Type de Fuégiens
Groupe des Omaha
Jardin d'acclimatation (l'Afrique mystérieuse). 66. Deux lutteurs (1910)
Type de Fuégiens
Auteur : PETIT Pierre
Lieu de conservation : musée du Quai Branly – Jacques-Chirac (Paris)
site web
Date de création : Septembre 1881
Date représentée : Septembre 1881
H. : 8,5 cm
L. : 10 cm
Légende originale : Terre de Feu ou archipel de Magellan. Amérique du Sud. Type de Fuégiens. 29.
Photographie réalisée à l'occasion d'une exhibition de Fuégiens en 1881.
Positif au gélatino-bromure d'argent colorisé sur plaque de verre ;
Domaine : Photographies
© Musée du Quai Branly - Jacques-Chirac, dist. RMN - Grand Palais / image musée du Quai Branly - Jacques-Chirac
PV0062660 - 16-548063
Le Monde en miniature
Date de publication : Juin 2020
Auteur : Alexandre SUMPF
À la conquête du monde
Des Fuégiens de Patagonie en 1881 aux « mystérieux » lutteurs africains en 1910, en passant par les Indiens d’Amérique Omaha en 1893, le visiteur du Jardin d’acclimatation de Paris a pu venir ausculter tout un ensemble de peuplades exotiques par la couleur de leur peau et leur façon de vivre.
Le photographe Pierre Petit (1831-1909), le prince géographe Roland Bonaparte (1858-1924) et leurs collègues anonymes ont multiplié les clichés destinés tant aux collections ethnographiques qu’à la commercialisation par carte postale.
C’est également l’époque des cirques et des freak shows, des ménageries et des cabinets de curiosités qui attirent un public avide de nouveauté et d’étrangeté. À la suite du pionnier Carl Hagenbeck à Hambourg (1874), le Jardin a lancé la mode à Paris en 1877, comblant les attentes des visiteurs entre les différentes expositions universelles et coloniales où l’on exhibe un ou plusieurs « villages » (nègre, annamite, etc.).
L’art de la reconstitution
Pierre Petit a photographié un groupe de Fuégiens de Patagonie en plein bois de Boulogne, au Jardin d’acclimatation, comme il l’indique sur la carte qu’il commercialise par la suite. Le document, imprimé sur papier fort, porte par ailleurs le nom du professionnel et l’adresse de son atelier, et précise que le cliché est « déposé », c’est-à-dire protégé de toute copie non autorisée. L’image proprement dite offre au regard deux enfants, trois femmes, trois jeunes hommes et deux hommes plus mûrs, tous presque nus. Deux tiennent des arcs (sans flèches) et l’un une lance. Ils sont accroupis, sur un fond de végétaux caractéristiques du climat tempéré qui paraissent avoir été installés pour faire écran. Les visages sont fermés, les bouchent forment des rictus, les regards sont légèrement inquiets.
Deux ans plus tard, Roland Bonaparte tire parti de la venue d’Indiens d’Amérique du Nord pour réaliser une série entière de prises de vue. À côté des clichés individuels de face et de profil, qui annoncent les méthodes anthropométriques d’Alphonse Bertillon, il documente aussi l’installation temporaire de ces représentants de la tribu Omaha, parés des attributs attendus de ce type de « sauvages » : plumes dans les cheveux, colliers de perles, tuniques brodées et les inévitables tomahawks. Plus détendus que les Fuégiens, ils posent ici dans un mélange singulier de reconstitution d’après nature et de cadre européen : en arrière-plan se dressent non seulement un tipi, mais une case africaine ; le treillis de bois, les chaises paillées et les arbres trahissent l’envers du décor aux portes de la capitale française.
Le cliché des deux Africains de l’Ouest qui s’affrontent dans une lutte très statique est le soixante-sixième d’une importante série de cartes postales éditée par ND Phot[ographe] et intitulée L’Afrique mystérieuse. Sur le fond des arbres du bois de Boulogne, toujours, les agents du Jardin ont recréé un habitat traditionnel composé de végétaux exotiques et ont, semble-t-il, habillé les bâtiments permanents du même costume. Au premier plan, fixant de façon professionnelle l’objectif, deux hommes musclés, solidement campés sur leurs pieds, miment une prise. Comme le veut l’usage pour des « Nègres », ils sont torse nu ; ils portent un pantalon de toile large et une série d’objets qui rappellent des amulettes. Le crâne rasé et l’attitude font songer aux gladiateurs de l’époque romaine.
Des cultures différentes
Les spectateurs des exhibitions jugent à divers degrés l’authenticité des scènes qu’on leur présente, mais la curiosité brute l’emporte sur la volonté de savoir comment les « sauvages » sont parvenus jusqu’à eux. Les Fuégiens ont, par exemple, été transplantés par un certain Waalen, installé de longue date en Terre de Feu. Ils attirent en septembre et octobre 1881 pas moins de 400 000 visiteurs.
Ces Patagoniens forment l’une des premières cohortes d’un groupe qui a totalisé quelque 40 000 indigènes. Un siècle durant, ils furent recrutés comme figurants et donnèrent des représentations dans une trentaine de pays, en Europe, en Amérique et en Asie (Japon et Chine). À la différence des Fuégiens, les dix-neuf Omahas étaient déjà en partie alphabétisés et évangélisés, et sont surtout habitués à jouer un rôle fixé par les shows comme celui de Buffalo Bill. Ils ont ainsi négocié des conditions particulières et produisent sur place un artisanat élémentaire destiné à la vente. La tendance commerciale l’a en effet rapidement emporté à Paris sur les enjeux scientifiques. On le voit chez le prince « anthropologue », qui cherche usuellement à fixer des types sur gélatine, mais dont le cliché se rapproche ici de la démarche de Petit : il se sert du décor pour ébaucher un récit… et assurer la vente de cartes par dizaines de milliers.
Dans la décennie 1890, le Jardin perd le monopole des exhibitions et la focale se déplace vers l’Afrique noire, de l’Ouest notamment, où la France a étendu son empire. On expose les peuples comme des richesses à exploiter et des humains à civiliser. L’exhibition de l’Autre permet ainsi une réassurance identitaire pour des États-nations en construction, dans une ère de bouleversement social et anthropologique majeur (exode rural, avènement de la vitesse).
En 1910, la présence des « Nègres » et la reconstitution de villages sont désormais un must de toute exposition d’envergure. L’ambition de la saison 1910 dépasse tout ce qui a été entrepris jusque-là : c’est toute l’Afrique dont on prétend dévoiler les « mystères ». L’ethnocentrisme européen n’a pas varié depuis les années 1870.
Seuls quelques rares connaisseurs et les anticolonialistes minoritaires osent critiquer les formes dégradantes de ce genre de spectacle, conçu pour engendrer d’importants revenus dont les figurants ne perçoivent qu’une infime partie. Leurs exhibitions doivent se conformer non plus à l’expérience vécue hors d’Europe qu’on chercherait à décrire pour ceux qui ne peuvent voyager, mais à l’opinion caricaturale que se font les Européens de ces modes de vie préindustriels. La négation d’une culture pourtant authentique aveugle les Européens, qui se rassurent de la supériorité de leur civilisation ; les indigènes, eux, finissent par perdre leurs coutumes à force d’en proposer un simulacre.
BLANCHARD Pascal, BANCEL Nicolas, BOËTSCH Gilles, DEROO Éric, LEMAIRE Sandrine (dir.), Zoos humains et exhibitions coloniales : 150 ans d’inventions de l’Autre, Paris, La Découverte, 2011 (2e éd. refondue et augmentée ; 1re éd. 2002 sous le titre Zoos humains : au temps des exhibitions humaines).
BLANCHARD Pascal, BOËTSCH Gilles, JACOMIJN SNOEP Nanette (dir.), Exhibitions : l’invention du sauvage, cat. exp. (Paris, 2011-2012), Arles, Actes Sud / Paris, musée du Quai Branly, 2011.
COPANS Jean, JAMIN Jean, Aux origines de l’anthropologie française : les mémoires de la Société des observateurs de l’homme en l’an VIII, Paris, J.-M. Place, coll. « Les cahiers de Gradhiva » (no 23), 1994.
Alexandre SUMPF, « Le Monde en miniature », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 24/11/2024. URL : https://histoire-image.org/etudes/monde-miniature
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