Aller au contenu principal
Elle

Elle

Date de création : 1905

H. : 78 cm

L. : 62 cm

Huile sur toile

Domaine : Peintures

© ADAGP © GrandPalaisRmn / image GrandPalaisRmn

Lien vers l'image

79-000696

La courtisane, un monstre ?

Date de publication : Mars 2016

Auteur : Catherine AUTHIER

Un regard trouble entre misogynie et fascination

Le recours à l’allégorie pour dénoncer la prostitution est très fréquent au XIXe siècle. Le tableau intitulé « Elle » de Gustav Adolf Mossa, daté de 1905 prolonge le thème de l’Araignée étudié par l’artiste dans les années 1903-1904 où il révélait déjà une conception névrotique de la Femme, sadique qui dévore ses proies.

Plus généralement, "Elle" s’intègre pleinement dans le mouvement symboliste et décadent de la fin du XIXe siècle et début du XXe siècle. Comme souvent chez les symbolistes, l’art de ce peintre niçois est dominé par le personnage de la Femme perverse et maléfique. Or, au sein de la gente féminine, la courtisane impure et vénale qui envoûte les hommes et les réduit à sa volonté par son seul pouvoir sexuel illustre le summum des forces du mal. Pétri de références classiques mais aussi de clichés de son temps, l’allégorie va permettre à Mossa, alors au sommet de son talent artistique, d’expérimenter ses propres fantasmes en nous livrant une vision singulière et originale de la femme qui se prostitue.

Un monstre féminin

Dans cette huile colorée et dorée, Mossa représente avec un style d’ une violence expressionniste allié à une minutie inouïe des détails, une femme monstrueuse de violence et de cruauté. Elle apparaît monumentale et hiératique dans une nudité agressive, sorte de poupée d’amour extrêmement féminine et pulpeuse, la peau blanche avec des énormes seins globulaires, suggérant avec une grande puissance plastique à la fois le désir et la mort.

Comme souvent chez Mossa, « Elle » a le visage ovale, le menton pointu, les traits plutôt fins avec nez aux arêtes sensibles et une petite bouche sensuelle. Le front bas et fuyant, accentué par la frange et le regard vide de toute expression accentue l’animalité de cette femme, dépourvue de toute conscience.

Sa riche chevelure coiffée en chignon est parée de corbeaux noirs et de trois crânes humains. Au centre, on peut lire à l’intérieur d’une auréole d’or, telle une sainte de la luxure, une citation du satiriste latin Juvénal : « je le veux, je l’ordonne : que ma volonté tienne lieu de raison ». On retrouve là le rôle de l’inscription dans la peinture de Mossa, présente dans les cheveux de la femme comme à travers le parchemin posé au bas de la toile, référence explicite aux grands peintres vénitiens du Quattrocento, tels Carpaccio et Bellini, dont il admirait particulièrement la peinture. Comme souvent, chez les courtisanes, vénales et superficielles, ce monstre féminin est couvert de bijoux, des bagues sur ses mains griffues, un collier autour du cou dont les pendeloques sont des armes phalliques, pistolet, poignard et gourdin. Sur fond de ciel orageux, « Elle » trône gigantesque, au sommet d’une montagne de cadavres d’hommes miniaturisés, sanguinolants, après avoir été manifestement écrasés, massacrés et torturés. Le chat qui cache son sexe est une allusion salace fréquente dans l’iconographie populaire.

Entre symbolisme et surréalisme

Conformément à l’esprit de la fin du siècle, la femme chez Mossa est perçue comme une femme fatale, dominatrice et cruelle. Il partage en cela la vision profondément misogyne des artistes Moreau, Redon ou Klimt eux-mêmes inspirés par la poésie de Baudelaire. Cupide et perfide, la courtisane est violente et détruit les hommes. De fait, l’imaginaire du temps est hanté par le péril vénérien, la peur physique de la mort "avariée" liée à la propagation de la syphilis. Mossa a aussi peut-être eu écho des réflexions de Charcot ou de Freud sur les pulsions de vie et de mort ainsi que lu le pacte sado-masochiste conclu entre Wanda et Séverin dans la Vénus à la fourrure de Léopold Sacher-Masoch. Cette culture et ses propres souffrances intimes aboutissent ici à l’image même de la femme fatale et annoncent dans une fulgurante modernité et un style éminemment personnel l’androïde de Fritz Lang et Thea von Harbou dans Metropolis 1926 ou les poupées de Hans Bellmer. En recherchant dans l’art des réponses à ses propres tourments, il s’affirme comme un artiste résolument avant-gardiste, aux portes du surréalisme.

ASSOCIATION SYMBOLIQUE MOSSA, Gustav Adolf Mossa : catalogue raisonné des œuvres « symbolistes », Paris, Somogy / Nice, Association symbolique Mossa, 2010.

BAKKER Nienke, PLUDERMACHER Isolde, ROBERT Marie, THOMSON Richard, Splendeurs et misères : images de la prostitution (1850-1910), cat. exp. (Paris, 2015-2016 ; Amsterdam, 2016), Paris, Flammarion / musée d’Orsay, 2015.

SOUBIRAN Jean-Roger, Gustav Adolf Mossa (1883-1971), Nice, Ediriviera-Alligator, 1985.

Catherine AUTHIER, « La courtisane, un monstre ? », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 02/12/2024. URL : https://histoire-image.org/etudes/courtisane-monstre

Ajouter un commentaire

HTML restreint

  • Balises HTML autorisées : <a href hreflang> <em> <strong> <cite> <blockquote cite> <code> <ul type> <ol start type> <li> <dl> <dt> <dd> <h2 id> <h3 id> <h4 id> <h5 id> <h6 id>
  • Les lignes et les paragraphes vont à la ligne automatiquement.
  • Les adresses de pages web et les adresses courriel se transforment en liens automatiquement.
CAPTCHA
Cette question sert à vérifier si vous êtes un visiteur humain ou non afin d'éviter les soumissions de pourriel (spam) automatisées.

Mentions d’information prioritaires RGPD

Vos données sont sont destinées à la RmnGP, qui en est le responsable de traitement. Elles sont recueillies pour traiter votre demande. Les données obligatoires vous sont signalées sur le formulaire par astérisque. L’accès aux données est strictement limité aux collaborateurs de la RmnGP en charge du traitement de votre demande. Conformément au Règlement européen n°2016/679/UE du 27 avril 2016 sur la protection des données personnelles et à la loi « informatique et libertés » du 6 janvier 1978 modifiée, vous bénéficiez d’un droit d’accès, de rectification, d’effacement, de portabilité et de limitation du traitement des donnés vous concernant ainsi que du droit de communiquer des directives sur le sort de vos données après votre mort. Vous avez également la possibilité de vous opposer au traitement des données vous concernant. Vous pouvez, exercer vos droits en contactant notre Délégué à la protection des données (DPO) au moyen de notre formulaire en ligne ( https://www.grandpalais.fr/fr/form/rgpd) ou par e-mail à l’adresse suivante : dpo@rmngp.fr. Pour en savoir plus, nous vous invitons à consulter notre politique de protection des données disponible ici en copiant et en collant ce lien : https://www.grandpalais.fr/fr/politique-de-protection-des-donnees-caractere-personnel

Partager sur

Découvrez nos études

La Dame aux camélias

La Dame aux camélias

Marie Duplessis, muse de Dumas

Le dessin à l’aquarelle de Camille Roqueplan représente Marie Duplessis, qui fut probablement la toute première…

La Dame aux camélias
La Dame aux camélias
La Belle Otero, emblème de la Belle Époque

La Belle Otero, emblème de la Belle Époque

Le soleil d’Espagne dans les théâtres parisiens

La fièvre de l’exotisme parcourt l’Europe pendant tout le XIXe siècle, influençant la…

La Belle Otero, emblème de la Belle Époque
La Belle Otero, emblème de la Belle Époque
La Belle Otero, emblème de la Belle Époque
La Belle Otero, emblème de la Belle Époque
Les marchandes d’amour du Palais-Royal

Les marchandes d’amour du Palais-Royal

Le goût pour la mode et la galanterie

Au XVIIIe siècle les gravures mettant en scène les costumes, les chapeaux et bijoux fleurissent…

Femmes et frissons de plaisir à la Belle Époque

Femmes et frissons de plaisir à la Belle Époque

La République s’amuse

Après le régime si décrié du Second Empire (« la fête impériale »), la IIIe République a commencé par un retour…

Femmes et frissons de plaisir à la Belle Époque
Femmes et frissons de plaisir à la Belle Époque
Femmes et frissons de plaisir à la Belle Époque
Femmes et frissons de plaisir à la Belle Époque
Cora Pearl, célèbre courtisane du Second Empire

Cora Pearl, célèbre courtisane du Second Empire

Les portraits-charges de Gill

Sous le Second Empire, la presse illustrée connaît un essor considérable, notamment les journaux satiriques où…

Liane de Pougy et le charme de l’ambiguïté à la Belle Époque

Liane de Pougy et le charme de l’ambiguïté à la Belle Époque

La métamorphose d’une mère de famille en « grande horizontale »

Depuis le Second Empire, le portrait photographique connaît un véritable essor,…

Liane de Pougy et le charme de l’ambiguïté à la Belle Époque
Liane de Pougy et le charme de l’ambiguïté à la Belle Époque
Liane de Pougy et le charme de l’ambiguïté à la Belle Époque
Thomas Couture et la décadence

Thomas Couture et la décadence

L’allégorie, une grande tradition picturale

Formé dans l’atelier d’Antoine Gros et de Paul Delaroche, Thomas Couture se révèle rapidement un…

La courtisane, un monstre ?

La courtisane, un monstre ?

Un regard trouble entre misogynie et fascination

Le recours à l’allégorie pour dénoncer la prostitution est très fréquent au XIXe siècle…

Rolla ou Le suicide pour une courtisane

Rolla ou Le suicide pour une courtisane

L’alibi littéraire

En 1878, le peintre Henri Gervex ancien médailliste du Salon, voit son œuvre Rolla brutalement retirée de l’exposition par l’…

Splendeurs et misères d’une courtisane : Émilienne d’Alençon

Splendeurs et misères d’une courtisane : Émilienne d’Alençon

La photographie au service d’une cocotte de haut vol

Contrairement aux hétaïres grecques, les courtisanes de la Belle Époque n’ont pas besoin d’…