menée des opérations militaires.
Réhabiliter le Grand Condé
Le panneau est aussi intéressant pour ce qu’il dit de la guerre civile qui déchira le royaume durant la Fronde que pour ce qu’il ne dit pas de la posture postérieure du prince de Condé. En effet, prestigieux général ayant déjà évité à la monarchie une invasion espagnole en 1643 (Rocroi) et en 1648 (Lens), Louis de Bourbon ressort auréolé d’une nouvelle couronne de sauveur après le siège de Paris. Son attitude se fait plus revendicative et plus provocatrice à l’encontre du cardinal Mazarin : il se rend difficile à circonvenir et réclame l’épée de connétable, grand office sans titulaire depuis 1626, mais n’obtient que le commandement de l’armée des Pays-Bas, qui l’éloigne stratégiquement de Paris et du roi… Finalement, en janvier 1650, Mazarin fait arrêter le prince de Condé, achevant de faire basculer ce dernier dans le camp de la Fronde des princes puis dans celui de l’Espagne, depuis sa libération en février 1651 jusqu’à la paix des Pyrénées en 1659. Désormais, le prince de Condé n’aura de cesse de combattre le cardinal, au nom prétendu du « bien public », selon une rhétorique bien rodée qui ne cachait que difficilement la réalité de la prise d’armes contre les plus proches serviteurs du roi (Mazarin en l’occurrence), voire contre le roi devenu majeur en septembre 1651. À la fin de la Fronde, le prince de Condé prend le chemin de l’étranger et se met au service du roi Philippe IV d’Espagne, en guerre contre Louis XIV. Le traité des Pyrénées en 1659 permet son retour en France et sa réhabilitation partielle auprès de son cousin. Soumis, il met son épée victorieuse au service du roi pendant les guerres de Dévolution (1667-1668) et de Hollande (1672 à 1675, année de sa « retraite »). Le temps du « devoir de révolte » est passé, au bénéfice du service et de la gloire du roi.
Dans son domaine de Chantilly, le Grand Condé entreprend un programme de retour en grâce et d’exaltation de son génie militaire jusqu’à sa mort en 1686. La réalisation ultérieure à cette date des panneaux par Sauveur Le Conte, sous la commande d’Henri-Jules, fils du Grand Condé, entre 1687 et 1694, prend place dans cette perspective de justification a posteriori qui efface les épisodes difficilement défendables de la prise d’armes frondeuse au profit des événements soulignant le loyalisme du prince avant 1650 et après 1659. L’art et le pouvoir sont également une affaire de famille et de prestige dynastique.
Katia BEGUIN, Les Princes de Condé. Rebelles, courtisans et mécènes dans la France du Grand Siècle, Champ Vallon, Seyssel, 1999.
Simone BERTIERE, Condé. Le héros fourvoyé, Editions de Fallois, Paris, 2011.
Mathieu DELDICQUE (dir.), Le Grand Condé. Le rival du Roi-Soleil ?, Musée Condé/Éditions Snoeck, Chantilly/Gand, 2016. Catalogue de l’exposition tenue au Jeu de Paume du Domaine de Chantilly du 4 septembre 2016 au 2 janvier 2017.
Jean HUBAC, « Le blocus de Paris en 1649 », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 21/11/2024. URL : https://histoire-image.org/etudes/blocus-paris-1649
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