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Jeune mère avec son enfant qui est mort

Jeune mère avec son enfant qui est mort

Collection anthropologique du prince Roland Bonaparte. Hottentots. No 23

Collection anthropologique du prince Roland Bonaparte. Hottentots. No 23

Paï-Pi-Bri - groupes [Portrait de deux femmes]

Paï-Pi-Bri - groupes [Portrait de deux femmes]

Jeune mère avec son enfant qui est mort

Jeune mère avec son enfant qui est mort

Date de création : 1881

Date représentée : 1881

H. : 10,5 cm

L. : 7 cm

tirage sur papier albuminé monté sur carton de format carte de visite ; cliché pris lors d'une exhibition de Fuégiens en 1881 ; dimensions du montage : 12,8 × 8,3 cm

Domaine : Photographies

© Musée du Quai Branly - Jacques-Chirac, dist. RMN - Grand Palais / image musée du Quai Branly - Jacques-Chirac

lien vers l'image

16-518321 / PP0041091

La femme exotique-objet

Date de publication : Juin 2020

Auteur : Alexandre SUMPF

À la découverte des sociétés primitives

Au sein des vastes collections de clichés ethnographiques réalisés en Europe dans le dernier tiers du XIXe siècle, les femmes non européennes se détachent par leur nombre et une mise en scène où l’œil masculin redouble la domination européenne.

Pierre Petit (1831-1909), photographe prolifique qui a commencé par une série de personnages célèbres et été choisi pour fixer sur pellicule l’Exposition universelle de 1867, était également missionné par la Société de géographie. Il a saisi une « jeune mère » en 1881, lors de l’une de ses premières sessions au Jardin d’acclimatation qui accueillit à partir de 1877 une vingtaine d’expositions d’êtres humains.

Le prince Roland Bonaparte (1858-1924) a tenté d’établir une nomenclature complète des peuples de la terre sur planches photographiques – que ce soit lors de voyages (Laponie en 1884) ou à Paris, comme ici, en 1888, lors de l’exhibition très attendue de Hottentots. Le public, curieux et voyeur, afflue en masse à chaque nouveauté. Le commerce du cliché souvenir prend son essor : une femme européenne peut ainsi s’offrir en 1893 un vrai faux voyage chez les mystérieux Paï-Pi-Bri.

De la Patagonie à la Côte d’Ivoire en passant par l’Afrique australe, les continents sont désormais conquis par les militaires et inventoriés par les scientifiques. Les photographies et les films ont rendu le lointain proche : les exhibitions permettent de toucher du doigt l’Autre exotique, symbolisé par la femme sauvage.

Sauvages et étranges

Photographiées par Pierre Petit, une mère fuégienne et sa fille âgée de 2 ans ont vu leur portrait largement commercialisé sous forme de carte. Le cadre blanc porte la mention de l’organisateur de l’exhibition et de sa localisation, dans le bois de Boulogne. Le profil non européen de la femme, d’âge indéterminé, relève de l’exploration anthropologique. Si ses cheveux sont coupés approximativement et non soignés, elle porte un collier et un bracelet de perles de bois à plusieurs rangées ; son corps est couvert d’une peau de bête, qui lui tient lieu de voile pudique plus que de vêtement. Le jeune enfant est, lui, totalement nu et fixe l’opérateur de prise de vue (et donc le visiteur) d’un regard interrogateur.

Le géographe Bonaparte a lui aussi multiplié les poses et les a rassemblées dans des albums consultables pour l’étude scientifique des populations ignorant l’âge industriel. Le portrait de la jeune Hottentote s’inscrit à la fois dans cette série et celle, datant de 1815 au moins, des « Vénus » noires. Les détails ornementaux s’effacent devant la nudité totale et frontale de la jeune femme. Comme absente à elle-même, elle offre aux regards curieux ou concupiscents la plénitude d’un corps remarquable par l’accumulation de graisse sur les hanches et le fessier, formant une cambrure impressionnante qui n’est pas sans rappeler les sculptures callipyges de la Préhistoire.

Un troisième type de photographe professionnel semble avoir eu l’autorisation de travailler au Jardin d’acclimatation. La scène, fixée en 1893, à l’occasion de l’exhibition de tribus ivoiriennes, rejette toute reconstitution d’un cadre naturel. En plein air, sans doute sur l’une des pelouses du Jardin, on a dressé un fond de toile neutre devant lequel posent deux femmes que tout oppose. À gauche, une Africaine pieds nus, cheveux crépus dépassant d’un foulard coloré, porte quelques bijoux et voit son corps disparaître sous l’accumulation de tissus artisanaux. À droite, une quintessence de Parisienne fixe avec une belle assurance l’objectif. Sa robe qui suit les contours marqués de son corset et son chapeau à la dernière mode en font une incarnation de la civilisation urbaine. Ses gants blancs, sa cravache et sa main sur l’épaule de l’Ivoirienne signalent son appartenance aux couches supérieures de la population. Sa peau blanche, ses cheveux fins et ses lèvres minces accusent le contraste total avec le type africain de l’Ouest.

Un racisme sexiste assumé

Tout au long du XIXe siècle, la science et l’industrie du spectacle naissante s’associent dans la promotion d’un racisme fondé sur des observations morphologiques et sur l’enquête ethnographique.

Une mention portée sur le verso de la carte de 1881 indique que la fillette photographiée est morte, ce que confirment les sources : son décès, de cause inconnue, date du 30 septembre 1881. Il est malaisé de l’attribuer aux conditions du voyage et d’habitat, d’autant que la Terre de Feu ne jouit pas d’un climat très hospitalier. Mais le dépaysement décidé contre toute éthique scientifique et l’enfermement similaire à celui imposé aux animaux de la ménagerie ont sans doute contribué à déséquilibrer le mode de vie de ces Indiens et frappé la plus fragile du groupe. Nul ne s’est inquiété alors de la réaction de sa mère ; les cartes ont continué à être vendues.

Or, nombreux sont les « sauvages » qui ont connu des troubles psychosociaux, avec des addictions et des tentatives de suicide. C’est le cas de Saartjie Baartman, dite la Vénus hottentote (vers 1788/1789-1815), qui a été un célèbre objet de foire dans l’Europe libérée de Napoléon, à Londres d’abord, puis à Paris. Elle a excité les hommes, qui payaient pour toucher son fameux postérieur et observer son hypertrophie des petites lèvres. Ces particularités ethniques, qui avaient décidé le docteur Alexander Dunlop à l’exporter en Europe, ont été décrites par Georges Cuvier post mortem. Alors que les Parisiens doivent se contenter depuis 1815 de son squelette et du moulage en plâtre réalisé par l’éminent anatomiste, ils voient arriver en 1888 d’autres spécimens, bien vivants. Il est évident que les femmes de ce peuple d’Afrique australe en voie de disparition ont été sélectionnées pour leur stéatopygie (hypertrophie des hanches et des fesses), voire pour leur macronymphie. Ainsi est réactivée la sexualisation empreinte de bestialité sensuelle assignée à la femme noire dans l’art occidental depuis le Moyen Âge.

Si le public masculin de Paris n’a cette fois pas eu l’autorisation de tâter cette chair spectaculaire, Bonaparte s’est empressé de photographier ces femmes sous toutes les coutures afin de perpétuer la comparaison avec les Européennes, au détriment de ces femmes « primitives », cela va de soi. Le troisième cliché prend donc tout son sens. Il ne s’agit pas seulement de s’amuser de la preuve visuelle d’une antithèse totale entre âge premier de l’évolution et modernité triomphante. Les rôles sont nettement distribués entre dominants et dominés : la Parisienne est venue en maîtresse des lieux pour obtenir le cliché attestant sa supériorité, tandis que l’Africaine déracinée subit manifestement le dispositif dont elle saisit l’enjeu mais contre lequel elle ne peut se révolter.

BLANCHARD Pascal, BANCEL Nicolas, BOËTSCH Gilles, DEROO Éric, LEMAIRE Sandrine (dir.), Zoos humains et exhibitions coloniales : 150 ans d’inventions de l’Autre, Paris, La Découverte, 2011 (2e éd. refondue et augmentée ; 1re éd. 2002 sous le titre Zoos humains : au temps des exhibitions humaines).

BLANCHARD Pascal, BOËTSCH Gilles, JACOMIJN SNOEP Nanette (dir.), Exhibitions : l’invention du sauvage, cat. exp. (Paris, 2011-2012), Arles, Actes Sud / Paris, musée du Quai Branly, 2011.

FAUVELLE François-Xavier, À la recherche du sauvage idéal, Paris, Le Seuil, coll. « L’univers historique », 2017.

Alexandre SUMPF, « La femme exotique-objet », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 15/12/2024. URL : https://histoire-image.org/etudes/femme-exotique-objet

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