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Allégorie du traité de Nimègue

Allégorie du traité de Nimègue

Date représentée : 10 août 1678

H. : 175 cm

L. : 121 cm

Entrevue de Louis XIV et de Charles II d'Espagne, scellant leur alliance sous la bénédiction du Saint-Esprit.

Huile sur toile.

Domaine : Peintures

© RMN-Grand Palais (Château de Versailles) / Daniel Arnaudet

Lien vers l'image

MV 3438 - 83-000509

Le traité de Nimègue

Date de publication : Juin 2017

Auteur : Jean HUBAC

Célébrer la paix

Le tableau anonyme et allégorique de la paix de Nimègue est représentatif de la manière dont le roi et son entourage voulaient considérer et célébrer cet événement, en le réduisant à un antagonisme dynastique ibérico-français, bien que le principal adversaire de Louis XIV restât pendant toute la guerre les Provinces-Unies. Le roi d’Espagne Charles II (1661-1700), de complexion maladive et sans descendance, était en effet le cousin germain du roi de France (1638-1715) et surtout le frère de la reine Marie-Thérèse, dont Louis XIV souhaitait préserver les droits de succession à la couronne d’Espagne. Même si on ignore la date exacte de réalisation de cette grande toile, ainsi que son commanditaire, on peut conjecturer qu’il s’agissait pour le peintre anonyme de s’inscrire dans la double célébration de la paix et de la monarchie louis-quatorzienne, en dépit de sa facture artistique flamande.

La paix de Nimègue tient en réalité en trois traités de paix signés entre la France et chacune des puissances européennes en guerre contre la monarchie bourbonienne, à savoir la Hollande (10 août 1678), l’Espagne (17 septembre 1678) et l’Empire (5 février 1679). La paix est obtenue aux conditions voulues par Louis XIV, au terme d’une guerre qui dure depuis 1672 et qui permet au roi de France de céder certaines places conquises contre la conservation de la Franche-Comté et d’une série de villes qui rendent la frontière septentrionale et orientale du royaume plus facilement défendable.

La guerre de Hollande opposait la France et ses alliés (Angleterre, Suède et quelques villes et principautés allemandes) à une coalition européenne composée de l’Espagne, des Provinces-Unies, du Saint-Empire et du Brandebourg. D’abord réduite à un affrontement déclenché par la France contre les Provinces-Unies en 1672, la guerre devient rapidement européenne par le jeu des alliances et des intérêts respectifs. Mises en échec face à la république protestante, les armées du roi de France font peser sur l’économie du royaume un poids qui ne tarde pas à devenir difficile à supporter pour les Français. La paix de Nimègue apparaît donc à bon nombre de contemporains comme une bonne nouvelle, même si elle témoigne d’une victoire française à la Pyrrhus, tant la monarchie bourbonienne a dû déployer de moyens pour un avantage comparatif assez faible.

Deux rois inégaux

Deux monarques en position inégale se font face et occupent l’espace scénique. À droite, donc en meilleure place symbolique, Louis XIV domine d’une bonne tête le jeune Charles II (il a dix-sept ans), qui apparaît comme chétif et n’osant lever le regard vers le visage de son cousin. Louis XIV, à la carnation plus vive, est campé dans une attitude plus active que celle du roi d’Espagne : c’est lui qui saisit la main de ce dernier et lui impose son rythme.

Tout signifie donc la domination de la France sur l’Espagne, même si les atours de la souveraineté habsbourgeoise sont picturalement préservés. La structure de la peinture semble symétrique : les deux monarques apparaissent tous les deux en rois de guerre en armure et flanqués d’une épée rangée au fourreau, en seigneurs éminents de leur pays symbolisé qui par les fleurs de lys sur champ d’azur du manteau fourré d’hermine, qui par l’aigle impériale et les châteaux castillans sur champ rouge, en chefs de leur noblesse que les ordres du Saint-Esprit et de la Toison d’or ont contribué à valoriser. Pourtant, cet effet de symétrie est trompeur et la différence de taille entre les deux rois, tout comme l’intrusion de la main et du pied de Louis XIV dans la moitié du tableau occupée par Charles II, viennent signifier la supériorité de la France sur l’Espagne. La paix – colombe suspendue et exhalant un souffle divin, Saint-Esprit rendu sensible dans la déchirure du couvert nuageux – sanctifie la scène de réconciliation, voulue par Louis XIV et acceptée par Charles II, sans expression espagnole d’une volonté propre. L’irréel de l’événement est souligné par le décor théâtral, des rideaux tendus aux couleurs des deux souverains et laissant, par effet explicite de juxtaposition, une ouverture d’où rayonnent à la fois le soleil et la colombe.

Le spectateur de ce double portrait royal en pied est donc témoin d’une scène qui n’a pas eu lieu – les deux rois ne se sont pas physiquement rencontrés –, mais qui signifie un événement considéré comme l’heure de gloire du règne de Louis XIV, une heure de gloire bénie par l’onction divine parce que consacrée par le Saint-Esprit, une heure de gloire réduite ici à l’antagonisme entre les deux puissances qui se sont partagé une position hégémonique sur l’Europe continentale jusqu’en 1678, à savoir la France et l’Espagne.

Le roi de guerre glorieux dans la paix

Dans une pièce en vers de 1678 [Au Roi, sur la paix de 1678, s.l.n.d.], Pierre Corneille décrit les mécanismes menant à la paix de Nimègue et énonce la grandeur royale annonciatrice de la prospérité retrouvée pour le royaume et pour l’Europe. Il insiste, dès le début de son poème, sur la magnanimité souveraine et la toute-puissance de Louis XIV, esquissant ainsi une sorte d’explicitation de l’intention du peintre de l’allégorie de la paix de Nimègue :

« Ce n’étoit pas assez, grand Roi, que la victoire
À te suivre en tous lieux mît sa plus haute gloire :
Il falloit, pour fermer ces grands événements,
Que la paix se tînt prête à tes commandements.
À peine parles-tu, que son obéissance
Convainc tout l’univers de ta toute-puissance,
Et le soumet si bien à tout ce qu’il te plaît,
Qu’au plus fort de l’orage un plein calme renaît. »

Corneille, comme le peintre anonyme de cette toile, participe donc au concert de louanges qui accompagne la paix de Nimègue, considérée comme une grande victoire française, et à laquelle ont également contribué Boileau et Racine, historiographes du roi qui ont accompagné Louis XIV dans la dernière campagne de la guerre de Hollande. Les médailles frappées au fur et à mesure des victoires royales, les Te Deum chantés dans toute la France et les images du roi de guerre victorieux devenu volontairement dispensateur de paix convient les régnicoles à une « entreprise de glorification inédite » (J.Cornette). La paix de Nimègue provoque la modification du programme de la galerie des Glaces du château de Versailles : l’abandon du cycle iconographique que Charles Le Brun devait consacrer à Apollon et Hercule au profit d’une apologie picturale des victoires royales depuis 1661, et surtout depuis la guerre de Dévolution jusqu’à celle de Hollande, date effectivement de l’automne 1678 ou du début de l’année 1679. L’histoire de Louis XIV – « Louis le Grand » depuis les campagnes de Hollande – se suffit désormais à elle-même, sans recourir aux parallèles mythologiques, pour signifier la gloire incommensurable du roi de France. C’est ainsi que la dernière peinture du plafond de la galerie, avant de pénétrer dans le salon de la Paix, représente précisément la paix de Nimègue.

Pourtant, derrière le poncif du roi glorieux et maître de soi comme de l’univers, c’est un royaume à bout de forces financières et parcouru de mécontentements populaires qui se profile, tout comme la longueur de la guerre (1672 à 1678) témoigne de la difficulté qu’a eue la France à vaincre son « petit » voisin du Nord appuyé par une coalition européenne – toutes choses qu’occulte l’encomiastique royale.

Dans ce contexte, l’allégorie de la paix de Nimègue ici peinte apparaît comme originale par sa confrontation entre les deux souverains, par le choix d’une allégorie sous forme d’une rencontre entre deux personnes réelles – qui s’inspire du souvenir de la rencontre entre Louis XIV et Philippe IV en 1659. En revanche, elle reste représentative de la capacité du roi à incarner la totalité de la France, de la réduction du royaume à son roi.

Lucien BELY, Les Relations internationales en Europe, XVIIe-XVIIIe siècles, PUF, 1998.

Joël CORNETTE, Le Roi de guerre. Essai sur la souveraineté dans la France du Grand Siècle, Payot et Rivages, 1993.

Joël CORNETTE, Chronique du règne de Louis XIV. De la fin de la Fronde à l’aube des Lumières, SEDES, 1997.

Nicolas MILOVANOVIC et Alexandre MARAL (dir.), Louis XIV. L’homme et le roi, catalogue de l’exposition présentée au musée national des châteaux de Versailles et de Trianon en 2009-2010, Skira Flammarion et Château de Versailles, 2009.

Jean HUBAC, « Le traité de Nimègue », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 19/03/2024. URL : histoire-image.org/etudes/traite-nimegue

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