Jeux Olympiques - Stockholm 1912
Auteur : HJORTZBERG Olle
Lieu de conservation : France, Nice, musée national du Sport
site web
Date de création : 1911
Date représentée : 29 juin-22 juillet 1912
H. : 111 cm
L. : 80 cm
Domaine : Affiches
© Musée National du Sport
MS 10932
Affichez les Jeux !
Date de publication : Juin 2024
Auteur : Claude BOLI
L’ère des premières
Remarquablement bien organisés, les Jeux de la cinquième olympiade, à Stockholm en 1912, connaissent une belle réussite et inspirent toutes les éditions suivantes. Pour la première fois depuis 1900, ces Jeux ne sont pas engloutis dans les festivités d’une exposition internationale. Aux yeux du C.I.O. (Comité International Olympique), la tradition sportive de la Suède, bâtie sur les disciplines hygiéniste, militaire et éducative, constitue un modèle dans la promotion du sport et de l’esprit olympique. D’ailleurs, le choix de Stockholm se fait à l’unanimité, la ville étant la seule candidate finale en lice. Pierre de Coubertin (1863-1937), le fondateur du rétablissement des Jeux modernes, est parmi les plus ardents alliés de la cause suédoise : « Elle est de tous les pays celui où, sans contredit, l’idée olympique trouve le plus de valeur » précise-t-il.
Depuis le début du XXe siècle, le développement du sport en Suède connaît un essor considérable grâce à l’investissement d’éminentes personnalités dont Viktor Balck (1), un des membres historiques de la création du C.I.O. et le prince héritier Gustaf Adolf (2). Ils contribuent à singulariser ce rendez-vous sportif à travers plusieurs actions significatives tant sur la valorisation artistique que l’organisation sportive. Six mois avant le début de la compétition, apparaît la publication de la première affiche des Jeux Olympiques.
De nombreuses affiches sont envoyées dans 2 200 hôtels à travers 635 villes de 30 pays. D’abord disponible dans 8 langues, aux vues des demandes de plusieurs pays, l’affiche officielle est imprimée dans 16 langues, totalisant 88 350 exemplaires. Des affichettes en trois couleurs sont également réalisées et distribuées en 30 900 exemplaires, dans cinq langues différentes. Un timbre promotionnel en 16 langues, dérivé de l’affiche, est distribué en Suède et à l’étranger. Plus de 30 000 posters sont placardés dans les gares ferroviaires européennes, et notamment 5 000 à Berlin, pour séduire les voyageurs. La ferveur du cinéma, une passion récente, est utilisée pour la diffusion de films d’actualités dans l’Europe entière. C’est la naissance de la première médiatisation cinématographique des Jeux.
L’affiche olympique naît officiellement lors des Jeux de Stockholm de 1912. Support indispensable pour annoncer et promouvoir un spectacle, elle est extrêmement riche en signification, et surtout, elle condense les représentations de l’idéal de l’athlète olympique. Cette affiche réalisée par le Suédois Olle Hjortzberg (1872-1959), professeur à l’Académie Royale des Beaux-Arts de 1911 à 1927 et directeur de l’institution de 1920 à 1941, oscille entre héritage hellénique et particularisme national.
Inventer le « corps olympien »
La volonté d’appel à l’art grec s’exprime dans les corps des athlètes représentés. Le naturalisme et l’idéalisation du corps athlétique sont convoqués. Au premier plan domine un modèle en mouvement qui interpelle par une nudité complète, un torse musclé, une force communicative, un regard concentré et engagé. Chaque sportif croqué livre une partie expressive d’un corps entraîné, vigoureux, musclé. Aux vues de jambes musculeuses aperçues au second plan du cadre, on devine aisément que les personnages sont identiques aux figures dont les visages sont visibles. A côté des références à l’idéal du corps athlétique grec s’ajoute la singularité du corps gymnique suédois. Deux des athlètes présentés ont des allures de personnages de cirque. Ils tiennent dans l’une des mains un bâton accompagné d’un très long ruban en mouvement. Le corps raidi par les muscles épouse parfaitement le ballet aérien du ruban. Le corps dénudé des figurants semble épouser le rythme de la gymnastique dite suédoise parce qu’elle laisse place à l’harmonie et à une grande liberté entre action physique et expression corporelle. La frontière entre la gymnastique, le cirque et le terrain sportif est étroite. Le personnage du premier plan révèle d’une façon remarquable l’idéal athlétique des Suédois. La nudité du corps athlétique est une des libertés exprimées par l’artiste (l’affiche jugée trop « osée » par certains dirigeants du C.I.O. a été interdite dans plusieurs pays, dont la Chine.)
Le cadre est complété par différents drapeaux des pays qui participent à la célébration de la plus grande manifestation de l’athlétisme international. Les drapeaux, qui marquent la présence symbolique des pays, sont livrés dans une magnifique chorégraphie de couleurs. Les athlètes sont enveloppés par les drapeaux de puissantes nations sur la scène olympique. Naturellement, le drapeau de la Suède est imposant, suivi de celui de la Grande-Bretagne ou des États-Unis.
Fausse universalité, virilité assumée et Beaux-Arts
Le traitement artistique des corps représentés n’est pas éloigné des sculptures du Discobole de Myron d’Eleuthère (datant du milieu du Ve siècle) ou du célèbre Doryphore (athlète porteur de lance) de Polyclète d’Argos réalisé vers 452-417 av. J.C. L’affiche de 1912 préfigure le canon de beauté olympien car il se construit autour des personnages dans toute l’intensité de leur tension athlétique, un clin d’œil à Myron et d’autre part, à travers la recherche de la proportionnalité des éléments (bras, cuisses, pieds), une influence de Polyclète.
Quand on observe de près l’affiche des Jeux de Stockholm 1912, l’une des premières remarques qui surgit est la présence de plusieurs drapeaux de grandes et petites nations sportives (États-Unis, Suède, Suisse, Portugal, Égypte). Assiste-t-on à la première olympiade réellement internationale, universelle ? Tout porte à croire qu’effectivement le mouvement olympique s’en approche. 14 nations participent au défilé d’ouverture. 9 nations non européennes sont présentes (7 aux Jeux olympiques de Londres en 1908). En nombre d’athlètes, l’Afrique du Sud, le khédivat d'Égypte (État tributaire autonome de l’Empire ottoman), le Canada, le Chili, les États-Unis, la Turquie, le Japon, et l’Australie et la Nouvelle-Zélande réunis sous la bannière de l’Australasie font défiler 276 athlètes, soit à peine plus d’athlètes non européens qu’en 1908 (265). La fraternité sportive des « athlètes de tous les pays » est avant tout la célébration de l’européocentrisme olympique. Avec 20 délégations (15 en 1908) et plus de 2 050 compétiteurs et compétitrices, l’Europe domine la scène olympique. L’Afrique est quasi inexistante. En se joignant à l’Afrique du Sud (présente en 1908), l’Égypte, avec un seul athlète, incarne l’entrée timide du continent africain. Dans l’ordre des forces en présence, la Suède est la nation la plus représentée (444 athlètes) ; suivent la Norvège (191), l’Allemagne (187) et les États-Unis (174) : soit près de la moitié des athlètes.
La place des femmes est encore marginale et contestée avec virulence. A Stockholm, 48 compétitrices sont présentes (elles sont au nombre de 37 à Londres, en 1908). En juillet 1912, au moment des Jeux, Pierre de Coubertin affirme dans la Revue Olympique une de ses tirades qui soulignent un comportement misogyne : « La question de l’admission des femmes n’est pas réglée. Elle ne saurait l’être […] dans le sens affirmatif du fait que des concurrentes […] ont été acceptées pour la natation et le tennis […]. Une petite olympiade femelle à côté de la grande Olympiade mâle. Où serait l’intérêt ? […] Qui voudrait s’en charger ? Impratique, inintéressante, inesthétique, et nous ne craignons pas d’ajouter : incorrecte, telle serait à notre avis cette demi-Olympiade féminine ». La démonstration de cette idéologie sexiste communément partagée par les dirigeants du C.I.O. (exclusivement masculin) et par une grande partie de l’opinion, transparaît forcément dans l’affiche où les attributs de la virilité sont idéalisés.
Reste, enfin, l'aspect artistique qui compose la première affiche olympique. Il n’est pas anodin de trouver le lien entre les Beaux-Arts et l’esprit olympique. L’appel à des artistes, souvent formés dans les écoles de Beaux-Arts, pour réaliser l’affiche est déterminant. Il rappelle l’importance du mouvement olympique, notamment avec Pierre de Coubertin, de sans cesse rapprocher l’univers sportif et celui de l’art.
Monique Berlioux (dir.) : L’olympisme par l’affiche, 1896-1984, Lausanne, Comité International Olympique, 1983.
Jean Monneret : Le sport dans l’art. De la préhistoire à nos jours, Le Plessis-Robinson, Eric Koehler, 1998.
Jean-Yves Guillain : Art et olympisme. Histoire du concours de peinture, Biarritz, Atlantica, 2004.
Collectif : Olympisme. Une histoire du monde, des premiers Jeux olympiques d'Athènes 1896 aux Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024, catalogue de l'exposition au Palais de la Porte Dorée, Editions de La Martinière, Paris, 2024.
1 - Viktor Balck (1844-1928) : officier suédois, Viktor Balck est connue sous le nom de Père du sport suédois. De 1887 à 1909, il est le professeur principal de gymnastique militaire et le directeur de 1907 à 1909 du Gymnastika Centralinstitutet (G.C.I.). Lors de l'Exposition universelle de Paris en 1889, la Suède présente une troupe de gymnastique dirigée par Balck. Il rencontre Pierre de Coubertin pour la première fois qui ont tout deux la même vision du sport. Il devient l'un des 13 membres fondateurs du C.I;O.
2 - Gustave-Adolphe de Suède (1906-1947) : fils aîné du roi Gustave VI Adolphe, il est le président du Comité olympique suédois en 1933.
Claude BOLI, « Affichez les Jeux ! », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 12/12/2024. URL : https://histoire-image.org/etudes/affichez-jeux
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