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Eau de Botot, seul dentifrice approuvé par l'académie de médecine de Paris

Eau de Botot, seul dentifrice approuvé par l'académie de médecine de Paris

Le Docteur Georges Viaud dans son cabinet dentaire

Le Docteur Georges Viaud dans son cabinet dentaire

La Toilette du boy-scout au camp du Francport

La Toilette du boy-scout au camp du Francport

Eau de Botot, seul dentifrice approuvé par l'académie de médecine de Paris

Eau de Botot, seul dentifrice approuvé par l'académie de médecine de Paris

Date de création : 1896

H. : 84 cm

L. : 60 cm

Lithographie

Domaine : Affiches

Bibliothèque Nationale de France - Domaine public © Gallica

Lien vers l'image

ENT DN-1 (CHERET,Jules)-FT6

L’offensive de l’hygiène dentaire

Date de publication : Avril 2020

Auteur : Alexandre SUMPF

Une dent saine dans une bouche saine

Si les remèdes aux maux dentaires et l’odeur de la bouche font partie intégrante de l’histoire de l’humanité, il faut attendre le dernier tiers du XIXe siècle pour que les inventions sur le plan industriel et les innovations scientifiques révolutionnent le rapport à la santé bucco-dentaire.

À la fin du siècle, le dentifrice se vend sous forme de poudre, de pâte ou d’eau ; à la conquête du public, les inventeurs rivalisent d’imagination dans la composition et dans la stratégie de commercialisation. En 1896, la maison Botot fait appel à Jules Chéret pour promouvoir son eau, inventée semble-t-il en 1755 pour Louis XV. Il est l’un des plus grands affichistes de l’époque, célèbre pour ses publicités vantant les spectacles de la Ville Lumière, et il connaît le sujet : il a réalisé dans les années 1860 des campagnes pour son ami Eugène Rimmel, qui a installé sa parfumerie à Londres et y a inventé le mascara.

Le souci esthétique et la volonté de plaire se combinent à des avancées majeures dans le traitement des problèmes dentaires sans douleur. En 1914, Édouard Vuillard réalise quelques toiles mettant en scène le cabinet du docteur Georges Viau (1855-1939) à Paris. Le dentiste soignait probablement le peintre, qui a dédicacé la toile à son « ami » et la lui a vendue. Ce mécène reconnu a en effet soutenu nombre d’artistes débutants ou connaissant un succès aléatoire. Il revendait souvent ses ensembles pour en constituer de nouveaux, mais a conservé la peinture à l’huile de Vuillard dans sa collection jusqu’à son décès.

La Grande Guerre n’a pas interrompu le progrès en matière d’hygiène dentaire, au contraire. Le discours normatif sanitaire a alors pris valeur de loi, surtout en direction des jeunes générations qui étaient l’espoir de sociétés durement touchées par le conflit. Le boy-scout se lavant les dents dans le camp du Francport, en forêt de Compiègne, est l’icône de cette discipline corporelle promue par le mouvement scout. Le photographe anonyme est probablement un responsable du camp, qui a réalisé au tout début des années 1920 toute une série de clichés sur les étapes clés du quotidien des jeunes hommes vivant au grand air.

Un beau sourire n’a pas de prix

Au premier coup d’œil, le passant du Paris fin de siècle aura reconnu la touche de Chéret : une affiche de format vertical étiré, des couleurs vives, une femme aguichante et un lettrage varié insufflant le dynamisme dans cette image figée. Comme souvent chez lui, le titre – ici, le nom du produit – se détache en haut, en lettres capitales en relief, en rouge. Cette couleur est reprise par le fac-similé de la signature de Botot en bas à droite, qui redouble l’information en lui donnant un caractère à la fois officiel et historique. L’adresse de prestige indiquée (rue de la Paix) et la mention « approuvé par l’Académie de médecine de Paris » instille l’idée que ce produit est conçu pour l’élite de la capitale. La jeune femme servant de modèle regarde le passant avec des yeux tournés vers notre gauche, qui invitent donc à la lecture vers la droite et vers sa bouche que ne figure qu’une touche de blanc brillant entre deux lèvres incarnates éclatantes. Sa blondeur vénitienne s’accorde au jaune canari de sa robe légère au plissé audacieux, portée très bas sur la poitrine et découvrant la partie supérieure des seins. Elle tient entre ses mains délicates, où les doigts ne sont presque qu’un trait, une brosse à dents au manche d’ivoire et la fameuse eau, à l’époque de nuance orangée – subtil rappel des deux couleurs primaires principales choisies par l’artiste. Contrairement à beaucoup de dessins publicitaires, le flacon est représenté à l’échelle : placé au centre de la composition, il est le seul détail précis dans un océan de suggestions.

Vuillard s’est rapidement spécialisé dans les portraits d’intimes et dans les scènes d’intérieurs. Le Docteur Georges Viau dans son cabinet dentaire ne déroge pas à cette habitude du peintre Nabi. Dans la tradition de ce mouvement, il propose une composition forte, avec des lignes horizontales et verticales formant le décor et guidant le regard vers le centre de la scène. Là, la blouse blanche contaminée par les tons pastel du cabinet, le docteur se tient debout et s’apprête à apporter un soin à Annette Roussel, nièce du peintre âgée alors de 16 ans. Son costume brun fait corps avec le fauteuil de dentiste articulé. Ses poings fermés et sombres connotent la peur, alors que les mains du soignant encadrent la tête de la patiente en signe de protection. Celle de droite, qui tient un outil de précision, se situe au centre de la composition, autour de laquelle un premier cercle se forme avec les deux visages qui ressortent en clair-obscur. Le second cercle réunit les indices des deux occupations de Georges Viau : l’art médical et le mécénat d’art. La tablette de dentiste, à gauche, forme presque une sculpture abstraite ; la table des médicaments, à droite, forme une petite nature morte à l’intérieur du tableau. Elle fait la transition avec les deux toiles accrochées au mur, pièces intimes de la collection Viau.

Face à l’objectif, le jeune Français adhérent du mouvement scout occupe le devant d’une scène en plein air que l’on devine confusément dans le flou derrière lui. D’autres adolescents portant les mêmes maillots de corps blancs, shorts kaki, ceintures équipées se tiennent debout en ce début de journée. Les cheveux en bataille, les bras sculptés par l’exercice physique, le regard haut, il incarne la bonne santé physique. Il entretient ce corps en forme grâce à une brosse au manche de bois actionnée de la main droite, un tube de dentifrice tenu dans la main gauche avec la timbale en fer qui lui permettra de se rincer la bouche. Il est probable que la scène soit rejouée, et que le sourire esquissé tienne autant du brossage des dents que de la présence de l’appareil photographique.

À pleines dents

L’eau dentaire inventée par Edme François Julien Botot a d’emblée montré l’exemple du sommet de la pyramide sociale : il était chirurgien-dentiste et médecin personnel du roi Louis XV. La faculté reconnut effectivement dès 1777 le rôle du produit dans le blanchiment des dents et la fortification des gencives. Il fallait diluer dans un verre d’eau quelques gouttes du mélange d’eau-de-vie et de plusieurs huiles essentielles, qui a fortement varié au fil du temps.

En 1896, l’eau de Botot subissait la concurrence des pâtes dentifrices, notamment celle du docteur Pierre (affiche de Louis-Maurice Boutet de Monvel en 1894). Mais elle avait pour elle l’ancienneté et était répandue dans les couches les plus aisées, notamment chez les femmes, qui se distinguaient du peuple par leur odeur parfumée des pieds à la bouche. Le choix de Chéret doit faciliter l’assimilation entre soin de sa personne et art du paraître dans la bonne société parisienne qui se divertit.

Les meubles adaptés peints par Vuillard constituent le nec plus ultra de l’équipement technique et du confort proposé aux plus fortunés, dont l’invention remonte aux années 1860 aux États-Unis. La spécialisation médicale est sanctionnée depuis 1892 par un diplôme d’État ; le cabinet de dentiste devient un lieu protégé des regards où se pratique une chirurgie de précision.

La santé bucco-dentaire se démocratise petit à petit ; les hygiénistes s’appuient en particulier sur l’école de la IIIe République pour répandre de nouvelles normes ; les travaux de Pasteur sur les microbes diffusent un modèle explicatif convaincant. Malgré la pétition du dentiste Édouard Taillebois en 1881, le dépistage systématique en milieu scolaire ne sera toutefois mis en place que dans les années 1930. Le recours au dentiste reste donc une affaire privée et dépend des moyens. Si Annette Roussel, fille d’un peintre Nabi, n’avait pas été la nièce (et sujet favori) de Vuillard, elle n’aurait sans doute jamais pu s’offrir les services du docteur Viau dans son cabinet installé au 109 boulevard Malesherbes. Se laver les dents devient une habitude, avoir une dentition en bonne santé reste encore un luxe.

Les soins aux soldats ont généralisé à toutes les couches sociales et régions une pratique déjà bien répandue dans les classes supérieures. La « guerre prophylactique » des médecins militaires n’a pas ignoré les rages de dents qui mettaient souvent les soldats mal nourris hors de combat.

Le mouvement scout, créé par lord Robert Baden-Powell en 1907, a essaimé en France dès 1910, et il prend une vigueur particulière dans l’après-guerre. La photographie de l’adolescent anonyme est la seule de la série conservée qui soit un portrait singulier. Mais il s’agit moins d’individualiser que de représenter un type de situation, de commandement personnel représentatif de l’ensemble de l’idéologie du scoutisme. La discipline collective passe par la maîtrise individuelle ; le corps est un outil dont il faut prendre soin avec les bons gestes et savoir se servir à bon escient ; les règles de vie sont capitales dans un environnement dépouillé du confort urbain. En brandissant sa brosse en un garde-à-vous sanitaire, le boy-scout est une publicité parfaite pour le mouvement.

BARGIEL Réjane, LE MEN Ségolène (dir.), La Belle Époque de Jules Chéret : de l’affiche au décor, Paris, Les Arts décoratifs / Bibliothèque nationale de France, 2010.

COGEVAL Guy (dir.), Édouard Vuillard, cat. exp. (Washington, 2003 ; Montréal, 2003 ; Paris, 2003-2004 ; Londres, 2004), Paris, Réunion des musées nationaux / Montréal, musée des Beaux-Arts, 2003.

DAVID Clément, Hygiène bucco-dentaire du XVIIe au XIXe siècle en France, Paris, L’Harmattan, coll. « Médecine à travers les siècles », 2010.

GUÉRIN Christian, L’utopie Scouts de France : histoire d’une identité collective, catholique et sociale (1920-1995), Paris, Fayard, coll. « Pour une histoire du XXe siècle », 1997.

Alexandre SUMPF, « L’offensive de l’hygiène dentaire », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 19/03/2024. URL : histoire-image.org/etudes/offensive-hygiene-dentaire

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