Les licteurs rapportent à Brutus les corps de ses fils
Le Triomphe du peuple français sous les traits d'Hercule
Les licteurs rapportent à Brutus les corps de ses fils
Auteur : DAVID Jacques Louis
Lieu de conservation : musée du Louvre (Paris)
site web
H. : 323 cm
L. : 422 cm
Huile sur toile.
Domaine : Peintures
© GrandPalaisRmn (musée du Louvre) / Thierry Ollivier
INV 3693, MR 1430 - 18-533191
David, artiste révolutionnaire
Date de publication : Janvier 2012
Auteur : Guillaume NICOUD
De l’artiste libéral au député de la Convention
Le Salon de peinture du Louvre de 1789 présente une nouvelle série d’oeuvre commandées depuis 1775 pour la couronne aux artistes officiels par d’Angiviller (1730-1810), le directeur général des Bâtiments, Arts, Jardins et Manufactures. Les sujets exaltent des valeurs civiques et morales au travers de héros antiques ou de gloires nationales considérés comme des exemples de vertu (exemplum virtutis).
Le peintre Jacques-Louis David (1748-1825) réussit à tirer de l’histoire antique des sujets inédits qui lui permettent même d’élaborer un langage pictural en adéquation avec le sens moral du sujet représenté, et ce, dès la réalisation de la première de ses commandes, le Serment des Horaces (Louvre), exposé au Salon de 1785.
Si son second tableau pour le roi date de l’année suivante, il n’est toutefois présenté au public qu’en septembre 1789, alors que le Salon est déjà ouvert. David choisit librement un sujet original tiré de la vie d’un des fondateurs de la République romaine qui avait chassé de Rome la famille régnante des Tarquins : les Licteurs rapportant à Brutus le corps de ses fils. Dans une France devenue révolutionnaire, le peintre, qui côtoie un milieu aristocratique libéral, aspire-t-il à donner à son œuvre la valeur de manifeste politique ?
En tout cas, cinq ans plus tard, sous la Terreur, David dessine un Triomphe du peuple Français pour sans doute servir de rideau de scène à une représentation politique prévue à l’Opéra de Paris. Il a alors pleinement embrassé le mouvement révolutionnaire et est même devenu député de la Convention.
La liberté ou la mort
Le 14 juin 1789, David écrit à son élève Jean-Baptiste Wicar (1762-1834) : « Je fais un tableau de ma pure invention. C’est Brutus, homme et père, qui s’est privé de ses enfants et qui, retiré dans ses foyers, on lui rapporte ses deux fils pour leur donner la sépulture. Il est distrait de son chagrin, au pied de la statue de Rome, par les cris de sa femme, la peur et l’évanouissement de la plus grande fille. ».
Ses fils ayant conspiré contre la jeune République, Lucius Junius Brutus avait dû ordonner leur exécution : son amour et ses devoirs envers sa patrie l’emportant ainsi sur ceux envers sa famille. Comme dans le Serment des Horaces, deux mondes s’entrechoquent sur la toile. Le côté gauche est occupé par les hommes ; il est dominé par un Brutus inerte et accablé, aux pieds tordus par la douleur intérieure, assis et appuyé contre le socle de la statue de Rome, le tout placé dans une originale pénombre dramatisante. Dans l’autre partie, celle colorée et en pleine de lumière du monde des femmes, règne la douleur, voire l’incompréhension face à la brutalité masculine. Une servante éplorée cache même entièrement son corps sous un drapé.
Le dessin inachevé (mais mis au carreau pour être reporté) est lui aussi composé en longueur à la manière d’une frise antique, mais le cortège qui forme le Triomphe du peuple français s’avance de la gauche vers la droite. La Victoire guide un char antique, tiré par quatre taureaux, où trône un Hercule assis personnalisant le Peuple français, protégeant l’Égalité et la Liberté, avec à leurs pieds, le Commerce, l’Abondance, les Sciences et les Arts. Le char foule des attributs d’Ancien Régime, tandis qu’au-devant deux hommes du peuple mettent à bas des tyrans qui tentent de fuir. À l’arrière, David dessine ceux qu’il considère comme les héros de la liberté, brandissant des palmes, symbole de leur « martyrs » : Cornélie, qui accompagne ses fils, les Gracques (assassinés pour leurs tentatives de réformes plébéiennes), Brutus, Guillaume Tell (qui porte son fils sur ses épaules), puis ferment la marche Marat et Le Pelletier, deux députés de la Convention assassinés en 1793.
David, peintre des « martyrs » de la liberté
Suite aux événements révolutionnaires du printemps et de l’été 1789, David ne peut présenter au Salon son portrait du couple Lavoisier (New-York, The Metropolitan Museum of Art), car le savant et fermier général Antoine Lavoisier est alors impliqué dans une émeute. David abandonne aussi l’idée de peindre dans son Brutus les têtes des fils du héros qui étaient placées au bout de pics portés par le cortège ramenant les corps. Le pouvoir n’en resta pas moins gêné par l’exposition de cette oeuvre à cause (selon un texte de David de 1793) de « l’analogie entre la conduite de Brutus et celle qu’aurait dû tenir Louis XVI à l’égard de son frère [le comte d’Artois, futur Charles X] et de ses autres parents qui conspiraient contre la liberté de leur pays. »
Il est vrai que Brutus (qui peut être d’ailleurs aisément associé à son homonyme le fils et assassin de César) est alors considéré avant tout non pas comme un père accablé, mais comme un Républicain qui lutte victorieusement contre la tyrannie royale jusqu’à ordonner la mort de ses fils comploteurs.
L’œuvre ne peut être que rapidement récupérée à des fins politiques. Un journal révolutionnaire de 1790 (Lettre bougrement patriotique du véritable Père Duchêne) rappelle que David (qui commence alors à peindre le Serment du Jeu de Paume de 1789) est l’auteur « de ce Brutus si sombre, si déterminé, ce fier bourreau du Despotisme, ce vrai modèle des homme libres… ». Et l’œuvre est même à nouveau exposée au Salon de 1791.
Le peintre est alors pleinement engagé dans le mouvement révolutionnaire. En 1793, lorsqu’il dessine ce Triomphe de la Liberté, il est député de Paris à la Convention et c’est à ce titre qu’il vote la mort du roi. Sous la Terreur qui suit, il est un temps président du club des Jacobins, secrétaire de la Convention, membre du Comité de sûreté général, et même très brièvement président de la Convention. Il peint pour cette assemblée Marat et Le Pelletier, deux de ses députés assassinés (Bruxelles, Musées royaux des Beaux-Arts et œuvre non localisée), et dirige de nombreuses fêtes révolutionnaires dont celle en l’honneur de l’Être suprême, fêtes où des processions de chars parcourent Paris de stations en stations pour célébrer les idéaux et héros révolutionnaires.
Selon son contemporain Alexandre Lenoir, qui posséda une seconde version plus achevée de ce Triomphe (Paris, musée Carnavalet), cette « allégorie relative au système révolutionnaire de 1793 [est] le type de ce que David imaginait pour l’ordonnance des fêtes nationales. » Sur cette dernière, Marat et Le Pelletier exhibent leurs blessures et sont accompagnés d’autres « martyrs » révolutionnaires, tués ou s’étant suicidés sous la Terreur, et brandissant, en guise d’attributs, les instruments de leurs morts. Quant à l’homme à terre au premier plan, il porte un manteau royal. Le Triomphe de la Liberté est donc une œuvre qui reflète les débats politiques de la Terreur, époque où le jacobin Pagès écrivait dans son poème La France Républicaine « qu’Hercule des tyrans eut délivré le Monde », ou qu’un orateur déclarait à la Convention que la « régénération d’un grand peuple et d’avoir anéanti tous ses tyrans » (Filassier, orateur, germinal an II / avril 1794).
Mais la chute de Robespierre le 9 thermidor an II (26 juillet 1794), a dû rendre la commande caduque. La veille, David avait répondu à l’Incorruptible qui déclarait « s'il faut succomber, eh bien ! mes amis, vous me verrez boire la ciguë avec calme » : « je la boirai avec toi ». Mais absent de la Convention le jour suivant, il n’est que temporairement emprisonné sous la réaction thermidorienne.
SCHNAPPER Antoine, Jacques-Louis David : 1748-1825, catalogue d’exposition, Paris, Musée du Louvre, Département des peintures, Versailles, Musée national du château, 26 octobre 1989-12 février 1990, Paris, Réunion des musées nationaux, 1989
Néoclassicisme : Mouvement artistique qui se développe du milieu du XVIIIe au milieu du XIXe siècle. Renouant avec le classicisme du XVIIe siècle, il entend revenir aux modèles hérités de l’Antiquité, redécouverts par l’archéologie naissante. Il se caractérise par une représentation idéalisée des formes mises en valeur par le dessin.
Guillaume NICOUD, « David, artiste révolutionnaire », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 21/12/2024. URL : https://histoire-image.org/etudes/david-artiste-revolutionnaire
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