Autoportrait
Portrait de la femme de l'artiste, Élisabeth de Gouix
Madame Rigaud en deux attitudes différentes
La Famille Laffite
Autoportrait
Auteur : RIGAUD Hyacinthe
Lieu de conservation : musée national du château de Versailles (Versailles)
site web
Date de création : 1710-1711
H. : 80,5 cm
L. : 63,6 cm
huile sur toile
Domaine : Peintures
© RMN - Grand Palais (château de Versailles) / Gérard Blot
97-001510 / MV 5825
Rigaud, portraits de famille
Date de publication : Janvier 2021
Auteur : Stéphane BLOND
Le parcours d’un portraitiste de génie
Lorsque cette série de portraits à mi-corps est réalisée, leur auteur est déjà un peintre de renom qui reçoit de multiples commandes. Hiacinto Rigau (francisé Hyacinthe Rigaud) est né à Perpignan le 18 juillet 1659, quelques semaines avant le rattachement du Roussillon au royaume de France. Il est le fils aîné du tailleur d’habits Maties Rigau (vers 1628-1669) et de Hyeronima Maria Serra (1638-1721). Héritier d’un univers familial marqué par la peinture, le jeune Rigaud manifeste très tôt de belles dispositions pour cet art. Après la mort de son père, il se forme au sein d’ateliers à Carcassonne, à Montpellier, à Lyon et, enfin, à Paris à partir de 1681. Très vite, il devient un portraitiste à la mode et, dès 1685, il est agréé à l’Académie royale de peinture et de sculpture, sous l’œil de son protecteur, le peintre Charles Le Brun (1619-1690).
Pour conjurer son déracinement, à la fin de l’année 1695, il entreprend un long voyage sur ses terres natales. Pour l’occasion, il réalise deux portraits de sa mère, dont celui aux deux profils. Il peint également un portrait familial avec la sœur du peintre, Clara Rigau (1663-vers 1700), son époux Honorat Joan Lafita (francisé Laffite, mort en 1737), bailli royal de Perpignan, et leur première fille. Ramenés à Paris, ces tableaux sont exposés dans l’appartement du peintre, avant d’être légués par testament au cabinet des tableaux de Louis XV.
À son retour à Paris en 1696, l’artiste enchaîne les toiles. En 1699, il réalise un premier tableau mettant en scène Élisabeth de Gouix (1668-1743), l’épouse de Jean Le Juge, huissier au Grand Conseil, avec leur fille. Devenue veuve en 1707, cette héritière d’un marchand bourgeois de Paris se remarie avec Hyacinthe Rigaud le 19 mai 1710. C’est probablement à cette période, ou peu avant, que l’artiste entame ce portrait féminin. Il se concentre sur le visage, tandis que le décor n’est achevé qu’en 1740, avant une déclinaison gravée. Le tableau reste dans le giron familial jusqu’en 1871, date de son legs au musée du Louvre. Depuis 2009, il est en dépôt à Perpignan, au musée d’Art Hyacinthe-Rigaud.
L’autoportrait achevé en 1711 s’insère dans une longue suite d’autoportraits entamée à partir de 1681. L’origine de cette œuvre est décrite au dos de la toile : « peint par luy même / donné a son amy Mons. Dassenet / le 10 juin 1711. » Léguée à l’Académie en 1766, elle est saisie en 1793 puis déposée à Versailles en 1920. Deux répliques sont attestées, plus une version gravée réalisée par Pierre Drevet (1663-1738). Le portraitiste prolifique meurt en 1743, quelques mois seulement après son épouse.
Le cercle intime
Complémentaire d’un portrait de face, le double portrait de la mère de l’artiste sert de modèle préparatoire pour un buste de marbre commandé à Antoine Coysevox (1640-1720). Les vues de profil droit et de trois quarts gauche permettent au sculpteur d’opérer une restitution en trois dimensions, à la manière du Triple portrait du cardinal de Richelieu par Philippe de Champaigne. Selon Ariane James-Sarazin, les plis de l’habit noir et le paysage évanescent participent à des « accents rembranesques », un peintre flamand que Rigaud affectionne. Ce décor sombre tranche avec les plis de la chemise blanche, de jolies boucles d’oreilles et un visage maternel baigné de lumière. Les traits sont révélés sans détour, car l’artiste est perpétuellement engagé dans une quête de ressemblance.
Les mêmes tonalités sont repérables sur le portrait de la famille Laffite. Les nuances chromatiques des habits et du bonnet de velours, la délicatesse des dentelles et rubans démontrent que l’artiste excelle dans ce registre. Seule la sœur du peintre oriente son regard vers le spectateur, alors que son époux est pétri d’affection pour sa fille.
Les mêmes qualités restitutives des étoffes et drapés apparaissent sur le portrait de la future épouse de Rigaud, dans un décor sur fond d’architecture. La finesse de la dentelle de la chemise, le ruban de soie bleue qui fait écho aux yeux du modèle, les retroussis au fil d’or du costume, la broche dorée et le collier de perles des cheveux décrivent une mode vestimentaire bourgeoise.
L’habit de l’autoportrait est plus simple, car saisi au vif lors d’une séance de travail, avec une palette chromatique de marrons et de noirs. Sur ce tableau, également appelé Autoportrait au porte-mine, Rigaud est âgé de 52 ans. Il tient dans sa main gauche un portefeuille à dessins qui rappelle que cet exercice est le travail de base d’un peintre, comme il l’enseigne à l’Académie. Il se présente d’ailleurs comme « Ecuyer. Noble citoyen. De Perpignan / Professeur de l’académie Royalle de peinture / et Sculpture ». Dans une posture altière, mais non figée, ses yeux marron fixent le spectateur, avec un regard doux et bienveillant, presque spirituel. Le bonnet rappelle l’Autoportrait au turban achevé en 1698, un modèle du genre pour de nombreux artistes européens.
L’esprit de famille et l’amitié
Cette série de tableaux témoigne des liens amicaux et familiaux patiemment tissés ou entretenus par l’artiste. Les trois toiles familiales qui ornent le cabinet du peintre permettent de pénétrer dans son univers quotidien. La Vie de Rigaud, présentée en 1716 à l’Académie, aborde la profondeur de son amour filial, véritable guide de son séjour en Roussillon : « Une de ses principales vues, en faisant ce voyage, était de la peindre [sa mère] et remporter avec lui l’image de celle qui lui avait donné le jour. » Le portrait en diptyque de sa mère souligne les relations nouées avec d’autres artistes, en particulier les sculpteurs, comme son ami Coysevox. Avec le buste maternel achevé en 1706, ces toiles permettent à l’artiste d’être entouré en permanence par ses proches. Ce climat affectif est renforcé par le format resserré des portraits languedociens, complémentaires l’un de l’autre. Leur forme ovale originelle est propice au renforcement de l’ambiance intimiste.
Au-delà des traditionnelles relations entre un client et un artiste, le travail de Rigaud s’inscrit également dans un puissant réseau de mécénat artistique. Son autoportrait est commandé par Louis Malpenée, écuyer, et sieur d’Assenay, un collectionneur d’art qui fréquente l’atelier de l’artiste et possède plusieurs de ses œuvres. Il acquiert aussi un autoportrait à Nicolas de Largillierre (1656-1746), second portraitiste célèbre au service d’une élite. Le format des deux autoportraits est identique, avec une représentation en pendant probablement guidée par les conditions d’exposition dans le cabinet de leur commanditaire. En 1721, Louis d’Assenay marque à nouveau son admiration pour Rigaud. Il sollicite Pierre Drevet (1663-1738) pour une gravure dont l’autoportrait sert de modèle.
COQUERY Emmanuel et al., Visages du Grand Siècle : le portrait français sous le règne de Louis XIV (1660-1715), cat. exp. (Nantes, 1997 ; Toulouse, 1997-1998), Paris, Somogy / Nantes, musée des Beaux-Arts de Nantes / Toulouse, musée des Augustins, 1997.
JAMES-SARAZIN Ariane, avec la coll. de SARAZIN Jean-Yves, Hyacinthe Rigaud (1659-1743), Dijon, Éditions Faton, 2016, 2 vol.
JAMES-SARAZIN Ariane (dir.), Hyacinthe Rigaud ou le Portrait soleil, cat. exp. (Versailles, 2020-2021), Versailles, château de Versailles / Dijon, Éditions Faton, 2020.
PERREAU Stéphan, Hyacinthe Rigaud (1659-1743) : le peintre des rois, Montpellier, Les Presses du Languedoc, 2004.
PERREAU Stéphan, Hyacinthe Rigaud (1659-1743) : catalogue concis de l’œuvre, Sète, Nouvelles Presses du Languedoc, 2013.
Stéphane BLOND, « Rigaud, portraits de famille », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 21/11/2024. URL : https://histoire-image.org/etudes/rigaud-portraits-famille
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